Le manège des multinationales de l’agro-industrie tourne à plein régime. En mai 2015, l’entreprise américaine Monsanto faisait une offre d’achat à la multinationale Syngenta domiciliée en Suisse. L’affaire n’a pas abouti. Une année plus tard, le géant allemand Bayer AG proposait de reprendre Monsanto pour 62 milliards de dollars. Le président du comité de Bayer AG, Werner Baumann, savait pourtant qu’aucune autre multinationale n’avait autant d’opposants à travers le monde.
Aux protestations massives déclenchées par l’annonce de la proposition d’achat, il a réagi comme suit dans l’hebdomadaire allemand Frankfurter Allgemeinen1. «Nous avons conscience de la renommée de Monsanto» et il propose le dialogue aux opposants à Monsanto.
Se référant à cette proposition Hans Rudolf Herren2, Renate Künast3, Marie-Monique Robin4 et Vandana Shiva5 ont écrit une lettre ouverte à Monsieur Baumann en lui demandant de répondre, lors d’un entretien, à plusieurs questions d’intérêt public. Parmi celles-ci ils demandent si Bayer AG est disposée à prendre en charge, après le rachat de la société Monsanto, les dégâts causés partout dans le monde par cette compagnie ainsi que la réhabilitation des sites contaminés du passé.
En fait cette offre de dialogue n’était qu’une déclaration médiatique sans fondement. C’est ce que les auteurs de la lettre ouverte ont appris de Bayer par retour de courrier: «Jusqu’à ce qu’il y ait un réel accord, les deux entreprises agissent indépendamment l’une de l’autre. Pour cette raison nous ne pouvons pas répondre à l’heure actuelle aux questions concernant les affaires de Monsanto.»
Bayer AG a de bonnes raisons pour se tenir à l’écart de responsabilités par rapport aux pratiques commerciales de Monsanto. Monsanto commercialise depuis le début du 20ème siècle plusieurs produits hautement toxiques, qui ont durablement contaminé l’environnement et rendu malade ou causé la mort de milliers de personnes dans le monde.
Parmi elles les PCB6, l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique, l’un des composants de l’agent orange contenant de la dioxine7, ainsi que Lasso, un herbicide aujourd’hui interdit en Europe. Le produit le plus connu de la maison Monsanto est actuellement le Roundup, l’herbicide le plus utilisé au monde, qui est à l’origine de l’un des plus grands scandales sanitaires et environnementaux de l’histoire moderne. Le modèle agro-industriel promu par Monsanto épuise les ressources naturelles, est à l’origine d’énormes émissions de gaz à effet de serre et menace la souveraineté alimentaire des peuples par l’accaparement de brevets sur les semences et par la privatisation du vivant.
Monsanto continue d’ignorer les dommages humains et écologiques causés par ses produits et maintient ses activités dévastatrices par du lobbying auprès des agences de réglementation et des autorités gouvernementales, la pression sur les scientifiques indépendants et d’autres agissements déloyaux. L’histoire de Monsanto constitue ainsi un paradigme de l’impunité des entreprises transnationales et de leurs dirigeants. Il faut que cela change!
Depuis des années, de larges parties de la société civile prônent la résistance contre la multinationale. Le 21 mai, lors de la journée de protestation internationale March against Monsanto, des milliers de personnes ont manifesté. Le Tribunal Monsanto qui aura lieu du 14 au 16 octobre à La Haye sera l’occasion de faire un procès publique à la multinationale.
Dans une procédure aussi proche que possible des pratiques juridiques existantes, le tribunal aura pour mission d’évaluer dans quelle mesure Monsanto viole les Droits humains à l’alimentation, à la santé et à un environnement sain, ainsi qu’à la liberté d’expression et à la liberté de recherche académique. De plus, le Tribunal tranchera si Monsanto, étant un des producteurs de l’Agent Orange, s’est rendu complice de crimes de guerre au Vietnam et est susceptible de réunir les éléments constitutifs du crime d’écocide qui, à ce jour, n’est pas encore reconnu comme crime par le droit pénal international.
Des juges reconnus au niveau international devront se prononcer sur les points incriminés. Le Tribunal Monsanto procèdera autrement que par exemple les Tribunaux Russell, où le jury était essentiellement constitué par des personnes de la société civile. Les différents points d’accusation seront présentés par des avocats et des témoins seront auditionnés. Les opinions juridiques livrées par les juges mettront à disposition de plaignants privés ou étatiques des bases juridiques de nature à faciliter les actions en justice contre l’entreprise Monsanto au niveau national. Parmi les membres du comité d’organisation figurent entre autres Hans Rudolf Herren, Marie-Monique Robin, Vandana Shiva, Gilles-Eric Séralini, Olivier de Schutter et Corinne Lepage.
Le Tribunal donnera une voix aux victimes des activités criminelles de Monsanto à l’échelle mondiale. Il constituera une nouvelle tribune pour montrer comment des multinationales peuvent être rendues responsables pour leur violation des droits humains et mettra le doigt sur des lacunes du droit dans la juridiction internationale. Ce tribunal pourrait constituer un précédent, car Monsanto n’est pas la seule multinationale incriminée par rapport à des violations de droits humains et de destruction de l’environnement.