CHINE: Quand la Chine s'éveillera

7 mai 2010, publié à Archipel 140

Montagnes de vêtements, toujours plus nombreux et apparemment moins chers. Propos xénophobes, contre les «Chinois» qui «nous» envahissent. Désinformation, oubli de l’histoire, titres accrocheurs, … difficile de comprendre vraiment ce que signifient toutes ces nouvelles qui nous assaillent. Cet article est paru dans le dernier bulletin de l’association ATELIER.

A partir d’informations collectées à des sources très différentes depuis environ quatre ans, voici un petit dossier*, partiel, partial, sur la Chine, vue du côté du textile.

Pour essayer de comprendre les enjeux et commencer à réfléchir sur de nouveaux liens à créer.

Retour en arrière

«Contrairement aux idées répandues à l’Ouest au

XIXème et XXème siècles, l’Asie a connu un développement florissant et occupé une place prépondérante dans le commerce international. En 1750, l’Inde et la Chine fabriquaient à elles deux plus de la moitié des richesses produites sur la planète.

Dans une perspective longue, la Chine, comme d’ailleurs l’Asie dans son ensemble, est en train de renouer avec son histoire précoloniale et de retrouver progressivement la place qu’elle occupait avant 1800, quand elle était un des cœurs de l’économie mondiale et la première puissance manufacturière de la planète. Ceci remet fondamentalement en cause l’idée de la singularité de l’Occident et la chronologie jusqu’ici admise de son émergence en tant que centre du monde avec la découverte en 1500 puis la colonisation des Amériques. En fait, la fracture fondamentale du monde entre Nord et Sud n’interviendra que plus tard, au XIXème siècle, avec l’accélération de la révolution industrielle et l’expansion coloniale, quand la domination globale européenne se traduira par la désindustrialisation de l’Asie.»

Quand la Chine s’éveillera

En septembre 2002, arrive à l’ATELIER un fax de la Fédération des industries de la maille, organisme professionnel textile français. Il propose une «Mission Chine» fin novembre dans la province du Jiangsu, en prévision de la libéralisation des échanges mondiaux et de la suppression des quotas textiles au 1er janvier 2005.

La Chine possèderait de nombreux atouts: main-d’œuvre abondante et ultra-compétitive, capacité de modernisation rapide, dynamisme commercial. Le coût horaire de travail y serait le plus bas du monde, surtout à l’intérieur du territoire. Elle devrait devenir aussi le plus grand marché vestimentaire du monde avec son marché de plus de 1,2 milliards d’habitants.

Dès la fin 2003, la presse commence à annoncer les bouleversements à venir dans ce secteur. La Chine va-t-elle habiller la planète?«La production chinoise de machines textiles a augmenté de près de 40% en neuf mois.» «La Chine est en passe de devenir le fournisseur privilégié de la plupart des importateurs de textile et d’habillement américains.» Et les inquiétudes se font jour.

«Les producteurs des USA et de l’Union Européenne vont bien sûr souffrir mais beaucoup moins que les pays en développement qui en avaient fait le pilier de leurs économies. Le textile procure 80% des revenus à l’exportation au Bangladesh, 76% au Cambodge, 73% au Pakistan, 71% au Sri Lanka, 61% au Népal, 53% en Tunisie, 49% au Maroc, et seulement 12% en Chine.»

La date fatidique du 1er janvier 2005 approchant, l’inquiétude se fait plus grande. Mais il semble déjà que les Chinois ne seront probablement pas ceux à qui profitera l’aubaine car «plus de 35% des exportations textiles de la Chine sont déjà le fait de joint-ventures entre sociétés chinoises et étrangères.» Et les mirifiques «promesses» éveillent les soupçons! Selon le président de la Redoute, «l’élimination des quotas conduira à transférer le bénéfice au consommateur à travers la baisse du prix de vente.»

1er janvier 2005: le big bang

Les frontières s’ouvrent donc. Et en avril 2005, «les statistiques douanières ne laissent planer aucun doute: les importations chinoises vers l’Europe de neuf produits sensibles (pull-overs, chemisiers, bas et chaussettes, tee-shirts, pantalons, soutiens-gorge, tissus et fils de lin) ont augmenté dans une proportion qui va de 51% à 534%.» Il faut donc agir mais sans porter dommage aux relations avec la Chine car, comme le rappelle un diplomate chinois, «la Chine a besoin de vendre vingt millions de chemisettes pour acheter un Airbus…»

Aux USA aussi, les conséquences sont lourdes

«A Saipan, île perdue au milieu du Pacifique, 14.000 employées, en grande majorité chinoises, fabriquaient des vêtements importés sans droit de douane aux USA. Aujourd’hui, les vêtements ne sont plus compétitifs, les entreprises ferment. Les employées chinoises vont donc rentrer chez elles pour faire ce même travail, pour 0,30 dollar au lieu de 3,05 dollars aujourd’hui. Autre solution, rester à Saipan et vendre leurs charmes aux nombreux touristes de l’île.»

