MAROC: Le Maroc d’émigration et d’immigration

de Marie-Pascale, FCE, 18 juil. 2024, publié à Archipel 338

Nous nous sommes rendues au Maroc, à Rabat plus exactement, pour une nouvelle visite à nos ami•es de l’Arcom (Association des Communautés Migrantes au Maroc). C’est toujours l’occasion de s’informer sur l’évolution de la situation des migrations, quelles que soient leurs directions. Le Maroc, pays de transit, est aussi un pays d’émigration, un relais vers le rêve européen. Les migrations Sud-Nord deviennent dès lors des migrations Sud-Sud-Nord, plus complexes. Ce qui ne l’empêche pas de jouer le rôle de «gendarme des migrations» au bénéfice de l’Union européenne. On ne sait plus où donner de la tête!

Nombre de fidèles lecteurs et lectrices d’Archipel en ont déjà entendu parler, se sont intéressé•es et ont soutenu les lieux de refuge que cette association offre aux femmes et à leurs enfants échoué•es au Maroc dans des conditions extrêmes.

Aujourd’hui, l’Arcom gère trois foyers: un financé par l’OIM (Organisation Internationale pour (sic) les Migrations) et les deux autres le sont par les soins du Forum Civique Européen qui a secouru, in extremis, ces deux foyers quand Médecins du Monde est arrivé au terme des financements attribués.

Ces trois foyers accueillent une vingtaine de femmes et leurs jeunes enfants. Chacune a la possibilité d’y séjourner 3 mois et les femmes qui y accouchent peuvent y rester 5 mois, si elles le désirent, pour un temps de convalescence rarement accordé dans leur situation. Leur offrir cette possibilité c’est leur octroyer un temps, malheureusement encore trop court, pour se reposer d’un voyage éprouvant, pour d’autres de périodes de vie dans la rue ou chez des employeurs abusifs, tant au niveau du travail que du corps.

Elles n’ont pas toutes l’objectif de rejoindre l’Europe et, pour celles qui voudraient s’installer au Maroc, c’est l’occasion de s’informer sur une éventuelle intégration socio-professionnelle qui malheureusement, à l’heure actuelle, relève du défi.

Aujourd’hui, les foyers sont majoritairement occupés par des femmes venues de la Côte d’Ivoire. Des réseaux de trafiquants leur proposent un emploi soi-disant «correctement» payé. Le contrat: un emploi contre le remboursement des frais de voyage, avec un pourcentage bien sûr. À l’arrivée on leur retire leur passeport pour les bloquer, elles sont placées dans des familles comme employées de maison ou sur de grandes exploitations maraîchères comme on en trouve à Dakhla dans le sud marocain. Pour la grande majorité, elles sont surexploitées et vivent dans des conditions d’esclaves. Certains témoignages font froid dans le dos! Lorsqu’elles se révoltent, n’en pouvant plus de travailler vingt heures sur vingt-quatre, elles sont jetées à la rue et pas question de récupérer leur passeport sans remboursement. Il faut donc parfois aller se prostituer ou trouver d’autres travaux éreintants pour arriver à la somme due! Ce trafic peut être qualifié de traite humaine, ce qui est normalement pris en considération par le HCR (Haut commissariat aux Réfugié•es). C’est l’organisme qui, au Maroc, est en charge des demandeur•euses d’asile mais visiblement, au yeux des responsables du HCR, leur cas ne relève pas ce cette catégorie de protection; nous n’avons pas trouvé de femmes dans cette situation spécifique, témoignant d’une protection quelconque. Elles sont donc livrées en pâture à toutes sortes de prédateurs et pour beaucoup poussées à traverser la Méditerranée parce que rentrer au pays n’est pas envisageable quand on a déjà fait une partie de la route.

Maroc pays d’émigration

Sur 32 millions de Marocain•es, 10 % vivent aujourd’hui à l’étranger. Cette émigration trouve son origine dans une croissance démographique qui, si elle a sensiblement ralenti depuis 20 ans, reste élevée: +1 % par an.

L’Union européenne est, en effet, un foyer d’immigration majeur pour le Maroc. Avec les enclaves espagnoles de Ceuta et de Mellila au Maroc, la présence des îles espagnoles des Canaries à une centaine de kilomètres du littoral atlantique marocain, et du fait de l’étroitesse du détroit de Gibraltar (15 km), les phénomènes de proximité et l’histoire coloniale de ce pays jouent à plein. 85 % des Marocain•es qui résident à l’étranger habitent en Europe (chiffres variables selon les sources): 1,2 million en France, 550.000 en Espagne, 380.000 en Italie, 280.000 aux Pays-Bas, 130.000 en Allemagne. Loin derrière, avec 9 %, viennent les pays du golfe Persique, dont les forts besoins en main-d’œuvre drainent des travailleur•euses de tout le monde arabe, puis le continent américain, avec 6 %. L’effet sur l’économie marocaine est positif, même s’il n’est pas univoque. Les remises (sommes d’argent transférées par les travailleur•euses immigré•es au pays), qui représentent souvent plus du quart de leur revenu, équivalent au total à 10 % du PIB marocain. Cet argent (environ 5 milliards d’euros par an) est majoritairement consommé et investi au Maroc. Cette émigration permet également de soulager une économie encore assez fortement affectée par le chômage et le sous-emploi (9 %, mais plus de 20 % chez les jeunes de 15-24 ans). Toutefois, elle prélève également du capital humain de plus en plus qualifié, aujourd’hui presque 16 %, ce qui est fort regrettable au vu des besoins d’organisation et/ou de modernisation de certains secteurs publics et économiques. La région du Rif, au nord du pays, a fourni près du tiers de l’ensemble des émigré•es. On estime que 40 % de la population rifaine a quitté le pays pour l’Europe.

