Après les élections législatives du 30 septembre dernier *, le Parti des Régions de Viktor Ianoukovitch est en tête, et le président «orange»Viktor Iouchtchenko, défait, suggère une «grande coalition» que refuse sa camarade-rivale et autre gagnante du scrutin, Ioulia Timochenko.
Non, il n’y a pas de «victoire orange» en Ukraine comme l’ont prématurément, bruyamment (et parfois lyriquement) annoncé nos médias avant que des résultats significatifs ne soient connus.
Au contraire, ladite «révolution orange» de 2004 confirme son échec, et celui de ses sponsors étrangers, à vouloir faire basculer toute l’Ukraine dans le camp euro-atlantique. Les consommateurs de médias occidentaux l’ignorent probablement: ce qu’on leur présente sans cesse comme «le choix de l’Ukraine» en 2004 n’était que le choix de la moitié (occidentale surtout) de ce pays… et encore, bien malin qui pourrait dire en quoi consistait ce «choix», au-delà de la vague de vagues mécontentements mise en scène par «la révolution». Et cette fois encore, d’une région à l’autre, les choix diffèrent.
Gouverner l’Ukraine contre l’une ou l’autre de ses moitiés s’avère impossible: c’est ce que démontre la paralysie politique qui se prolonge. Le président Viktor Iouchtchenko a cru pouvoir débloquer la situation en dissolvant, le 2 avril 2007, la Rada (Parlement) où s’était formée une majorité anti-orange. Mal lui en prit: le «leader de la révolution orange», allié aux nationalistes, recule partout, y compris dans ses fiefs de l’Ouest où, par contre, «l’égérie» Ioulia Timochenko fait une percée spectaculaire en partie attendue, mais au delà des pronostics, accomplissant d’ailleurs des scores importants dans les régions du Centre de l’Ukraine. Il reste que le Parti des Régions, en tête des résultats globaux, et en progrès au Centre, voire dans quelques régions de l’Ouest, reste surtout, et massivement, représentatif des régions de l’Est et du Sud qui n’acceptent pas la tutelle «orange» du pays.
Hormis une solution de compromis impliquant les diverses parties de l’Ukraine, quelle coalition gouvernementale pourrait prétendre diriger une Ukraine «contre» ou «malgré» l’autre?
Pour sortir de l’impasse, le président propose une «grande coalition», à laquelle les adversaires régionaux veulent bien adhérer mais que refusent les alliés, Ioulia Timochenko et, à l’intérieur même de la coalition «Notre Ukraine-Autodéfense populaire» de Iouchtchenko, les militants nationalistes les plus hostiles à toute entente avec le Parti des Régions.
Qu’il s’agisse de l’adhésion à l’OTAN, du choix du russe comme deuxième langue officielle ou – on les oublie – des privatisations, le champ de la négociation, ou des affrontements, reste ouvert, et la classe politique ukrainienne n’est pas sortie de l’impasse.
Le scrutin du 30 septembre 2007 Le Parti des Régions du premier ministre Viktor Ianoukovitch, est donc le grand gagnant, avec près de 8 millions (près de 35%) des voix.
Le parti «des régionaux», jusqu’ici allié aux communistes et aux socialistes (la majorité bleue, rouge et rose du parlement sortant) réclame un référendum sur l’adhésion à l’OTAN (contestée par ces partis) et pour établir comme deuxième langue d’Etat, après l’ukrainien, la langue russe. Il veut faire de l’Ukraine «un pont entre la Russie et l’Union Européenne».
Le Bloc Ioulia Timochenko (BYiuT) du nom de sa dirigeante, principalement implanté au Centre et à l’Ouest, obtient près de 31% des voix. C’est la formation gagnante du camp orange, favorable à l’OTAN et à l’ukrainisation linguistique totale ainsi qu’à l’adhésion future à l’Union Européenne. Le BYiuT comporte, outre la formation «Patrie» de Ioulia Timochenko, divers partis de droite et de centre-droit.
Le Bloc présidentiel Viktor Iouchtchenko, «Notre Ukraine-Autodéfense Populaire», allié à diverses formations de droite et d’extrême droite nationalistes, s’assure un peu plus de 14% des voix. Il est principalement implanté à l’Ouest. Il est le grand perdant de ces élections que le président avait provoquées en dissolvant le parlement le 2 avril 2007. Mais l’éventuelle formation d’une majorité orange au parlement permettrait aux leaders orangistes rivaux, Ioulia Timochenko et Viktor Iouchtchenko, de s’assurer le pouvoir gouvernemental. C’est manifestement le souhait des pays occidentaux.
Mais quel que soit le bilan final, qui se jouera sur quelques %, l’Ukraine restera divisée, non pas entre deux camps opposés sur de grands choix de société, mais entre les régions qui ont voté dans des sens différents.
Les différences régionales Essentiel pour comprendre la situation en Ukraine: on vote très différemment d’une région à l’autre. D’après les premières estimations, on se retrouve avec la même situation que lors des scrutins précédents, à quelques nuances près:
Le Parti des Régions (Le PR) est presque toujours en tête à l’Est et au Sud du pays, où le Parti Communiste conserve une certaine influence. Le PR progresse cependant dans quelques régions du Nord et de l’Ouest. Le Bloc Ioulia Timochenko (BYiuT) est en tête dans la plupart des régions du Centre et de l’Ouest et fait quelques avancées à l’Est et au Sud.
L’alliance du président Viktor Iouchtchenko, «Notre Ukraine-Autodéfense Populaire», soutenue par la droite nationaliste, reste influent à l’Ouest mais ne serait en tête que dans une seule région (la Transcarpatie). Même dans le fief nationaliste de Galicie, le BYiuT vient en tête.
On voit donc une large dominance orangiste à l’Ouest et au Centre, et «bleue» ou rouge à l’Est et au Sud: le partage correspond plus ou moins aux rives gauche et droite du fleuve Dniepr, séparant des pays historiquement et culturellement assez différents, quoique, des deux côtés du fleuve et dans la capitale Kiev au Nord, les influences sont plus mélangées.
C’est le bloc présidentiel qui est le plus «localisé» (limité) à l’Ouest, où se trouvent ses alliés nationalistes d’extrême droite.
Son recul est donc également celui des néofascistes, sous réserve d’une évaluation des scores remportés par les candidats les plus nationalistes.
L’Ouest ne pourra imposer sa volonté à l’Est, et inversement. L’Ukraine est «condamnée» au compromis, voire à une paralysie prolongée, à moins que ne se précise, selon la formule fréquemment évoquée par les commentateurs ukrainiens un «scénario de force».
* Pour 99,76% des suffrages exprimés, taux de participation de 62,38%:
Parti des régions: 34,31%; Bloc Ioulia Timochenko: 30,76%; Notre Ukraine-Autodéfense Populaire: 14,17%; Parti communiste d’Ukraine: 5,38%; Bloc Litvine: 3,96% et Parti Socialiste: 2,86%. Ce qui fait un total de 44,93 % pour les deux partis oranges et 42,55% pour l’ancienne coalition majoritaire Régionaux-Communistes-Socialistes. Le Bloc Litvine se situe entre les deux camps. Il reste à voir la répartition des sièges.