En juin, la médiation du Commissaire européen au commerce réussit à éviter la guerre du textile entre l’Europe et la Chine. **

«La Chine s’engage à limiter volontairement jusqu’en 2008 la croissance des exportations de dix types de produits.»

Mais, quelques semaines plus tard, cette négociation, destinée à protéger les industriels européens du textile, a de graves conséquences: «Y aura-t-il des pulls et des pantalons en rayon cet hiver? C’est la question angoissante à laquelle se trouvent confrontées les chaînes des magasins qui importent massivement de Chine.

Depuis lundi, il est impossible de faire entrer un seul pantalon fabriqué en Chine dans l’UE. La raison? Les quotas négociés en juin ont déjà atteint 100% de leur niveau prévu pour cette année. Conséquence: 78 millions de vêtements immobilisés dans les ports européens car les importateurs ont voulu circonvenir aux restrictions.»

Heureusement, les circuits parallèles existent et il y a bien sûr moyen de contourner tous ces obstacles:**

«Nous sommes une société expérimentée et de confiance procurant des licences d’exportation textile. Toutes nos licences sont des documents légaux, les quantités de quotas sont flexibles et sans limite, la procédure est réalisée dans un délai de 5 jours.»

Ouf ! Les rayons vont se remplir…

Et maintenant?

«En 2005, les Français n’ont pas profité de la levée des quotas sur les vêtements. La forte progression des livraisons chinoises a pourtant bien eu lieu, +53,4% dans le seul secteur de l’habillement, accompagnée d’un net recul du prix, jusqu’à 50% pour certains produits.

Au niveau du consommateur, la baisse des étiquettes est restée sans commune mesure avec de tels chiffres. Les prix des articles ont reculé en moyenne de 2% dans les magasins. Selon les experts du ministère du Commerce extérieur, les distributeurs pourraient avoir profité des conditions d’achat exceptionnelles pour améliorer ou restaurer leurs marges…»

Vue de l’intérieur

Les 750 millions de ruraux chinois représentent 58% de la population. Le revenu annuel net moyen des paysans chinois est plus de trois fois inférieur à celui des villes. Mais ces moyennes cachent des amplitudes bien plus grandes entre Shanghai et Pékin, villes où la parité du pouvoir d’achat approche celle d’un pays riche, et les régions les plus pauvres où elle est au niveau de la Namibie.

«Détenues collectivement par les comités de village, les terres agricoles sont concédées individuellement, pour trente ans, aux paysans. La plupart des foyers disposent de un à trois mu (un mu correspond à 6 ares). En fixant les paysans – leur statut de ruraux, le hukou, leur interdit de s’installer en ville – l’Etat a pu freiner l’urbanisation. La forte croissance de l’économie a pourtant accru la demande de terrains constructibles. Pour éviter que les paysans ne négocient directement des compensations, les autorités locales ont, depuis 1999, le monopole du transfert des terres au privé, mesure qui a ouvert la porte à tous les abus. Du début des réformes jusqu’en 2003, quelque 6,7 millions d’hectares ont été convertis en terrains constructibles et les paysans n’ont été compensés qu’à hauteur de 10% du prix du marché. Pour procéder à cette décollectivisation forcée, les potentats ont recours soit à la police, soit à des hommes de main pour faire taire les protestations.»

«Dans le dortoir de l’usine où elle travaille, Yang Ping, une migrante chinoise de 30 ans originaire du Hubei, a pour seul coin d’intimité l’espace entre la couchette du haut et celle du bas. Elle est venue il y a un an à Shenzhen et envoie une grande partie de sa paie à son mari et à son fils. Les meilleurs mois, les heures supplémentaires permettent de doubler un salaire de base de 60 euros. Sur les 10 millions d’habitants que compte Shenzhen, la zone économique spéciale sortie de terre il y a tout juste

25 ans, seulement 1,6 millions sont détenteurs du permis de résidence de la ville. Les autres, les mingong (littéralement: le peuple du travail), sont privés de nombre des avantages sociaux qui accompagnent le statut de résident: scolarisation des enfants, sécurité sociale, etc.»

