Après être restée à l’arrêt pendant deux ans, une usine de Thessalonique est reprise en autogestion par les ouvrier-e-s licencié-e-s et avec de nouveaux produits.
«Vous n’êtes pas capables, nous le sommes!»: telle fut la réponse lapidaire des ouvriers au propriétaire de leur usine après qu’en mars 2011, il les ait abandonnés sans salaire et sans travail. Cette entreprise, située à la périphérie de Thessalonique, qui appartient au consortium Philkeram Johnson, produisait de la colle pour carrelages; après la faillite probablement frauduleuse de la maison mère – avec en 2012 l’arrestation de son directeur puis de son avocat – elle approchait de sa fin. Le personnel, refusant d’être indemnisé, a occupé l’usine. Puisque de toute façon les salaires étaient dus, il est apparu évident que les machines et l’équipement appartenaient aux ouvriers. Mais l’avenir était incertain.
Le 12 février 2013, la production reprend avec 22 des 70 employés d’alors. Ils n’en sont que plus déterminés. Les deux années d’attente angoissée leur ont largement donné le temps de réfléchir à leur situation, à leur vie, à la société et à l’avenir. Un des ouvriers de Vio.Me déclare: «Nous en avons assez d’être obligés de travailler avec des produits chimiques toxiques. Nous voulons désormais produire des choses qui soient proches de la nature et dont les gens ont vraiment besoin».
Ils produisent aujourd’hui des savons et des produits nettoyants ménagers, selon des procédés traditionnels et artisanaux. Certaines installations ont l’air improvisées mais elles sont fonctionnelles. Les produits sont vendus, échangés ou donnés, selon les circonstances, et les besoins. Les recettes servent à l’achat des matières premières et à payer un salaire de 15 euros par jour, le reste allant à «la solidarité», la lutte collective dans tout le pays pour une société solidaire. Même de l’étranger, les savons naturels peuvent être commandés pour 2,50 euros pièce, port compris (cartons jusqu’à 104 pièces) par e-mail:
<viomesynergatiki(at)yahoo.gr)>.
Afin de donner un cadre légal à la vente des produits de Vio.Me, une coopérative, dont peuvent également faire partie des personnes extérieures en tant que «soutiens solidaires», a été créée. La cotisation mensuelle est de 3 euros, la moitié pour les chômeurs, et peut être échangée contre des produits. L’avenir de Vio.Me est lié au destin de la société toute entière. Vio.Me est partie prenante d’une révolution sociale qui a commencé à partir du moment où les gens prennent leur vie en mains.
Ce qu’il y a de plus révolutionnaire est probablement que ces 22 ouvriers ont cassé avec la logique du marché et la notion de concurrence qui dominent toute notre vie. Dans l’économie libérale, la liberté réside principalement en ce que les gens peuvent choisir dans une offre de produits à peine concevable – s’ils disposent de suffisamment d’argent – ceux qu’ils désirent acheter. Ils paient cette liberté de leur vie: ils se soumettent aux contraintes du salariat et passent une bonne partie de leur temps libre en trajets et en courses, comme dans une roue de hamster qui tournerait de plus en plus vite. Et celles et ceux qui n’y arrivent pas sortent du circuit et sont laissés sur le carreau: selon leurs parcours individuels, ils deviennent chômeurs, sans logis, dépendants de l’aide sociale ou même victimes de maladies psychiques.
Vio.Me est désormais un symbole de l’auto-organisation dans la lutte contre la politique d’économies du gouvernement grec et de la Troïka constituée par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international. C’est pourquoi l’usine autogérée connaît une vague de grande solidarité et de soutien aussi bien en Grèce que dans le reste de l’Europe, et même au-delà.
* Longtemps membre du syndicat Unia, activiste du «réseau luttes au travail», il a participé avec des syndicalistes allemands et d’autres personnes solidaires au voyage de solidarité en Grèce qui a eu lieu pour la troisième fois fin septembre 2014.
Pour plus d’informations: http://www.viome.org