Dès le lendemain de la chute du régime de Bachar al-Assad, neuf pays du continent européen (France, Allemagne, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Suède, Royaume-Uni, Suisse) ont annoncé sus-pendre l’examen des demandes d’asiles de Syrien·nes. Des politiciens de droite appellent même à leur rapatriement. Depuis 2011, 6,6 millions de Syrien·nes ont fui le pays.
«Après la chute du régime Assad, la situation en Syrie est extrêmement dynamique, confuse et difficile à évaluer. Sur la base de la situation actuelle et de son évolution imprévisible, il n’est pas possible de prendre une décision définitive sur l’issue d’une procédure d’asile», a justifié l’Office allemand des réfugiés et de la migration[1]. «En cas de stabilisation de la situation, l’Office envisagera d’adapter sa pratique décisionnelle et reprendra ensuite l’ensemble de ses activités de dé-cision», ajoute l’administration.
«Comme toujours en cas de situation évolutive dans un pays d’origine de demandeurs d’asile, cela peut conduire à suspendre provisoirement la prise de décision sur certaines demandes d’asile émanant de ressortissants Syrien·nes, en fonction des motifs invoqués», explique aussi l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)[2]. 2500 demandes d’asile ont été déposées en France depuis début 2024. 700 demandes (mineur·es inclus·es) d’asile de Syrien·nes sont actuellement en cours de traitement en France.
6,6 millions de Syrien·nes réfugié·es
L’Espagne poursuit en revanche l’étude des demandes d’asile en cours. «Aucune mesure supplémentaire n’est nécessaire, car contrairement à d’autres pays européens où les Syrien·nes représentent une part très importante des demandes d’asile, ce n’est pas le cas ici», a déclaré le socialiste José Manuel Albares[3], ministre des Affaires étrangères espagnol.
En 13 ans de guerre, 6,6 millions de Syrien·nes ont fui leur pays[4] principalement vers les pays frontaliers: Turquie, Liban, Jordanie. En Europe, l’Allemagne a accueilli le plus grand nombre de réfugié·es de Syrie, près d’un million depuis 2011. 200 000 réfugié·es Syrien·nes vivent aussi en Suède, 95 000 en Autriche. 45 000 Syrien·nes ont trouvé refuge en France.
À travers l’Europe, des ministres et politiciens de droite se sont jetés sur l’événement pour aller jusqu’à demander, déjà, le retour des réfugié·es Syrien·nes. En Autriche, le ministre de l’Intérieur, issu du parti conservateur, a indiqué «préparer un programme[5] de rapatriement et d’expulsion vers la Syrie». En Allemagne, un député conservateur (de l’opposition) a même proposé que le gouvernement fédéral affrète des avions pour rapatrier les Syrien·nes et offre 1000 euros à chaque réfugié·e qui partirait. «La situation en Syrie est encore très dangereuse»[6], a répliqué le chancelier Olaf Scholz (social-démocrate), soulignant qu’un retour des Syrien·nes n’était pas à l’ordre du jour.
En France, des annonces polémiques
À Paris, le ministère de l’Intérieur a annoncé lundi travailler «sur une suspension des dossiers d’asile en cours provenant de Syrie, sur le même modèle que ce que fait l’Allemagne». «C’est de la communication politique. Le ministre n’a aucune instruction à donner à l’Ofpra, l’organe qui décide des demandes d’asile en France métropolitaine», note Gérard Sadik, responsable national de l’asile à la Cimade, joint par Basta!.
«Bachar est tombé il y a quelques jours à peine, arrêtons de prendre des décisions précipitées, on doit rester conformes aux traités internationaux» qui prolongent le droit d’asile, appelle aussi Étienne Marest, président d’une association d’accueil de réfugié·es syriens et syriennes que nous avons contacté. «Certain·es Syrien·nes ont passé des années dans la prison de Saidnaya, torturé·es, affamé·es[7]. Il faut qu’iels puissent quitter ce pays et demander l’asile», souligne aussi Gérard Sadik. Et bien que le régime d’Assad soit tombé, des conditions dangereuses pourraient perdurer en cas de résurgence de milices ou de représailles.
La diaspora syrienne dans l’incertitude
Les annonces des différents gouvernements ont de quoi susciter une inquiétude supplémentaire au sein de la diaspora syrienne, qui criait sa joie dimanche dans les rues de Berlin, de Vienne, d’Athènes ou de Paris. «Ce qui est sûr, c’est que les réfugié·es Syrien·nes n’ont qu’une seule hâte: aller embrasser leur famille restée au pays. Mais pas forcément d’y rester», explique Étienne Marest.
Parmi les réfugié·es, beaucoup ont refait leur vie. En Allemagne, par exemple, plus de 160 000 réfugié·es Syrien·nes ont acquis la nationalité allemande. L’un d’entre eux est même devenu maire d’un village de Bade[8], dans le sud du pays.
Pour celles et ceux qui vivent en Europe avec le statut de réfugié·es, se rendre en Syrie aujourd’hui pour rendre visite à des proches est encore quasi impossible. La décision de partir, même quelques jours, peut entraîner la perte de la protection internationale[9].
Malo Janin, Basta Média*
- Basta! <basta.media> est un média indépendant d’investigation qui traite des questions sociales et environnementales, à travers des enquêtes, des reportages et des articles d’analyse dans le but d’offrir au plus grand nombre, en accès libre, des clés pour comprendre le monde, et des leviers pour le changer.
- https://www.bamf.de/DE/Presse/presse-node.html#Syrien
- https://www.ofpra.gouv.fr/actualites/communique-de-presse-syrie
- https://www.infolibre.es/internacional/europeos-ponen-pausa-peticiones-asilo-procedentes-siria-caida-asad_1_1913036.html#google_vignette%E2%80%93
- https://news.un.org/fr/story/2021/03/1091792
- https://www.tagesschau.de/ausland/europa/europa-staaten-asyl-syrer-100.html%E2%80%93
- https://www.tagesschau.de/inland/innenpolitik/scholz-interview-tagesthemen-100.html
- https://www.lorientlejour.com/article/1439231/-pire-quun-abattoir-humain-voyage-au-bout-de-lenfer-de-saydnaya.html
- https://www.swr.de/swraktuell/baden-wuerttemberg/karlsruhe/syrischer-buergermeister-ostelsheim-zu-assad-umsturz-100.html
- https://www.infomigrants.net/fr/post/61649/malgre-la-chute-du-regime-syrien-un-refugie-statutaire-en-france-na-pas-le-droit-de-se-rendre-en-syrie