DOSSIER AGRICULTURE: Mettez du sang dans votre moteur!

9 mai 2010, publié à Archipel 150

Agro-carburants, biocarburants, carburants verts, des appellations diverses pour des cons

Agro-carburants, biocarburants, carburants verts, des appellations diverses pour des conséquences aussi multiples que graves. Kokopelli et d’autres associations demandent l’établissement d’un moratoire sur la commercialisation des agro-carburants pour pallier les conséquences environnementales et sociales qui apparaissent dans les pays producteurs et/ou consommateurs*. Voici la suite de l’article publié le mois dernier à ce sujet.

Ethanol de la honte En Colombie, le président Bush vient de conforter ses alliances historiques avec le président Uribe. La Colombie est un pays pourri par les trafiquants de cocaïne et les exactions de l’armée, des milices et des guérilleros sont quotidiennes contre la population. La Colombie produit un million de litres d’éthanol par jour et envisage la création de 27 nouvelles centrales. Nous avons récemment découvert un film sur les souffrances de certains peuples indigènes en Colombie. Nous y avons vu les populations bombardées par avion ou par hélicoptère. Lorsque les survivants déplacent leurs villages, leurs terres sont confisquées, déforestées et plantées en palmiers à huile. Pour la production de diesel végétal pour les riches.

Au Brésil, (premier producteur mondial d’éthanol) le président Bush vient de signer une alliance historique avec le président Lula pour lancer une «OPEP de l’éthanol» . Les industriels se frottent les mains et prévoient une augmentation de 55 % des surfaces de canne à sucre pour répondre à la demande US et européenne. Dans ce pays, la production d’éthanol a été mise en place dans les années 1970, sous la dictature militaire. Le président Lula parle d’une «révolution de l’énergie» . Certaines organisations parlent de catastrophe humanitaire et d’esclavagisme: quelque 200 000 migrants coupent à la machette la canne à sucre, 12 heures par jour dans des conditions de température torride et pour un salaire de misère. La nuit, ils sont entassés dans des baraquements sordides. Tous les ans, des migrants-esclaves meurent de chaleur ou d’épuisement. Ce sont les dommages collatéraux de la fièvre de l’or vert.

Quel est le prix d’un migrant-esclave dans les monocultures de canne à sucre? Il n’a pas de prix et ne figure pas dans les tableaux d’amortissements. Ce n’est que de la chair à éthanol! Sugar Blues.

La déforestation est un autre dommage collatéral et le président Lula da Silva porte mal son nom car sa révolution n’est pas très «sylvestre». Les forêts vont être encore plus détruites pour cultiver du soja transgénique, de la canne à sucre ou du palmier à huile. Pour la production d’éthanol ou de diesel végétal pour les riches.

L’entreprise française Tereos est-elle impliquée au Brésil dans l’esclavagisme moderne des monocultures de canne à sucre ou produit-elle de «l’éthanol équitable»? L’entreprise française Tereos est-elle impliquée dans les déforestations massives ou fait-elle du reboisement d’essences indigènes (lorsque les sols sont totalement détruits)?

La belle aux barils dormants L’Amérique latine constitue un énorme gisement pour la spéculation éthanolesque. Olivier Combastet, un banquier français qui a lancé Pergam Finance, un fonds d’investissement, affirme que «les centaines d’hectares de maïs et de soja disponibles, par exemple en Uruguay, sont autant de barils dormants de carburant vert du style éthanol dont la demande mondiale devrait exploser dans les années qui viennent» .

Tous les grands princes de la pétrochimie et de la finance «carburent vers» l’Amérique Latine pour réveiller la «Belle aux barils dormants»! En effet, les experts estiment de 15 à 20 millions d’hectares les surfaces agricoles disponibles à l’achat en Amérique du Sud. La BNP a bien compris que cet éthanol représente une affaire très juteuse quand elle déclare que «les matières premières agricoles sont des actifs extrêmement peu chers, pour lesquels la demande est en train d’exploser et pour lesquels l’offre s’affaiblira. Leur situation aujourd’hui est similaire à celle du gaz naturel en 2000: triplement des cours suite à un hiver très froid et à une sécheresse qui avait réduit la capacité hydroélectrique».

