Cet article étatit publié dans le numéro 303 d'Archipel en allemand.
Teilnahme verboten (Participation interdite), est le titre du livre de l’Italienne Jamila Baroni, disponible en italien et en allemand, sur le procès de son fils Fabio, 18 ans, qui était à Hambourg en juillet 2017 pour manifester contre le sommet du G20.
Le lendemain même de son arrivée, le 7 juillet, premier jour du sommet du G20, il a été arrêté lors d’une manifestation à 7 heures du matin. Il a passé cinq mois en détention provisoire dans le centre de détention pour mineurs de Hahnöfersand, situé à 30 km de Hambourg sur une île de l’Elbe. Libéré le 27 novembre 2017 en échange d’une caution de 10.000 euros et à la condition de se présenter régulièrement à la police, le procès qui lui est intenté s’est terminé sans résultat en février 2018, suspendu en raison de la grossesse de la juge en charge du dossier. Personne ne sait si ce procès va se poursuivre, ni quand.
Souvenons-nous: des dizaines de milliers de personnes venues de toute l’Europe avaient participé aux manifestations contre le sommet du G20 à Hambourg. Les médias avaient montré des images effrayantes de violence lors des manifestations, on avait soudain parlé d’excès de violence d’une ampleur inconnue jusqu’alors, et le maire de l’époque, Olaf Scholz, aujourd’hui ministre fédéral des Finances, avait promis que des mesures sévères seraient prises à l’encontre de ceux qui avaient commis des crimes. Les provocations et les attaques manifestement non justifiées de la police contre les manifestant·es avaient en revanche été sciemment dissimulées.
Pouvoir et résistance en Europe […] On imagine comme il a dû être extrêmement compliqué pour Jamila et Fabio, qui ne parlaient pas un mot d’allemand, de comprendre le contenu des ordonnances, décrets et lois. Jamila évoque avec un ton calme les huit mois de son séjour à Hambourg, ses négociations avec l’administration pénitentiaire, les conversations avec l’avocat de son fils, Gabriele Heinecke, le soutien qu’elle a reçu à Hambourg de la part d’individus et de groupes, ses visites à la prison, les audiences du tribunal, le comportement de Fabio, ses sentiments. Elle ne cherche pas à susciter la pitié ni ne se perd dans l’agitation politique, elle nous emmène simplement avec elle à travers ce qu’elle vit. Parallèlement à son récit, un narrateur neutre rapporte les événements et les décisions prises à l’époque dans les milieux gouvernementaux à Hambourg. C’est un petit fragment du «grand événement» que fut le G20 de Hambourg et de ses conséquences. Plus le ton est simple, plus les lecteurs et lectrices s’en trouvent bouleversé·es, en colère, sont poussé·es à la réflexion, mis·es au défi de combiner, d’analyser et de comprendre les liens entre répression et résistance. Ce livre est un document historique contemporain sur le pouvoir et la résistance en Europe.
J’aimerais souligner un «détail» dans toute cette procédure contre Fabio, c’est la raison invoquée par la cour suprême de Hambourg pour justifier sa détention provisoire: «La peine pour mineur est également prévue contre des tendances nuisibles existantes chez l’accusé. En l’occurrence il s’agit de déficiences majeures et de carences éducatives qui, sans une éducation globale et sur le long terme du délinquant, sont à l’origine de nouveaux délits.» Ceci équivaut de facto à une condamnation, sans référence à aucune infraction concrètes.Le juge invente des «tendances nuisibles» à Fabio sans l’avoir jamais vu et sans aucune expertise. Ce raisonnement est repris par la suite par chaque instance invoquée pour la levée de la détention provisoire. Même au cours du procès contre Fabio, les «tendances nuisibles» n’ont jamais été étayées de quelque manière que ce soit. L’expression «tendances nuisibles» remonte à une loi du national-socialisme qui avait permis d’interner massivement des jeunes qui dérangeaient le régime, sans preuve d’un quelconque délit. On trouve ainsi cette formulation à de nombreuses reprises dans les documents du camp de concentration pour filles d’Uckermark, pour justifier l’incarcération des jeunes femmes. Cette formulation existe encore aujourd’hui dans le droit pénal allemand des mineur·es et est utilisée des milliers de fois chaque année.
«Que vous me croyiez ou non: je n’aime pas la violence. (...) Mais j’ai des idéaux et j’ai décidé de me battre pour eux (…). A une époque où de nouvelles frontières sont érigées dans le monde entier, où les fils barbelés sont déployés, où de nouveaux murs sont construits des Alpes à la Méditerranée, je pense qu’il est merveilleux que des milliers de jeunes de toutes les régions d’Europe soient prêt·es à descendre dans la rue ensemble pour leur avenir. Au-delà de toutes les frontières et uni·es dans la volonté commune de faire du monde un endroit meilleur que celui qu’illes ont trouvé.» C’est ainsi que Fabio a expliqué ses motivations au tribunal et aux journalistes.
Jürgen Holzapfel Membre du FCE - Allemagne
- Jamila Baroni, Teilnahme verboten, G20-Protest und der Prozess von Fabio V., Unrast-Verlag, Münster, août 2020. Le titre original est en italien, Vietato partecipare.