FRANCE: Le meilleur des mondes: les JO 2024 de Paris

de Corentin, FCE, 7 mai 2024, publié à Archipel 336

Loin de moi l’idée de dévaloriser le sport. Mais, dans le cas des Jeux Olympiques, les compétitions sportives ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui manipule de gigantesques quantités d’argent, met en œuvre des exceptions aux lois, pour ne pas dire des lois d’exception, fait s’activer d’énormes lobbies (médias, fédérations sportives, États, multinationales, entreprises du bâtiment, organismes de sécurité…), organise enfin un rouleau compresseur où tout est élaboré dans un unique objectif, et où les environnements naturels et la vie des gens ordinaires ne comptent guère.

On assiste depuis des mois maintenant à une avalanche d’informations, de mesures gouver-nementales successives, de publications de chiffres vertigineux, de protestations d’associations, de mises en garde et d’analyses sur les dérives et les conséquences d’un tel événement. Passons donc en revue, en quelques mots d’ordre, certains des aspects les plus choquants, spectaculaires ou absurdes de ces Jeux, pour savoir à quelle sauce on va être (on est déjà) mangé·es.

Budget: quoi qu’il en coûte!

L’État a provisionné 3 milliards d’euros pour combler le déficit attendu de ces Jeux. Or, d’après les résultats financiers des JO compilés depuis 1960, le dépassement moyen des budgets olympiques est de 179 % par rapport aux prévisions. Si on s’en tient cette fois-ci (espérons-le) à la moyenne, le déficit devrait donc plutôt approcher les 5,5 milliards. Parallèlement, le gouvernement annonce vouloir faire 10 milliards d’euros d’économie cette année pour sauver notre budget national, en dérapage important. Et ce en taillant en bonne partie dans les dépenses sociales. On choisit donc de grever le budget de l’État d’une somme astronomique pour un événement éphémère et bling-bling. Mais le dérapage n’aurait-il pas quelque chose à voir avec ça? Quoi qu’on nous dise, les mauvais résultats ne sont pas uniquement dus à la sacro-sainte «conjoncture économique», non maîtrisable, mais aussi de choix précis faits en toute connaissance de cause par des politicien·nes plus attaché·es à donner une image prestigieuse de leur pays qu’à assurer le bien-être de ses habitant·es.

Sécurité: jamais trop!

Afin de sécuriser la cérémonie d’ouverture du 26 juillet sur la Seine, près de 45.000 policier·es et gendarmes seront présent·es. Et tout au long des Jeux, d’après les derniers chiffres rendus publics, 18.000 militaires français·es seront sur le pont, en plus des policier·es et gendarmes. Nous aurons même l’honneur de recevoir le renfort de 2000 soldat·es et policier·es étranger·es (avec leurs animaux) pour assurer des fonctions particulières: maîtres-chiens, cavaliers, chiens renifleurs d’explosifs... Soit 55.000 personnes, dédiées uniquement à la sécurité, à héberger, déplacer, nourrir, briefer, coordonner. Une débauche de moyens au détriment d’autres zones sensibles du pays, et même de la sécurité ordinaire, alors que, rappelons-le, la France est en alerte maximale face à la menace d’attentats.

Alimentation: haro sur la gastro!

On estime à 13 millions le nombre de repas qui seront servis aux athlètes, bénévoles et spectateur/trices pendant les JO. Une épidémie issue de la chaîne alimentaire serait désastreuse pour les épreuves, et pour l’image de la France aussi. Les moyens de contrôle seront donc renforcés, avec une enveloppe de 38 millions d’euros sur l’année 2024 attribuée aux organismes chargés de la sécurité sanitaire des aliments. Le ministère de l’Agriculture se fixe pour objectif de contrôler l’intégralité des établissements qui assureront la restauration sur les sites olympiques «avant le début» des festivités et de renforcer en parallèle les contrôles aux alentours mais aussi sur les fan-zones et «les sites touristiques majeurs.» Débauche de moyens là encore. Non qu’on souhaite une épidémie de gastro dévastatrice. Mais en ce qui concerne les contrôles «aux alentours», rien n’aurait empêché de les faire avant, pour assurer aussi le bien-être digestif des gens qui habitent dans le coin en permanence.

