ENVIRONNEMENT / TECHNOLOGIES: La convergence NBIC

de Nicholas Bell, FCE / Radio Zinzine, 15 mars 2025, publié à Archipel 345

Depuis que j’anime la série d’émissions «Raconte-moi les OGM» sur les ondes de Radio Zinzine, en partenariat avec l’impressionnante équipe de l’association et média français Inf’OGM, je suis systéma-tiquement effrayé par les choses que l’on découvre. Les agissements profondément écocidaires des promoteurs industriels, les atteintes au vivant, la volonté cynique de ces apprentis sorciers de le posséder et le manipuler. Mais la 18e émission a battu tous les records.

Le sujet: «La convergence NBIC». Cela vous dit quelque chose? Personnellement je n’étais pas encore au courant de ce que notre interlocutrice, Hélène Tordjman, décrit comme «un projet de société» qui avance masqué. Hélène est maître de conférence en Économie à l’université Sorbonne Paris Nord et autrice du livre La croissance verte contre la nature – critique de l’écologie marchande (La Découverte, 2021). Elle est également membre du Conseil d’administration d’Inf’OGM.

«La nouvelle économie des années 1990, fondée sur Internet et les biotechnologies, a continué à se développer malgré le krach de 2001», laissant «entrevoir des possibilités de combinaisons presque infinies entre les nanotechnologies (N) et les biotechnologies (B), les sciences de l’information (I) et de la cognition (C), unies par un même langage, celui de la complexité». La recherche a été «financée par les États-Unis, suivis du Japon, de l’Europe et des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), par des fondations telles que Rockefeller ou Bill et Melinda Gates et par de grandes entreprises, au premier rang desquelles Google et sa maison mère, Alphabet».

«Pour retracer sa genèse et comprendre son inspiration, il faut remonter à une conférence qui a fait date. Tenue en décembre 2001 à Washington, sous l’égide de la National Science Foundation (NSF) et du ministère du Commerce (Department of Commerce), elle appelait à la convergence entre ces diverses techniques pour construire la société de demain: «Des technologies convergentes pour améliorer la performance humaine» était son titre.»[1] «Les enthousiastes, aveuglés par le pouvoir colossal mis entre les mains d’Homo sapiens par ces avancées techniques, le nomment la nouvelle Renaissance ou la Quatrième Révolution Industrielle.» Ou selon l’économiste Geneviève Azam, «le délire prométhéen d’une maîtrise infinie du monde»[2]. Pour Laetitia Pouliguen, directrice du think tank NBIC Ethics, «si la généralisation de l’IA et des algorithmes ne s’accompagne pas d’une réflexion sur la nature de l’homme, la société risque de sombrer dans des dérives dystopiques et transhumanistes. (…) Il est évident que notre quotidien va être profondément transformé, que ce soit dans notre rapport au réel ou à l’autre, par l’immixtion de la machine, de l’IA, et des algorithmes dans nos vies journalières.»[3] «Il s’agit de prendre le contrôle des processus biophysiques et biochimiques sur Terre, de do-mestiquer tous les êtres vivants, le climat, et en définitive la totalité de la biosphère.»[2]Selon Hélène Tordjman, il existe déjà des centaines d’exemples d’application de ces procédés. Quel lien entre les NBIC et les OGM? «La puissance des ordinateurs et de l’intelligence artifi-cielle permet aujourd’hui de décrypter les génomes des espèces vivantes à une échelle industrielle, ce qui incite les grandes firmes telles que BASF à breveter des séquences génétiques de milliers d’espèces pour s’approprier le vivant. Récemment, des scientifiques sont parvenus à créer le premier organisme vivant entièrement artificiel, le xenobot. Ce dernier est capable de se déplacer, de se régénérer et de s’autoreproduire.»[2]

Elle évoque les «cornéesrétines artificielles» qui permettraient à des soldats d’avoir «une vi-sion infrarouge, (…) des globules rouges augmentés qui permettraient d’absorber tellement d’oxygène qu’un être humain pourrait rester quatre heures sous l’eau sans respirer.» L’entreprise Neuralink d’Elon Musk tente de fabriquer des implants cérébraux pour augmenter les capacités cognitives. «Dans un monde dominé par les NBIC, il y a de moins en moins de place pour l’être humain et pour l’humanité. C’est un monde eugéniste en quelque sorte, où ceux qui ont décidé de se mettre des implants, d’augmenter leur capacité cognitive, seront soi-disant supérieurement in-telligents et prendront les décisions, et tous les autres, ceux qui refuseront de s’augmenter, de fu-sionner avec la technique, formeront une sous-espèce. Ce seront les chimpanzés du futur. C’est leur vision de la société.»[4]

Quel rôle pour l’Europe?

