Depuis 2023, nous soutenons activement l’organisation d’Art-Camps en Transcarpatie. Il s’agit de camps de jeunes au cours desquels les enfants et les adolescent·es peuvent se rencontrer et s’exprimer librement par le biais de différentes formes d’art. Les jeunes aiment ces rencontres, se sentent com-pris·es et renforcé·es, nouent de nouvelles amitiés et gagnent en résilience, ce qui leur est vital.
Au cours des bientôt onze années qui se sont écoulées depuis le début des hostilités dans les régions de l’est et du sud de l’Ukraine, les conditions de vie ont considérablement changé pour la jeune génération. Des jeunes gens conscientisés des oblasts de Donetsk et de Louhansk, qui ne voyaient pas leur avenir sous l’occupation russe, ont quitté la région dès 2014. Pour ces personnes, les souvenirs de leur enfance et de leur jeunesse dans le Donbass sont très précieux. Pour les dizaines de milliers de jeunes qui continuent de vivre dans les régions d’Ukraine où la vie est menacée, la décision de rester n’est pas une décision personnelle. Elle est prise en fonction d’une série de circonstances qui dépendent de la situation familiale et financière. De plus, leurs parents ne sont pas toujours prêts à commencer une nouvelle vie sans aucune certitude de stabilité et de sécurité dans un nouvel endroit. Ces jeunes continuent à vivre dans les conditions que leur dicte la guerre. Un enseignement à distance, une socialisation minimale – une vie en ligne. À cela s’ajoutent des parents épuisés qui n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour comprendre et soutenir émotionnellement leurs enfants.
Projets dans la maison d’hôtes
Depuis 2019, lorsque Nailya Ibragimova qui vivait auparavant dans l’Est, dans la région de Louhansk, a rejoint l’équipe de Longo maï à Nijnié Selichtché et a commencé à collaborer avec le Forum Civique Européen, notre équipe organise régulièrement des camps pour les enfants des zones de front dans les locaux de la maison d’hôtes Sargo-Rigo. Cette maison à Nijnié Selichtché nous sert pour différents projets avec les réfugié·es – enfants et adultes des zones de guerre – et est un projet collectif de villageois·es.
Après une rencontre avec deux jeunes femmes engagées de Donetsk, Marharyta Kurbanova et Mariya Surzhenko1, le FCE a commencé à soutenir le travail de l’ONG Base_UA et en particulier les camps d’expression artistique Horitsvit (Adonis de printemps) pour les jeunes de 13 à 16 ans. Il s’agit de camps pour 18 participant·es, qui durent de 10 à 14 jours, au cours desquels les jeunes, avec l’aide de formateur/trices et de mentors ouverts et très proactifs, s’immergent dans une autre réalité qui leur permet de parler de sujets qui les concernent, de révéler leurs forces et leurs faiblesses à travers l’art, de se faire de nouveaux et nouvelles ami·es et de développer un sentiment de confiance en soi.
Grâce au théâtre, au chant, au mime, aux arts plastiques, à la peinture, à la danse, mais aussi à beaucoup d’activités physiques dans la nature, ces jeunes, pour la plupart traumatisé·es, peuvent exprimer leurs sentiments, qu’iels cachent dans la plupart des cas à leurs parents. L’équipe des camps artistiques de Horitsvit tiendra son 14e camp en février. Ces camps se déroulent, selon la saison, dans différents endroits de Transcarpatie.
Comment ça marche?
Pour participer à un camp, il faut envoyer un formulaire de candidature; à chaque fois, il y a beaucoup plus de jeunes qui postulent que de places disponibles. Les camps sont entièrement gratuits pour les participant·es, des adolescent·es issu·es de régions touchées directement par la guerre. Le soutien du Forum Civique Européen et d’autres organisations est donc très précieux. Et les réactions des enfants et de leurs parents, après avoir visité le camp, indiquent clairement que l’expérience d’être dans un camp d’expression artistique dans un endroit sûr leur donne de l’élan et de l’espoir pour leurs projets futurs et leur donne le sentiment d’être soutenu·es par des adultes ayant vécu des expériences similaires. Être loin du front, à l’abri des armes russes, est bien évidemment un élément indispensable pour réussir le pari que se donnent les initiatrices des camps.
En plus des camps Horitsvit, l’équipe du FCE en Ukraine, en collaboration avec la coopérative Longo maï et des villageois·es de Nijnié Selichtché, organise des camps thérapeutiques au gîte Sargo-Rigo, auxquels participent, selon l’orientation du camp, différents groupes d’enfants et différents animateur/trices. Cette année, nous avons prévu quatre camps de ce type:
- un camp pour les mères avec des enfants en bas âge né·es en 2022 et 2023
- un camp d’expression artistique pour les jeunes de 13 à 16 ans
- un camp de théâtre pour les adolescents (entre 13 et 18 ans)
- un camp axé sur la photographie et la vidéo pour les jeunes.
Nous reparlerons avec plaisir de ces camps dans Archipel.
Séminaire sur la santé mentale en Ukraine
En Ukraine, de très nombreux adultes sont également traumatisé·es. Des millions de femmes, d’hommes et d’enfants vivent au quotidien avec les répercussions psychologiques de la guerre. La fatigue, les souffrances, la pertes de proches, les difficultés de la vie quotidienne ainsi que l’incertitude face à l’agression russe rongent les esprits. Mais, comme souvent lors de conflits armés, l’aide psychologique et le soutien aux personnes en souffrance ne figurent pas parmi les priorités – avec des centaines de blessé·es au front chaque jour, il y a toujours plus urgent. Tout le monde en Ukraine est néanmoins bien conscient que, quelle que soit l’issue du conflit armé, des millions de personnes auront besoin d’aide pour pouvoir reconstruire un avenir.
Même si un certain nombre d’initiatives étatiques existent, le domaine de la santé mentale n’est pas une priorité pour les pouvoirs publics en Ukraine. Dans les régions rurales telles que la Transcarpatie, où le Forum Civique Européen est présent depuis plus de vingt ans, il persiste aussi une forte méfiance face au secteur psychiatrique, considéré encore comme fortement hiérarchique et autoritaire. La tendance de la bureaucratie et du système psychiatrique, par le passé plutôt du côté de l’enfermement et du contrôle, n’a pas totalement disparu.
Heureusement il existe aussi de nombreuses initiatives privées et associatives. C’est dans ce cadre-là que le FCE organise ce printemps, pour la deuxième fois, un séminaire sur la santé mentale à Nijnié Selichtché. Nous souhaitons proposer aux différents groupes de professionnel·les qui sont en contact avec des personnes impactées par la guerre actuelle en Ukraine un espace de réflexion, de formation et de ressourcement. Cet atelier sera animé par des ami·es psychologues et psychiatres suisses et françaises qui ont une solide expérience de travail, tant avec des réfugié·es qu’en zone de guerre. Les participant·es au stage seront accueilli·es par des bénévoles ukrainien·nes qui travaillent avec des réfugié·es, des psychologues qui accompagnent des personnes en difficulté et des médecins généralistes et psychiatres de Transcarpatie qui sont confronté·es à de nombreuses personnes traumatisées.
Nous espérons ainsi créer des espaces de supervision et d’accompagnement professionnels qui pourront par la suite se poursuivre en ligne, ainsi qu’augmenter le nombre de personnes ressources sur place.
Olha Zubyk et Paul Braun, membres FCE
- Voir Archipel NO331, décembre 2023: «Ukraine: Camps d’art pour les enfants traumatisé·es par la guerre», Marharyta Kurbanova et Mariya Surzhenko.