Cet appel a été rédigé à la mi-mars par des militant·es décoloniaux et des représentant·es des peuples autochtones (1) de la Fédération de Russie (FR). Ce travail est anonyme en raison des risques qu’il fait courir à ses participant·es.
Le 24 février 2022, Poutine, avec le soutien de Loukachenko, lançait une attaque à grande échelle contre l’Ukraine. Cette guerre avait commencé en 2014, lorsque la FR avait annexé la Crimée et créé les républiques «populaires» du Donetsk et de Louhansk. La Russie s’est déjà livrée à des saisies similaires de territoires d’États indépendants, créant et soutenant des mouvements séparatistes dans d’autres États afin de les rendre de facto dépendants d’elle-même, comme cela s’est produit en Transnistrie et en Abkhazie.
Dans le même temps, les mouvements d’autodétermination sur leur propre territoire ont été sé-vèrement réprimés, comme c’est le cas de la République tchétchène. Les actions d’aujourd’hui sont présentées par Poutine comme la dénazification et la démilitarisation de l’Ukraine afin de «sauver les Russes». Nous assistons à des massacres de civils, à des bombardements de bâtiments civils et à une déformation totale de la réalité par la propagande, dans les médias contrôlés par le gouvernement.
La FR se compose de nombreux peuples qui y ont été inclus pendant la colonisation. Cependant pour les Russes, insister sur leur droit à l’autodétermination peut signifier risquer une procédure pénale. L’expression publique d’une position anti-guerre a récemment eu les mêmes conséquences. Notre déclaration est donc anonyme et internationale. Le groupe de travail compte des partici-pant·es d’Ukraine, du Bélarus, de Moldavie, d’Arménie, du Kirghizistan, du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et de régions de la FR actuelle, notamment du Tatarstan, du Bashkortostan, de la Bouriatie, de la République de Sakha, de Kalmoukie, d’Oudmourtie et de Mari El. Dans nos revendications, nous nous appuyons sur les appels existants de représentants des peuples indigènes1 de Russie, qui se sont distanciés des structures étatiques et ont déclaré leur refus de la guerre (2).
Nous accusons Poutine de soutenir et d’inciter au conflit, de mener des guerres, d’annexer les territoires d’autres États et de gouverner le pays de manière répressive. Cependant, nous ne pensons pas que le seul renversement de son pouvoir entraînera de réels changements en Russie. Le régime totalitaire patriarcal-oligarchique construit par Poutine ne s’effondrera pas avec son départ. Il faut déconstruire et réorganiser tout le système étatique. Nous croyons que tous les peuples ont des droits égaux à l’autodétermination et à la pleine indépendance. Nous exigeons que les populations retrouvent le droit de disposer de leurs terres, de parler leur propre langue, de créer leur propre histoire et culture. Nous appelons les peuples du monde entier à soutenir ceux de Russie dans leur quête de désidentification avec le centre. Nous exigeons la destruction pacifique de l’empire.
Nous exigeons l’autonomie régionale dans la prise de décision et l’auto-gouvernance locale au lieu d’un appareil de pouvoir vertical et centré sur la répression. Dans ces conditions, toute per-sonne devrait avoir le droit de participer à la vie politique de la région dans laquelle elle vit. Les nouvelles autonomies doivent être formées selon des lignes territoriales et non reproduire ou créer des hiérarchies fondées sur la «race», la religion ou l’origine. Nous n’avons pas besoin d’une po-litique d’exclusion et d’extermination. Nous avons besoin d’inclusion et d’une acceptation radicale de la diversité. Dans les conditions des nouvelles autonomies, la législation moderne sur les migrations, qui est utilisée comme un autre moyen de répression, doit être révisée. Les gens devraient pouvoir changer librement de lieu de résidence.
Nous n’avons pas besoin de production et de surproduction lorsque les besoins fondamentaux de la majeure partie de la population mondiale ne sont pas couverts. La croissance économique et les opportunités de gagner des millions sont les privilèges de quelques-un·es qui ont déjà un pouvoir illimité. Nous avons besoin de paix et de la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque être humain. Nous avons besoin de soins de base inconditionnels, et non d’un budget policier et militaire surdimensionné et utilisé pour des agressions internes et externes.
La guerre en Ukraine a une fois de plus confirmé la dépendance de l’économie et de la politique mondiales vis-à-vis des ressources naturelles non renouvelables, qui sont sous le contrôle de plu-sieurs États puissants. L’«Occident» ne prend pas suffisamment de mesures pour mettre fin à la guerre en raison de sa dépendance au gaz russe. Cette situation met non seulement le monde en danger, mais peut également conduire à un écocide mondial. Les peuples autochtones sont les premiers à souffrir de l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables et de la crise climatique. Les entreprises connaissent les conséquences de leurs activités mais, guidées par le profit, elles ne prennent pas de mesures pour changer. Nous exigeons une transition vers les énergies renouvelables et le retour aux populations du droit de disposer des ressources sur leur territoire. À l’heure actuelle, comme auparavant, la Russie utilise des représentant·es des peuples au-tochtones pour mener ses guerres coloniales. Les ressources nécessaires pour mener ces guerres proviennent également de leurs terres et de leur travail. Nous devons mettre un terme à cela. Nous exhortons tout le monde à ne pas s’arrêter aux appels au départ de Poutine et à la fin de la guerre, mais à exiger une décolonisation radicale de la Fédération de Russie et à accorder aux sujets individuels le droit de créer leur propre avenir.
Selon la définition du Groupe de travail international sur les affaires autochtones (IWGIA), les peuples autochtones se trouvent à la périphérie de la création des États contemporains et qui s’identifient comme peuples autochtones. Ils sont associés à certains territoires où leur histoire peut être retracée. Ils partagent une ou plusieurs caractéristiques suivantes: ils parlent une langue autre que celle du ou des groupes dominants; il y a une discrimination à leur encontre dans le système politique; ils sont discriminés dans le système judiciaire; leur culture est différente de celle du reste de la société; ils diffèrent souvent de la société dans leurs pratiques, étant des chas-seur·euses et des cueilleur·euses, des nomades, des berger·es ou des agriculteur/trices sur brûlis; ils se voient et sont perçus par les autres comme différents du reste de la population.
Déclaration du Comité international des peuples autochtones de Russie: https://polarconnection.org/international-committee-of-indigenous-peoples-of-russia/ et «Ce n’est pas notre guerre»: Appel du mouvement démocratique bouriate; Bouriates contre la guerre.