Santé: surtout pas de vagues!

Ce qui est moins mis en avant, c’est que notre bon gouvernement veut aussi éviter de sur-solliciter les services hospitaliers. En effet, ce sera une période de vacances. Et dans un contexte de précarisation du secteur, régulièrement dénoncée: les burn-out et les démissions sont fréquents, la crise hospitalière est patente. 400 médecins urgentistes bénévoles ont été recruté·es, et on a mis en place une incitation financière pour les médecins qui accepteront de réorganiser leurs vacances dans les services les plus critiques. Le ministère de la Santé a expliqué que tous les scénarios de risque sanitaire sont envisagés, des canicules à l’attaque terroriste en passant donc par les intoxications alimentaires. Débloquer des moyens, manifestement quand on veut, on peut. Mais permettre à l’hôpital public de retrouver un fonctionnement acceptable pour les personnels médicaux comme pour les malades dans un contexte plus ordinaire, il semble qu’on ne veuille pas...

Jeux aquatiques: tout ira bien (bis)

Le centre aquatique olympique flambant neuf de St Denis, qui a vu la spectaculaire glissade d’un plongeur lors de l’inauguration par Macron, est déjà victime d’infiltrations quand il pleut, et il y a des fuites d’eau. Et la Seine est toujours notoirement impropre à la baignade: 13 des 14 mesures effectuées depuis septembre sont toujours dans le rouge et très nettement, malgré 1,5 milliard investi dans les 25 sites du «Plan Baignade 2025». Un méga collecteur d’eaux pluviales va entrer en service en mai près du pont d’Austerlitz. Rien ne garantit que ce sera suffisant. La maire de Paris et le président de la république ont promis de piquer une tête dans le fleuve. On attend de voir. Mais on n’est pas sûr que les nageur·euses accepteront de se tremper dans ce bouillon de culture...

Des sans-abris? Pas vu·es...

Les Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996 et de Vancouver en 2010 s’étaient signalés par la rudesse manifestée vis-à-vis des sans-abris. Amendes pour celles et ceux qui faisaient la manche, distributions alimentaires éloignées de plusieurs kilomètres, déplacements forcés garantis par la loi… Il fallait invisibiliser les personnes de la rue. Est-ce que ce sera aussi à Paris l’occasion d’un nettoyage social? C’est la crainte du collectif Le Revers de la médaille, qui regroupe 80 associations (dont Médecins du monde, le Secours catholique, Action contre la faim…). Et pas sans raison: avant même la fin de la trêve hivernale, les expulsions et des interventions de la police se sont multipliées dans les futurs périmètres de sécurité.

Le 3 avril, la Préfecture de police a ainsi fait évacuer une centaine de personnes sans papiers – essentiellement des familles avec enfants – de la place de l’Hôtel-de-Ville, à Paris. Un car avait été affrété pour les héberger dans un «sas régional» à Besançon. Seule une minorité a accepté d’y être transférée. Car de nombreux sans-abris ont un travail et des enfants scolarisés en région parisienne. Iels refusent de la quitter ou y reviennent. Les mêmes soirs, des opérations pour déloger des campements de mineur·es isolé·es le long des berges de la Seine ont eu lieu. Les associations demandent l’ouverture d’une base humanitaire pour les personnes à la rue durant les JO, et pressent les autorités de créer des hébergements d’urgence, plutôt que d’organiser leur déportation. La crainte est grande que les opérations se multiplient dans les derniers jours avant l’arrivée des touristes. On cache la misère, selon le modèle éprouvé du «village Potemkine», faute de la traiter...

Surveillance: saints algorithmes, assistez-nous!

