L’année 2011 a été secouée par un cri populaire parti de Tunisie, «Dégage». Un mouvement massif et inattendu a réussi à «dégager» le dictateur Ben Ali, le 14 janvier, suivi par Moubarak, le 11 février, en Egypte. Les peuples de la région du Maghreb au Machrek1 se soulèvent, s’auto-organisent, prennent la rue pacifiquement, affrontent la répression, se libèrent de la peur et font entendre leur voix: «Chaab Yourid» - «le peuple veut».(2ème partie)
La ville de Safi sur la côte atlantique connaît un mouvement massif de protestation et une répression féroce depuis le début du M20F. Les habitants, et notamment les jeunes et les chômeurs, organisent d’énormes marches populaires. Kamal Oumari, militant du mouvement, enlevé et torturé, meurt le 2 juin à l’hôpital. Son enterrement est suivi par des dizaines de milliers de manifestants qui réclament le jugement de ses tortionnaires. La répression pour briser le mouvement ne fait que le renforcer. C’est une des régions où le taux de boycott au référendum pour la Constitution a été le plus élevé, où les agents du makhzen2 ont été empêchés de faire leur propagande.
Asfi-sud est un quartier industriel du textile et des conserveries de la sardine destinées à l’exportation actuellement sous le coup de la crise internationale. La conséquence: la fermeture de nombreuses usines et la mise au chômage de 72.000 familles. Le port de Safi à lui seul employait 15.000 ouvriers, il n’en reste plus que 2.000 actuellement. La crise du textile a causé la fermeture de trois usines qui employaient 1.400 ouvriers. Ce quartier pauvre et sous-équipé est pollué par les déchets des industries du phosphate qui sont déversés dans la mer.
Le 1er août 2011, des émeutes éclatent dans ce quartier. Les forces de l’ordre bouclent le quartier et attaquent les manifestants, chargent et poursuivent les jeunes dans les autres quartiers du sud. Toute la population se trouve cernée et attaquée. Les affrontements violents durent toute la journée et toute la nuit. Deux postes de police sont incendiés. Les manifestants disent avoir vu des hommes cagoulés descendre d’une voiture appartenant à la police, remettant en question la version officielle qui incrimine les jeunes des quartiers. Quatorze jeunes sont arrêtés.
Les luttes partout
Le M20F est le départ d’un mouvement de changement dans tout le Maroc, il ne pourra se faire sans les ouvriers, les paysans et les exclus des villes et des campagnes. Par exemple, à Imiter, une ville reculée avec des mines d’argent, les habitants dénoncent le makhzen: les mines sont exploitées par Managem, holding minier du groupe ONA, appartenant au roi. La commune est gérée par le Parti Authenticité et Modernité (PAM), le parti créé en 2008 surtout par l’ami du roi, Fouad Ali El Himma, ancien ministre de l’Intérieur. La population locale vit dans la misère totale. Depuis août 2011 elle organise des marches pacifiques et réclame du travail pour ses enfants dans la région, le transport scolaire, l’accès à une eau propre et l’arrêt de la pollution.
Le pouvoir reste aux mains du roi
La monarchie marocaine reste un rempart puissant au changement, d’autant plus qu’elle est soutenue par les puissances occidentales et les monarchies du Golfe. Presqu’un an est passé et le makhzen reste autiste aux revendications du M20F et cherche à gagner du temps.
En mars, le référendum sur une réforme de la Constitution approuvée à 98,5 % a été boycotté par le mouvement qui a dénoncé les fraudes électorales. En face, le pouvoir organisait des contre-manifestations de royalistes brandissant des portraits du roi. Des sbires sont payés pour agresser et terroriser les membres du M20F, ce qui n’empêche pas la poursuite des manifestations partout.
Le 25 novembre, les élections législatives sont également boycottées par le M20F, les partis de la gauche radicale et le courant Adl Wa Ihssan. Malgré les fraudes et les pressions sur les citoyens d’aller voter, le taux de participation annoncé officiellement de 45% ne dépasse pas en réalité les 24%: un désaveu pour l’Etat et les partis qui ont mené campagne pour le scrutin.
C’est le Parti Justice et Développement (PJD), parti islamiste, libéral, proche du makhzen, mené par Abdelillah Benkirane, qui obtient la majorité avec 20% des voix. Pendant longtemps le PJD peine à constituer un gouvernement.
Pendant ce temps, le Palais mène le jeu. Mohamed VI désigne ses conseillers, dont son ami F. El Himma, tant décrié par les manifestants. Les décisions restent clairement entre les mains du Palais.
Le M20F persiste et signe
Le mouvement est bien conscient qu’avec ou sans le PJD, rien ne changera. Le chef du gouvernement n’est qu’un simple exécutant du roi. Arrivera-t-il à en finir avec le M20F, poursuivre la répression des militants, faire taire les révoltes qui secouent le pays?
Malgré la répression et les arrestations, le M20F ne lâche pas et revendique la libération des détenus, une enquête sur les neuf morts du mouvement, la liberté de manifester, l’accès aux médias publics, l’ouverture des dossiers de corruption.
Pour l’heure, la priorité est d’élargir le mouvement, conscientiser et former des couches populaires qui n’agissent pas encore. Il faut aussi secouer les bureaucraties et mafias syndicales qui bloquent les luttes, divisent les ouvriers et les paysans…
La Cour d’appel de Safi a rendu son jugement le 19 janvier 2012. Durant le procès, une manifestation s’est tenue devant le tribunal pour réclamer la libération immédiate de tous les quatorze détenus. Le jugement est sévère: des peines de prison allant de 4 mois à 4 ans. Ce verdict s’inscrit dans un contexte où le pouvoir est dans l’impasse, incapable de trouver des solutions et répondre aux revendications des jeunes du M20F.
Ce même jour à Rabat, au moment même où le nouveau chef du gouvernement présentait son programme, les diplômés chômeurs exprimaient leur colère devant le parlement. Trois chômeurs se sont immolés par le feu le 18 janvier suite à l’intervention des forces de l’ordre pour les déloger du Centre d’Education National que les militants de l’ANDCM occupent depuis le début de l’année 2012 pour réclamer du travail. Ce mardi 24 janvier, A. Zaydoun, 27 ans, décède à l’hôpital à Casablanca. Les diplômés chômeurs sont décidés de lancer des mobilisations à travers tout le pays pour exiger des réponses des responsables et du nouveau gouvernement.
La libération du rappeur Mouad El Haked après un procès marathon est accueillie comme une première victoire par le M20F et un discrédit pour le pouvoir.
Les condamnations des jeunes de Safi, pour certains mineurs, ne doivent pas être passées sous silence. En plus, ce ne sont pas les seules aujourd’hui au Maroc. Il y en a d’autres à Bouarfa, dans la ville minière de Khouribga... Le Maroc profond, loin des caméras et des médias vit une situation d’insurrection. Les jeunes des villes et des quartiers défavorisés sont en révolte permanente.
Solidarité internationale
Il est urgent de renforcer le soutien international et les liens entre les mouvements dans la région, car la faillite du système mondial de domination et la privatisation du monde nous unissent, au Sud comme au Nord, dans un seul cri de révolte et dans la volonté de prendre en main notre avenir.
- Un terme assez flou qui, en général, regroupe les pays à l’est de la Libye et au nord de l’Arabie Saoudite (Egypte, Palestine, Israël, Jordanie, Liban, Syrie, Irak).
- Ce terme désigne l’appareil de l’Etat, et surtout le pouvoir des conseillers du roi et des hauts fonctionnaires nommés par lui.