Le mouvement d’opposition se libère de «la prise d’otage politique». Comme il est décrit dans le dernier numéro d’Archipel, la résistance à la centrale de Temelín s’est retrouvée dans une situation problématique. Les écologistes tchèques se sont même entendus dire qu’ils étaient au service d’une puissance étrangère.
En Autriche, les militants anti-nucléaire avaient décidé de profiter des pourparlers avec l’Union Européenne concernant l’adhésion de la République tchèque pour y inclure les problèmes techniques de sécurité de la centrale. En Tchéquie où, selon la société d’exploitation, il n’y avait aucun risque, on n’a pas compris pourquoi, et cette condition à l’adhésion a été ressentie comme un acte d’hostilité, tandis qu’elle était débattue par la plupart des partis autrichiens.
On retrouve ces divergences d’opinion dans les visions différentes des événements qui ont suivi la guerre, après 1945.
Tout comme Temelín est en Autriche synonyme de «Tchernobyl» et en Tchéquie de «notre plus grand ouvrage», le nom de l’ancien président de Tchécoslovaquie, Edvard Benes, fait l'objet d'autant de considération que celui de Masaryk, co-fondateur de l’Etat, l’homme le plus important du début de la République de 1918, ou que celui du président en exil qui a coordonné depuis Londres la résistance à Hitler. En Autriche et en Allemagne, par contre, Edvard Benes est un «monstre» qui a fait massacrer et chasser les Sudètes. En Tchéquie, la demande d’abrogation du «décret Benes», faite par l’Autriche, l’Allemagne et la Hongrie, inquiète beaucoup de gens, surtout ceux qui vivent dans les anciennes maisons des Sudètes, qu’ils devraient alors quitter. Ces craintes sont évidemment nourries et utilisées par les chauvinistes tchèques, mais en Autriche et en Allemagne on n’est pas assez sensé pour reconnaître que s’il y a effectivement des problèmes pour quelques-uns des 143 décrets présidentiels qui ont réglementé la constitution de la Tchécoslovaquie pendant la guerre et après – surtout en ce qui concerne la responsabilité collective – il n’est pas question d’expulser les familles vivant dans les maisons vidées de leurs habitants d’origine en 1945/46.
Dès le milieu de l’année 2001, le débat sur Temelín a été présent dans la campagne menée par le FPÖ de Haider pour la tenue d’un référendum début 2002, qui allait jusqu’à exiger pour le gouvernement autrichien un droit de veto concernant l’entrée de la Tchéquie dans l’Union Européenne tant que Temelín ne serait pas arrêtée et démontée. Ce référendum a vu la participation d’un million d’électeurs.
Parmi eux, il n’y avait sûrement pas que des partisans du FPÖ, mais aussi de simples opposants au nucléaire qui estimaient la requête importante. Par contre, de nombreuses personnes membres d’ONG manifestement anti-nucléaire ont refusé de participer à un référendum initié par le FPÖ.
Cet «abus» politique d’un instrument démocratique donnait au FPÖ l’occasion de tester sa force dans le gouvernement. Si le résultat avait été bon, il aurait pu mettre sous pression son partenaire de coalition et exiger de nouvelles élections. Mais ses stratèges n’avaient pas prévu la non-participation de la majorité du mouvement anti-nucléaire. Juste assez de gens ont signé pour que le thème «résistance à Temelín» reste d’actualité, et trop peu pour servir de bouée de sauvetage à un FPÖ en perte de vitesse.
L’action «Ensemble pour le soleil et la liberté» a démarré en avril 2001, à l’occasion de la commémoration de Tchernobyl pour laquelle les anti-nucléaire s’étaient à nouveau rassemblés à la frontière austro-tchèque. Grâce à elle, un débat de fond peut aujourd’hui être mené dans les deux pays, sans toutefois négliger les tensions qui peuvent exister.
Des citoyens ont versé à titre individuel 1.000 schillings sur un compte d’épargne; actuellement la somme se monte à 10.000 €. Cet argent restera sur le compte jusqu’à l’arrêt de la centrale. Entre-temps, les intérêts serviront à aider des projets visant à promouvoir les énergies renouvelables en Tchéquie. Le fait d’avoir sous les yeux des installations qui fonctionnent, montrant à la population tchèque qu’on peut se passer de l’énergie nucléaire, a un effet pédagogique certain. «Ensemble pour le soleil et la liberté» est basé sur un partenariat entre communes autrichiennes et tchèques. Pour ceux qui s’étaient engagés dans le mouvement pour autre chose que Temelín, c’est comme leur présenter un miroir pour se regarder en face. Ceux qui étaient là surtout pour exciter les foules peuvent prendre la mesure de leur engagement. Ainsi, très vite, se sont révélées les réticences des représentants des partis conservateurs et réactionnaires du gouvernement autrichien. Ceux qui voulaient profiter de la polarisation populaire n’ont pas supporté que de simples citoyens prennent les choses en main, par-dessus les frontières et sans directives d’en-haut.
L’objectif concret de cette action est l’autonomie en énergie d’une commune du sud de la Bohème dont le maire s’est montré très coopératif avec les anti-nucléaires. Pour cela les militants des deux pays installent des panneaux solaires, mesurent la force du vent, distribuent des lampes basse intensité, etc. Dans un an, la petite commune de Vezovata Plane verra la création d’un «Centre d’études solaires» qui permettra aux personnes intéressées de recevoir une formation professionnelle dans le domaine des énergies renouvelables. Il apportera également sa contribution à l’économie régionale en faisant travailler la pension du village.
L’association «Ensemble pour le soleil et la liberté» est active essentiellement en Autriche et en Tchéquie, mais selon ses statuts elle agit dans le monde entier, et c’est pourquoi elle souhaite établir des contacts en Allemagne, en Suisse et en France.
Cette idée de partenariat pour résoudre les problèmes en marge de la haute politique a eu des conséquences remarquables. Le mouvement anti-nucléaire, qui souffrait d’importantes dissensions internes, s’est consolidé vis-à-vis de l’extérieur. Cette «initiative à la base» a semé le doute chez les hommes politiques des deux pays, qui se demandent si leur stratégie électorale ne risque pas de les mener à la défaite. Toujours est-il qu’ils ne peuvent plus tout simplement répandre l’idée que les autres («les Autrichiens, les Tchèques»), sont des gens effrayants...
Le mouvement a réussi à démasquer les hommes politiques engagés dans le mouvement pour d’autres motivations que la résistance anti-nucléaire (par exemple la révision de l’Histoire pendant et après la guerre) comme étant des gens vraiment effrayants.
Par-dessus les frontières, l’Europe d’en bas, justement.
Bernhard Riepl,
Fondateur de l’association «Ensemble pour le soleil et la liberté»