Selon Laetitia Pouliguen, l’Europe serait «historiquement le premier foyer de réflexion philo-sophique et morale, et doit continuer de l’être dans les secteurs de pointe. Nous, Européens, sommes pris entre deux feux, d’une part les GAFAM américains, et d’autre part les BATX chinoises (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). »[3]

Ce n’est malheureusement qu’une partie de la réalité en Europe. En anglais on dirait du wishful thinking. Car bien évidemment, les entreprises et les gouvernements européens ne veulent pas rater ce train ultra-lucratif. Emmanuel Macron était fier d’accueillir le Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle à Paris les 6-7 février. Cet événement a réuni des chercheur·euses, des chef·fes d’entreprise, des décideur·euses politiques et des expert·es qui ont échangé des idées, présenté des recherches novatrices et abordé les défis de l’IA dans des domaines tels que la biologie, la physique, l’économie et l’éthique. Sur le site de l’Élysée il est précisé que ce sommet doit répondre à «des questions qui se posent pour tous». La première de trois questions évoquées: «comment développer massivement les technologies et les usages de l’IA dans l’ensemble des pays du monde».

Le 7 février, le président français a annoncé un programme de construction en France de 35 nouveaux data centers. Ces sites, qui occuperont environ 1200 hectares au total, auront chacun une surface de 18 à 150 hectares. Ils sont extrêmement énergivores. La demande d’électricité devrait atteindre environ 35 gigawatts (GW) d’ici 2030, contre 10 GW aujourd’hui. Adieu les appels à la sobriété énergétique![5]

Et pourtant, le plan de sobriété énergétique du gouvernement avait été rendu public le 6 octobre 2022 par la première ministre Élisabeth Borne qui avait invité «à la mobilisation générale de l’État, des collectivités territoriales, des entreprises et des citoyens.»

En France, la convergence décrite par Hélène Tordjman existe surtout à Grenoble. «L’attractivité et la compétitivité de l’écosystème grenoblois reposent sur l’excellence de son pôle scientifique, sur le regroupement en une seule et même place de grands instruments de recherche européens et sur la très forte synergie entre les entreprises et les acteurs de la recherche. Grenoble bénéficie d’un environnement riche dans les nanotechnologies, avec la présence de grands groupes industriels, un grand nombre de PME/PMI et de nombreux laboratoires de recherches.»[6]

Ce qui frappe quand on cherche sur Internet des informations sur la convergence NBIC est qu’il y a très peu de présentations faites par ses promoteur·euses. On trouve plutôt des articles ou do-cuments sur les questionnements éthiques. Pour Hélène Tordjman, pourquoi iels font preuve d’une telle discrétion n’est pas un mystère. Iels ont bien compris l’erreur commise il y a plusieurs décennies par des entreprises telles que Monsanto qui vantait publiquement les mérites de la transgenèse et de son produit phare, le Roundup. Ceci a provoqué une levée de boucliers citoyenne qui a eu comme conséquence un sérieux coup de frein au développement de ces techniques.

Les révélations qu’apporte Hélène sont ahurissantes, mais c’est mieux de savoir et de ne pas faire l’autruche. L’équipe d’Inf’OGM fait partie d’un cercle trop restreint d’organisations qui cherchent à suivre, à comprendre et à dénoncer ces évolutions. Elles sont nettement moins puissantes que les entreprises et leur armée de lobbyistes qui plaident la cause des NBIC. Inf’OGM mérite notre soutien. Vous pouvez vous abonner à ses informations et lui envoyer des dons sur <www.infogm.org>.

Nicholas Bell, FCE / Radio Zinzine

  1. Extraits du premier chapitre du livre d’Hélène Tordjman.
  2. «Convergence NBIC: vers une domination totale de la nature par la technologie», greenwashingeconomy.com.
  3. «Face à l’avènement de l’intelligence artificielle, nous manquons de philosophes», entretien avec Laetitia Pouliguen, Le Figaro, 19 janvier 2023.
  4. Extrait de l’émission NO18, La convergence NBIC, dans la série «Raconte-moi les OGM» de Radio Zinzine http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=9915.
  5. Plus d’infos sur l’IA dans l’émission Intelligence artificielle, un fanatisme technologique néfaste, de Radio Zinzine http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=10066.
  6. Extrait du site internet de l’INP-UGA (Université Grenoble-Alpes).