En Asie, la course au pétrole vert tourne à la catastrophe. Selon les Amis de la Terre: «En Indonésie, par exemple, le gouvernement prévoit de détruire 16,5 millions d’hectares de forêt tropicale pour planter des palmiers à huile! En Malaisie, ce sont 6 millions d’hectares. A Sumatra et Bornéo, quelque 4 millions d’hectares de forêt ont été convertis en plantations de palmiers à huile. Même le fameux Parc National de Tanjung Puting au Kalimantan a été mis en pièce par des planteurs. Des milliers d’habitants de ces régions ont été expulsés de leurs terres et près de 500 Indonésiens ont été torturés lorsqu’ils tentèrent de résister. Toute la région est en train de devenir un immense champ de ‘pétrole’ végétal» . Pour le marché européen du «diesel végétal».

La primatologue Emmanuelle Grundmann a dénoncé récemment le scandale de la culture du palmier à huile en Indonésie. Elle vient de publier un ouvrage: «Ces forêts qu’on assassine» aux Editions Calmann-Lévy.

Le totalitarisme éthanolien Qui sont les grands humanitaires totalitaires qui font transpirer sang et eau pour lutter contre le réchauffement climatique? Toujours les mêmes! La réponse nous est donnée clairement par Mme Dilma Roussef (chef du cabinet civil brésilien) quand elle affirme que les carburants végétaux sont l’expression du «mariage de l’industrie agricole avec l’industrie pétrolière» . N’oublions pas l’industrie biotechnologique: c’est un mariage à trois.

La société pétrolière BP vient de s’associer à la société de la chimie et de biotechnologie DuPont de Nemours afin de développer une nouvelle génération de carburant végétal. DuPont a racheté, en 1999, le n°1 de la semence hybride de maïs, la société Pioneer HiBred. DuPont était au début du 20ème siècle le plus grand vendeur d’armements aux USA. DuPont est actuellement la seconde multinationale de la semence et la quatrième multinationale de l’agro-chimie. DuPont commercialise un soja résistant à son herbicide «Synchrony». Quel joli nom pour un herbicide systémique!

Toyota vient de s’allier avec BP pour produire de l’éthanol au Canada à partir de la cellulose extraite des déchets.

Volkswagen vient de signer un accord avec la multinationale de l’alimentation ADM (Archer Daniels Midland Company).

Royal Dutch Shell est en train de développer une deuxième génération d’agro-carburants et fait des essais de raffinage d’éthanol à partir de lignine et de cellulose. Cargill, la grande multinationale de l’agro-alimentaire s’est lancé dans la production de diesels végétaux, etc, etc. Et les responsables gouvernementaux osent nous vanter «l’indépendance énergétique» des carburants végétaux!!!

Avec quelques aménagements? On va nous rétorquer qu’il y a sûrement des aménagements à mettre en place. Par exemple, les agro-carburants de «seconde génération» qui selon la revue susdite dans son article «A l’orée de l’or vert», «permettront d’éviter la concurrence des filières alimentaire et énergétique» . Quelle concurrence de la filière alimentaire puisqu’on nous a martelé qu’il n’y en avait pas?

Nous sommes dans la même dialectique que pour les OGMs. Les sociétés d’assurances refusent d’assurer les chimères génétiques en agriculture qui pourtant ne présentent «officiellement» aucun risque sanitaire, aucun risque social, aucun risque agricole, aucun risque de contamination génétique, aucun risque d’empoisonnement alimentaire. Il est étrange que dans une société libérale, les assureurs ne veuillent pas assurer un «non-risque», l’équivalent du beurre et de l’argent du beurre dans leur profession!

Les agro-carburants de seconde génération seraient de la «biomasse»: du bois, de la paille, des déchets agricoles et alimentaires et autres plantes tropicales.

La Révolution verte (verte par la couleur du dollar) a déjà mis en place (avec du prix Nobel à la clé!) ce type de turpitude en raccourcissant les pailles des céréales de la moitié ou des deux-tiers! Les résultats sont instantanés. Pas de paille, pas de nourriture pour les animaux, pas de fumier, pas de compost à retourner à la terre. Et devinez qui se présente chez les paysans? Toujours les mêmes: Monsanto, Bayer, Syngenta, DuPont, etc., les grands humanitaires associés qui proposent, à des prix défiant toute concurrence, des intrants chimiques et des pesticides. Et 40 ans plus tard, toujours les mêmes, avec des semences traficotées (pardon améliorées!) qui ce coup-ci, (juré, sur la tête du banquier!) vont résolument et définitivement solutionner le problème de la faim dans le monde.

L’affaire est simple: toute biomasse qui est brûlée pour produire de l’éthanol pour les riches est de la biomasse qui ne retourne pas à la terre. Dans un milieu tempéré, il faut 500 ans à l’écosystème pour recréer 2,5 cm de sol.

