Les réseaux de solidarité, maintenant plus que jamais!
Du 26 au 28 août, le Forum Civique Européen et des membres des coopératives européennes Longo maï Ulenkrug (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Allemagne) et Zeleny Hay (Transcarpatie, Ukraine), en collaboration avec le collectif STRAZE1, ont organisé un congrès d’activistes intitulé «Après l’invasion russe en Ukraine: les réseaux de solidarité, maintenant plus que jamais!» avec des activistes d’Ukraine et de Russie. Nous nous sommes concentré·es sur l’impact de la guerre d’un point de vue féministe, sociologique et à la base.
Environ 30 personnes ont participé au congrès. Le public n’était pas nombreux, mais motivé pour rencontrer de nouveaux contacts en Russie et en Ukraine. De nombreux participant·es ont décrit une atmosphère encourageante et tournée vers la recherche de solutions constructives et soli-daires. Nous partageons ce sentiment.
L’une des tâches du congrès était de faire connaissance avec des activistes, des initiatives et des représentant·es de fondations d’Allemagne, de Russie et d’Ukraine. Durant le congrès et par la suite, le besoin urgent de maintenir ce réseau est devenu évident. En tant qu’équipe d’organisation, nous sommes à la recherche d’une forme pertinente pour poursuivre, compte tenu de notre capacité organisationnelle limitée.
Nous avons donc été ravi·es de recevoir de nouvelles demandes et de nouveaux contacts pour une collaboration ultérieure. Dans ce rapport, nous avons essayé de saisir les principales questions problématiques qui peu-vent aider à élargir le spectre de l’impact de la guerre sur la société ukrainienne, russe et en partie européenne.
Une perspective féministe avec Oksana Dutchak et Aleksandra Talaver
Oksana Dutchak a fait remarquer que le Manifeste féministe ukrainien(2) a été créé comme une réponse critique au Manifeste antiguerre d’un groupe international de féministes qui n’avait pas de signatures ukrainiennes. Les féministes ukrainiennes demandent une évaluation informée d’une situation spécifique au lieu d’une analyse géopolitique abstraite qui ignore le contexte historique, social et politique. Le pacifisme abstrait qui condamne toutes les parties prenant part à la guerre conduit à des solutions irresponsables dans la pratique. Nous insistons sur la différence essentielle entre la violence comme moyen d’oppression et comme moyen légitime d’autodéfense. Aleksandra Talaver explique comment des actions de rue contre la guerre du début, violemment réprimées, se sont transformées en un concept de soins comme catégorie centrale de la protestation en Russie, par exemple:
- Soutien aux grèves et à la protection des droits du travail en cas de licenciements et d’arrêts de travail, harcèlement au travail pour des positions antiguerre(3).
- Travail avec les collectifs de mères de conscrits et de militaires. Répondant à la question de savoir comment élaborer un agenda de démilitarisation en Russie alors que même la maternité a été militarisée (par exemple, le titre de mère-héroïne, utilisé après la seconde guerre mondiale a été réintroduit), Aleksandra a noté que la lutte antiguerre en Russie est impossible sans le soutien du front ukrainien, la défaite de l’armée russe et son retour non triomphal.
Une perspective sociologique avec Natalia Lomonosova et Yelyzaveta Khassai
Un tiers des Ukrainien·nes ont perdu leur emploi depuis le début de la guerre. 60 à 80% des personnes risquent de tomber sous le seuil de pauvreté. Comment, pendant la guerre, la politique sociale en Ukraine devrait-elle s’orienter vers des approches innovantes, prendre en compte le contexte spécifique de la reconstruction et de la société d’après-guerre, plutôt que de répéter les programmes et propositions d’avant-guerre? Le plan de relance prévoit l’approche «activer les politiques du marché du travail», qui a ses propres partisan·es, mais il y a aussi, bien sûr, de nombreuses raisons de critiquer cette approche, notamment du point de vue de son éthique.