Rendue possible par la loi sur les Jeux olympiques, une vidéosurveillance dite «augmentée», est mise en place, déployable sur une période qui englobe les Jeux olympiques et paralympiques et court jusqu’au 31 mars 2025. Des tests ont été réalisés en marge d’un concert, et en collaboration avec la SNCF et la RATP. Mais la vidéosurveillance algorithmique n’est pas une simple amélioration de la vidéosurveillance déjà existante, a rappelé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL): «en abolissant les limites humaines qui empêchaient le visionnage de l’intégralité des bandes vidéo, en s’ajoutant de manière invisible aux caméras déjà existantes et en se concentrant sur des lieux où s’exercent des libertés fondamentales (liberté d’aller et venir, d’expression, d’association, etc.), ces technologies constituent un changement de nature dans la surveillance de l’espace public». Comme à chaque grand événement (attentats terroristes, COVID, grandes manifs, luttes écologiques…), des mesures d’exception sont prises, qui deviennent ordinaires quand le contexte change. La surveillance sociale ne fait que s’aggraver.

Logement: partez!

Les Jeux aggravent aussi la crise du logement. En effet depuis septembre, les Agences départementales d’information sur le logement d’Île-de-France (ADIL) enregistrent une augmentation progressive des congés de bail donnés par les propriétaires à leurs locataires. Il est à craindre que ce soit un effet d’aubaine pour les bailleur·euses, qui profitent de la situation pour récupérer leurs logements sans respecter la loi, afin de faire profit en louant à prix d’or pendant l’événement.

Dans le département de la Seine-Saint-Denis, abritant le Village olympique et paralympique, le Village des médias, ainsi que six épreuves sportives, les juristes de l’ADIL 93 signalent que plus de la moitié des congés (60 %) enregistrés entre mars 2023 et mars 2024 n’étaient pas réguliers.

Pour les locataires obligé·es de quitter leur logement à l’approche des Jeux, le premier problème est de retrouver un toit. Et ce n’est pas facile: dans le nord de Paris, on a déjà signalé une baisse importante du nombre de biens disponibles à la location depuis le début de l’année, alors que le nombre de demandes de locations augmente. Ce ne sont sûrement pas ces gens délogés qui seront aux premiers rangs des spectateur/trices.

Oh, encore un détail: on incite les habitant·es de la région parisienne qui ne peuvent ou ne veulent pas partir au moment des jeux de se mettre en télé-travail si c’est possible, car les transports en commun et les infrastructures routières vont être surchargées jusqu’au point de rupture… Ça s’annonce bien. Et plus inattendu (iels ont vraiment pensé à tout).

Folles nuits: amusez-vous!

230.000 préservatifs seront distribués aux athlètes, emballés dans un packaging olympique. Le CIO parle d’objets «collectors». C’est moins qu’à Rio en 2016 (450.000), mais beaucoup plus qu’à Tokyo en 2021 (160.000). On aimerait bien savoir sur quels calculs se basent les prévisions de quantité. Y a-t-il un service dédié dans un ministère? Des statistiques? Les nuits dans les Villages Olympiques sont-elles vraiment aussi agitées? C’est la grande fête du sport, après tout.

Pour finir

Quatre petites phrases extraites d’un rapport d’expert·es indépendant·es[1], plutôt dédié aux futurs JO d’hiver dans les Alpes en 2030, mais qui revient sur tout le système olympique dans une étude étayée.

«La professionnalisation des sportifs et le modèle économique développé par le C.I.O. depuis les années 1980 a fait basculer le mouvement olympique de l’amateurisme à une méga entreprise internationale soumise aux lois du marché et confrontée aux affaires de corruption et aux problèmes de dopage… L’attribution des jeux se fait selon un appel d’offres favorisant la candidature la mieux disante théorisée par le théorème de Thaler selon lequel se voit désignée la candidature qui a le plus sous-estimé ses coûts et surestimé ses revenus… Malgré un discours portant sur l’universalisme des jeux olympiques et les valeurs du sport, le modèle olympique actuel peut être plutôt assimilé à une entreprise économique rentable pour ses acteurs principaux où les athlètes et le sport apparaissent comme de simples marchandises… Les liens entre le C.I.O., les comités nationaux et les différents sponsors constituent une bulle particulièrement hermétique et autosuffi-sante, contribuant à couper irrémédiablement les jeux de leur visée populaire et universelle».

Corentin

  1. disponible sur le sitte https://no-jo.fr