Nous répétons que 2420 tonnes de sol partent dans les océans, chaque seconde. Le temps de lire et de digérer cette phrase et ce sont 10.000 tonnes de sol qui sont allées rejoindre les océans, à tout jamais. Pour accentuer la prise de conscience, nous nous permettons de préciser qu’une tonne équivaut à 1.000 kilos.

Et les filières courtes?

A la lecture de cet article, des amis nous écrivent déjà pour nous parler des filières courtes de production d’huile qu’ils tentent de mettre en place pour lutter contre l’usage dévastateur du charbon de bois et de la déforestation. Par exemple au Cambodge. Tout en nous précisant que le pays est dans un état de totale insécurité alimentaire. Que faire?

En France, des associations se mettent en place pour gérer des filières courtes de production d’huile pour du diesel végétal. En bref, pour produire du biodiesel bio. Notre question est: avec quels fondements? Nous avons déjà parcouru des articles sur les filières courtes d’huile qui préconisent, par exemple, le tournesol parce qu’il demanderait moins «d’intrants».
Les gros mots sont lâchés. «Moins d’intrants» . Dans l’agriculture, un intrant est quelque chose que l’on fait entrer parce que quelque chose est sorti. On nous pardonnera, nous l’espérons, l’analyse des mots. Avec le terme intrant, nous sommes encore dans le même paradigme occidental: l’obsession de l’extraction. Dans ce cas précis, on «extrait» dans un «ailleurs» non localisé (mais de préférence un pays pauvre, c’est moins cher) de la biomasse que l’on va faire pénétrer dans un champ pour remplacer ce que l’on a «extrait» de la terre, en l’occurrence du diesel végétal.

2420 tonnes de sol partent dans les océans, chaque seconde. Notre obsession ultime devrait être la production d’humus. Nous devrions appliquer notre génie humain à la production d’humus. Pour ce faire, il faut bien sûr faire croître des plantes, avec des pratiques agro-écologiques bien précises et pourquoi pas, donc, des plantes à huile. Pourquoi pas? Même sur une planète dans un état de famine?

Les questions d’éthique et de solidarité planétaire dépassent le cadre de cet article. Et en France, nous sommes mal placés pour donner des leçons car notre pays est le troisième exportateur mondial d’armements qui vont anéantir les populations civiles.
La civilisation occidentale détruit ses sols et dépense tous les ans des centaines de milliards de dollars pour ses machines (et ses hommes) à tuer. La civilisation occidentale est une civilisation mortifère.

Les grands gagnants de cette arnaque agricole du siècle sont bien sûr les multinationales «transgéniques». Aux USA, 70% du maïs et du soja sont modifiés génétiquement. En Amérique du Sud, Monsanto détient le contrôle absolu avec son soja transgénique résistant au round-up, un des herbicides les plus cancérigènes et mutagènes au monde.

Les multinationales «transgéniques» sont en train de tester des variétés conçues spécifiquement pour la production d’agro-carburants. Ainsi, Monsanto développe un maïs uniquement destiné à la production de carburant végétal dans un laboratoire détenu par Lockheed Martin. De même pour Syngenta qui a mis au point un enzyme alpha-amilase exprimé dans le maïs 3272. Cet enzyme alpha-amilase est considéré comme un allergène important. Si les gènes qui le synthétisent réussissent à s’introduire dans la chaîne alimentaire, que va t-il se passer? Se rappelle t-on des drames provoqués par le maïs starlink aux USA?

Aux USA, une canne à sucre chimérique fut présentée en 2005: contenant un gène humain, elle permet de produire une protéine «thérapeutique». Pas pour l’éthanol. Un gène humain dans l’éthanol, cela ferait peut-être même toussoter le moteur.

Au Brésil, la canne à sucre transgénique est dans l’air (saturé de round-up!) du temps. La société Centro para la Tecnología de la Caña (localisée à Piracicaba) a obtenu le 20 mars 2007, de la part de la Commission de «Biosécurité», l’autorisation pour des essais en plein champ d’une variété de canne à sucre génétiquement modifiée. Cette variété serait capable de produire 15% de plus de sucre. Selon la compagnie brésilienne, cette variété a déjà fait l’objet de tests intensifs en milieu confiné. La CTC attend l’aval pour deux autres variétés chimériques. La CTC envisage de poursuivre ses tests intensifs en plein champ pendant quelques années et d’introduire sur le marché ses cannes à sucre chimériques en 2010.