«A Chongqing (31 millions d’habitants), à 2.000 km à l’intérieur des terres, se dresse fièrement un complexe de luxe, propriété de Liang Fugang, un des hommes les plus riches de la ville, qui créa en 1996 un réseau de sous-traitance de vêtements. Les acheteurs étrangers passent un jour ou deux dans cette résidence le temps de visiter les ateliers de conception, de voir ses collections et de passer commande. Douze kilomètres plus loin, Donchu est un quartier sordide, interdit d’habitation à cause des inondations de chaque été mais où les plus démunis trouvent refuge. C’est là que se recrutent les petites mains de Liang Fugang, comme Chen Lanfen. La masure au sol en terre battue n’est pas chauffée. Seul luxe, l’électricité et la machine, modèle vétuste loué par Liang. En ce moment, Chen assemble des chemises de lin blanc. Elle touche 2 yuans (0,20 euro) par chemise pour effectuer toutes les coutures, ourlets, surfilage, la pose des boutons et de la griffe et le repassage. Chaque matin, le contremaître apporte les ballots de pièces à monter. Le soir, il remporte l’ouvrage. A la fin de la journée, explique Chen, je deviens aveugle à force de me concentrer. A la moindre faute, le travail n’est pas payé… La chemise de lin ainsi produite se vend 5 euros au marché à Pékin et jusqu’à 100 euros dans les bonnes boutiques de France ou d’ailleurs.»

«Jane Doe II travaille depuis septembre 2003 sur une machine à coudre d’une usine de confection de Shenzhen. Comme 4.800 autres entreprises du pays, sa société opère pour le géant américain du commerce de détail, Wal-Mart. Elle abat à l’occasion jusqu’à vingt heures de travail par jour sans que ses heures supplémentaires soient payées. A 0,13 euro de l’heure, elle ne reçoit pas le salaire minimum légal de 0,25 euro.»

Une proposition à l’ATELIER

«Je suis professeur de mathématiques à l’Université à Paris. Mon frère travaille dans une ferme chinoise de production de lapins angora. Il peut proposer du poil au prix de 40-50 euros/kilo. Il vous envoie des spécimens de laines angora, classées selon les qualités. J’aimerais ajouter qu’il s’agit de gens qui aiment énormément leur métier, qui ne sont pas vraiment doués pour le commerce, mais qui font soigneusement leur travail et qui sauront vous convaincre de leur sérieux et leur honnêteté.»

Les échantillons d’angora me sont parvenus de Chine mais je n’ai trouvé en France aucune filature intéressée par cette proposition.

Marie-Thérèse Chaupin

ATELIER

* Les informations de ce dossier proviennent des sources suivantes: Le Monde, le Monde Diplomatique, Manière de Voir, Textiloscope, Textilus, Le Figaro, New-York Times, La Tribune, Wool Record. Un dossier plus complet sur la Chine, avec de nombreux exemples et citations (16 pages) est disponible à l’ATELIER, Filature de Chantemerle F-05330 St Chaffrey.

L’ATELIER est une association européenne regroupant éleveurs ovins, tondeurs, petites entreprises de transformation (lavages, filatures, ...), artisans (feutriers, tisseurs), artistes, scientifiques, musées,... tous passionnés de laine!

Fondée en 1989 autour d’une charte, elle a rapproché les différents acteurs de la laine travaillant encore à échelle humaine, artisanale, pour mieux résister à la déferlante industrielle.

La Charte engage ses membres à utiliser une matière première locale de qualité avec garantie d’origine, à contribuer à la maîtrise complète de la filière, à constituer un réseau d’entraide, à promouvoir les produits avec un label de qualité. Aucune personne participant à la transformation d’un produit ATELIER ne doit subir une quelconque exploitation.

Une étiquette décrivant l’origine de la matière et les étapes de la fabrication peut être apposée sur les vêtements.

Les contacts directs entre éleveurs et artisans ou entreprises ainsi qu’avec les consommateurs sont créés lors des marchés et fêtes de la laine, des stages de formation, des expositions, des journées portes ouvertes, ainsi que des rencontres européennes.

Pour plus d’infos:

http:perso.wanadoo.fr/atelier.laine