C’est énorme!

Ces dernières années, le renforcement des contrôles aux frontières de l’espace Schengen, la fer-meture militarisée des enclaves espagnoles, la multiplication des patrouilles maritimes ainsi que la création de l’agence Frontex en 2004, ont sérieusement entravé toutes les personnes qui souhaitent se rendre en Europe. Les Marocain•es ne font pas figure de privilégié•es dans ce cas. La politique d’externalisation de l’asile imposant par divers moyens aux pays méditerranéens de jouer le rôle de pays de rétention pour les migrant•es n’a pourtant toujours pas fait ses preuves en regard du nombre croissant d’arrivées, tant en Italie qu’en Grèce et qu’en Espagne. En revanche, on ne cesse de le constater et de le répéter, elle ne fait qu’augmenter les dangers et les trafics liés à la migration.

Des enfants dans les rues des capitales européennes

On parle peu de l’émigration des jeunes Marocains qui fuient un contexte social difficile. C’est pourtant une réalité: depuis le début de l’année, 160 jeunes marocain•es sont arrivé•es à Ceuta, pour beaucoup à la nage. Les perspectives économiques médiocres ont fini de les persuader de «tenter le riski», comme ils disent. Comprendre: rejoindre l’Europe, planqué•es dans un camion, voire entassé•es sur une patera, la barque qui sert à franchir le détroit de Gibraltar. Certain•es meurent en route. Les autres, arrivé•es en Espagne, s’y installent parfois. Mais le plus souvent, iels continuent à circuler: France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne… Au gré des législations locales et de leurs failles, des liens qu’iels tissent ici et là, iels se déplacent, compliquant d’autant leur suivi.

Parfois très jeunes (10 ans), sans attaches familiales en Europe, polytoxicomanes, sans-abri et ultra violents. Vols à l’arraché, agressions, cambriolages, deal de toutes sortes de substances leur permettent de ne pas mourir de faim, de s’offrir quelques fringues à la mode pour des selfies envoyés sur les réseaux sociaux et prouvant à leurs ancien•nes camarades resté•es au pays qu’iels n’ont pas fait «fausse route». Iels ne feront pas état de la violence, de la misère, de la rue, de leur vie en voie de clochardisation. Leur situation est terrible et peu d’associations ou d’éducateur/tices de rue arrivent à les aborder pour les aider à trouver d’autres voies.

Contradictions et soutiens concurrentiels

Aujourd’hui, ces paradoxes liés à la misère, au déclassement et aux violences que subissent toutes ces personnes en recherche d’une vie meilleure multiplient les difficultés d’agir dans des contextes très contradictoires. Il nous a été reproché, à plusieurs reprises, de venir en aide aux personnes noires en migration alors qu’au Maroc, la misère est bien présente, même si Rabat «la royale» se pare de richesses clinquantes pour être reconnue dans sa superbe. L’écart riche/pauvre, même s’il existe dans tous les pays du monde, y est particulièrement criant.

Loin de nous l’idée de mettre en concurrence les différentes pauvretés, nous ne pouvons pas être sur tous les fronts et celui de la migration reste, pour le moment, notre priorité. Les personnes déracinées volontairement ou non, et quelle qu’en soit la raison, sont celles qui subissent le plus de discriminations, leur situation génère des souffrances inimaginables et tant que tous les êtres humains, d’où qu’iels viennent et quel•les qu’iels soient, ne pourront pas circuler librement et vivre où bon leur semble, nous serons à leurs côtés.

Nous ne lâcherons rien sur notre soutien aux foyers d’accueil de l’Arcom qui, plus que jamais, sont nécessaires et insuffisants face au nombre croissant des demandes.

Le temps et la conséquence du travail de terrain de l’Arcom lui a permis de rencontrer une as-sociation marocaine «Maroc Solidarité Médico-sociale», née à la frontière d’Oujda, au nord-est du Maroc, et cette nouvelle alliance pourrait ouvrir des opportunités vers de possibles engagements sociaux et solidaires plus diversifiés. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs et soyons réalistes; la première urgence étant de pérenniser les actuels foyers, ce qui n’est pas encore gagné!

Nous comptons sur votre soutien pour qu’ils puissent continuer à exister et nous restons à votre disposition pour en parler, organiser des soirées d’informations ou tout autre formule souhaitée.

Marie-Pascale, membre du FCE-France