Elle n’et pas la seule dans la course. Une autre société brésilienne «Allelyx» attend l’aval de la commission pour plusieurs variétés transgéniques. La société brésilienne «Embrapa» vient de se déclarer également très intéressée.

Selon les rumeurs, Monsanto se serait déjà associé à deux sociétés brésiliennes pour lancer de la canne à sucre transgénique sur le marché. Le porte-parole de Monsanto a déclaré que «il y a des études de développement, parce que c’est un marché intéressant, mais rien de spécifique pour l’instant... et rien d’officiel pour l’instant» . Pas d’illusion, cela fait sans doute 10 ans qu’ils bricolent des chimères de canne à sucre dans leurs laboratoires. Lorsque ce sera «officiel», les consommateurs seront mis devant le fait accompli, comme d’habitude.

En Europe, la Confédération des industries agro-alimentaires de l’Union européenne (CIAA) a demandé à la Commission Européenne d’autoriser l’importation de nouvelles variétés de colza génétiquement modifié pour la production du diesel végétal.

En Malaisie, les apprentis-sorciers n’ont pas oublié le palmier à huile. Dans les pays tropicaux, cet arbre est au diesel végétal ce que la canne à sucre est à l’éthanol. En l’an 2000, ils annonçaient déjà leurs premiers succès de transferts génétiques. Heureusement que ce palmier n’est pas pressé de croître: les premiers palmiers à huile chimériques ne seraient pas annoncés avant 2020. Nul besoin de consulter l’Oracle pour voir le danger des chimères génétiques resurgir sournoisement au détour des carburants végétaux.

Il est vrai qu’en France, la plupart des présidentiables (sauf un notoire, suivez mon regard!) se sont prononcés pour un moratoire sur les OGMs. Nous espérons qu’ils se sont engagés aussi pour un moratoire sur les OGMs éthanoliens.
Nous espérons surtout que l’Elu du Peuple tiendra ses promesses. Rappelons-nous: le président du Brésil, Lula da Silva fut élu, lors de son premier mandat, avec la promesse qu’il n’y aurait jamais d’OGMs dans son pays! Un joli conte de fée ou un film d’épouvante?

Un tsunami alimentaire

On peut seulement répéter que le propos des entreprises capitalistes n’est pas de produire des aliments, ou des carburants végétaux ou de l’information: il est de produire de l’argent, des bénéfices. Point.

Nous assistons, avec la folie des carburants végétaux, à une terrifiante et ultime (peut-être) concentration des grands capitaux entre l’agro-chimie, les nécro-technologies, l’agro-alimentaire et les sociétés pétrolières, avec la complicité bienveillante des Etats.

S’il est plus profitable de produire des carburants végétaux que des aliments, le grand capital s’orientera vers les carburants végétaux.

Pierre Rabhi, dans le manifeste qu’il vient de rédiger pour fédérer un comité de soutien autour de Kokopelli, évoque un «tsunami alimentaire» . Avec 36.000 personnes «décédant» de faim (donc de manque de nourriture!) tous les jours, la planète Terre est dans un état de famine. Si l’on peut se permettre une comparaison, 36.000 personnes représentent 12 fois le nombre de personnes décédées dans les tours jumelles en septembre 2001!

Les mourants de faim décèdent dans l’indifférence la plus générale. Et on ne parle pas des victimes de la malaria, du manque d’eau potable, etc. Pas de surenchère sur la chair humaine!
Les agro-carburants sont une ignominie de plus dont se rend coupable la société occidentale. Les agro-carburants vont intensifier l’état de famine de cette planète.

Le grand Capital vient de découvrir le problème duréchauffement climatique! Il met tant d’ardeur à le médiatiser qu’on croirait presque qu’il l’a inventé! Le «Réchauffement Climatique»: une marque déposée du grand Capital!

Après avoir oeuvré, pendant des dizaines d’années, à transformer cette belle planète en poubelle agricole et industrielle, le Capital, mû par une inspiration soudaine et quasi-mystique, brandit, en toutes directions, le spectre des bouleversements climatiques (toujours avec la complicité des Etats et de certains médias bien complaisants) et nous propose, dans sa grande mansuétude, une solution qui va sauver la planète: les carburants verts.

Grâce à une vaste campagne de narcose collective, le grand Capital accumule des dividendes, se donne une image verte, se concentre encore un peu plus et rigole!

* On peut trouver le texte du moratoire et le signer en ligne sur: http://www.moratoire-agro-carburants.com/