«Investir dans le travail indépendant» et diffuser et renforcer les images de réussites indivi-duelles n’aident pas les catégories de personnes vulnérables à résoudre les problèmes de pauvre-té. Créer sa propre micro-entreprise pour une mère avec des enfants qui reviennent après avoir été évacué·es est une mesure irréaliste. Il est nécessaire que les groupes de travail sous l’égide du Conseil national incluent des experts aux perspectives diverses, des membres d’organisations non gouvernementales et de syndicats qui peuvent offrir des idées et des points de vue alternatifs.
Plus d’informations sur la protection sociale dans l’Ukraine d’après-guerre: possibilités de reprise de l’emploi en Ukraine dans une perspective socialiste reflétée par le mouvement social ukrainien (Sotsyalnyi Rukh)4. Natalia Lomonosova a mentionné que sous la loi martiale en Ukraine, alors que le droit à la liberté de réunion est restreint, les ONG et les syndicats continuent leur travail politique en critiquant les nouveaux projets de loi. Les organisations internationales doivent être impliquées dans ce processus en tant que mécanisme de pression efficace sur le gouvernement ukrainien. La ratification de la Convention d’Istanbul pour la candidature de l’Ukraine à l’adhésion à l’UE peut être un bon exemple dans ce cas.
La politique du logement dans le projet de plan de redressement de l’Ukraine, analyse et critique: Depuis le début de la guerre, le nombre de personnes ayant besoin d’un logement a considérablement augmenté. 12 à 15 millions de personnes ont été déplacées en Ukraine. Dans un premier temps, les autorités locales ukrainiennes se sont concentrées sur la fourniture d’abris d’urgence. Mais cela n’a pas suffi. Entretemps, le marché locatif ukrainien a connu un véritable boom. Les propriétaires peuvent légalement augmenter les prix des loyers autant qu’iels le souhaitent. Lorsque la guerre sera terminée, le secteur du logement en Ukraine devra changer. Nous aurons besoin de politiques pour refléter et guider ces transformations. La politique du logement doit être intégrée aux politiques urbaines et régionales, y compris au niveau local. Il est donc important de procéder à une révision plus approfondie du plan de rénovation, qui inclut la coordination de groupes de travail issus de différents ministères de tutelle. Le plan n’est pas suffisamment inclusif et ne répond pas aux besoins des personnes qui n’avaient pas de logement avant la guerre, ainsi que des personnes qui ont perdu leur emploi à cause de la guerre et qui n’ont pas les ressources nécessaires pour louer. Il est très important d’amener les discussions internes ukrainiennes sur la structure d’après-guerre au niveau européen, d’inviter des représentant·es des ONG ukrainiennes, des syndicats et des politiciens progressistes qui sont entrés en politique après la révolution de Maïdan pour discuter de l’avenir de la reprise.
Une perspective «à la base» avec Dmytro Myshenin et Sergiy Chubukov
Dmytro Myshenin de Angel of Salvation(5) (Dnipro) et Sergiy Chubukov de Myrne Nebo6 (Kharkiv) ont présenté les résultats de leur travail humanitaire au cours des six mois de guerre. Depuis le début de la guerre, ces organisations ont apporté un soutien humanitaire à des milliers de per-sonnes dans le besoin. Par exemple, Myrne Nebo distribue 9000 repas chauds par jour. Iels ont 4 cuisines, 2 boulangeries, et 25 chauffeur·euses. Au total, iels sont 124 activistes et volontaires. L’association Angel of Salvation a évacué plus de 27.000 personnes de l’est de l’Ukraine et a organisé des programmes d’adaptation pour plus de 1000 enfants. Iels ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’hiver à venir et à la possible nouvelle vague de personnes déplacées.
Situation actuelle des Ukrainien·nes déplacé·es en Russie
Les autorités russes et celles qui leur sont affiliées ont également soumis les réfugié·es ukrai-nien·nes à un processus appelé par la Russie «filtrage», une forme de contrôle de sécurité obliga-toire, au cours duquel elles collectent généralement les données biométriques des civil·es, notamment les empreintes digitales et les images du visage de face et de profil, procèdent à des fouilles corporelles et des effets personnels et des téléphones, et les interrogent sur leurs opinions politiques. Les fouilles corporelles consistent notamment à rechercher des tatouages pouvant être interprétés comme des symboles nazis et des traces de port d’arme. La frontière est un espace de contrôle absolu par les forces de sécurité, qui donne lieu à des arrestations, des menaces et des enlèvements. On trouve plus d’informations sur le site de <hrw.org>(7). Les réfugié·es sont ensuite envoyé·es dans des points d’hébergement temporaires. Il y en a environ 80-90. Chaque jour, des dizaines de milliers de personnes arrivent, de très nombreux blessé·es.
Depuis le début du mois de mars, de nombreux activistes en Russie ont auto-organisé des groupes d’aide le long des différentes frontières. Par exemple, des groupes qui collectent des valises pour les personnes, aident les réfugié·es avec des animaux, et des groupes de médecins qui fournissent les premiers soins. Exemples d’initiatives réussies qui aident les réfugié·es: Friends of Mariupol, Help to Leave, Rubikos.
Frontière entre l’Estonie et la Russie.
Après que l’Estonie a interdit la délivrance de visas touristiques aux Russes, la situation à la frontière s’est fortement détériorée, y compris pour les Ukrainien·nes. Auparavant, il s’agissait du point de passage ayant la plus grande capacité de débit. Les garde-frontières à la frontière esto-nienne peuvent refuser le passage aux citoyen·nes ukrainien·nes qui ont fui la guerre s’iels ont passé «trop de temps» sur le territoire russe. Ces actions sont politiquement biaisées et devraient être un exemple de surveillance et de contrôle spéciaux par les organisations et initiatives européennes qui aident à la frontière. La frontière lettone est une alternative plus coûteuse et logistiquement complexe. La frontière biélorusse et la frontière géorgienne sont également des possibilités de fuir la Russie. Les discours antiguerre font l’objet de poursuites politiques en Russie pour tout type d’activité publique. Actuellement, il existe de petits groupes antiguerre dans presque toutes les régions, soit 80 à 90 groupes d’environ 10.000 personnes.
Ce qu’il faut maintenant
- Plus de contacts avec les initiatives d’aide en Europe, pour comprendre comment fonctionne la logistique européenne de la solidarité avec les réfugié·es.
- Une surveillance aux frontières
- Aide financière aux personnes ayant fui la Russie en Europe.
- Communication publique dans l’UE sur les problèmes des personnes ayant des passeports des républiques nationales de Louhansk et de Donetsk, ainsi que des passeports russes émis après 2014 en Crimée. Ces personnes sont des victimes de guerre, tout comme les citoyen·nes ukrainien·nes avec des passeports ukrainiens, et ont droit à une protection.
- Contacts d’initiatives en Europe qui aident déjà les initiatives antiguerre en Russie.
- Analyse de l’état de protection légale et sociale des réfugié·es ukrainien·nes en Europe et en Russie au cours des six derniers mois.
- Nouveaux contacts d’organisations de soutien aux réfugié·es en Lettonie.
Le groupe d’organisation
- Un lieu pour le théâtre, la politique, la musique, le cinéma, la littérature et la fête. Il y a de la place pour des initiatives, des associations, des ateliers, des bureaux com-munautaires ouverts. La maison est ouverte aux idées spontanées et aux besoins locaux. https://straze.gristuf.org/.
- Voir Archipel NO 317, septembre 2022, «Le droit de résister, un manifeste féministe».
- The Russian Anti Fund <telegram @strikefund>.
- Voir Archipel NO 311, février 2022, «Ukraine, l’heure est à la solidarité internationale contre la guerre» et Archipel NO 314, mai 2022, «Contre l’impérialisme russe».
- Organisation de Kharkiv fondée par des restaurateur/trices et des habitant·es de la ville qui ont décidé de rester sur place après l’attaque russe et d’utiliser l’équipement et l’infrastructure des restaurants pour fournir de la nourriture et des repas chauds aux personnes dans le besoin. https://www.mn.org.ua/.
- <www.facebook.com/yangoli.spasinnya>.
- https://www.hrw.org/report/2022/09/01/we-had-no-choice/filtration-and-crime-forcibly-transferring-ukrainian-civilians.