Un des deux centres d’accueil et d’identification du Meck-lembourg-Poméranie occidentale se trouve à Nostorf/Horst. Perdu au bord de la route nationale 5, à la frontière du Schleswig-Holstein, le «Lager» (le camp) renvoie, encore aujourd’hui, aux incidents racistes survenus à Rostock-Lichtenhagen en août 1992. En guise de cadeau aux masses agressives d’extrême droite, le gouvernement du Land avait alors délocalisé le centre – et par là même les exilé·es, leurs histoires et leurs préoccupations – à la frontière du Land.
Tout d’abord pensé comme «solution d’urgence», le Lager existe finalement depuis plus de 26 ans, mémorial muet et loin des regards, au milieu de la forêt. On nomme ce genre d’établissements hébergements collectifs, qui se caractérisent par le fait que leurs habitant·es doivent partager leur chambre avec d’autres (parfois avec 8 ou 10 personnes), qu’il n’y a pratiquement aucune possibilité de s’isoler et que les habitant·es sont en permanence soumis à la surveillance et au contrôle des employé·es du centre. Le Lager de Nostorf/Horst a une capacité d’accueil de plusieurs centaines de demandeur·euses d’asile. Ces dernières années, la durée d’hébergement n’a cessé d’augmenter, tout comme le nombre d’expulsions. Avec entre autres conséquences que les enfants du camp n’ont pas accès à l’enseignement, des mois durant. Depuis le début de l’année 2018, on parle beaucoup des AnkER-Zentrum (Ankunft, Ent-scheidung, Rückführung) – centres d’accueil, de décision et d’expulsion. L’objectif officiel est de rendre la procédure d’asile plus «efficace» grâce à la présence sur place de toutes les administrations parties prenantes: le BAMF (l’office fédéral pour la migration et les réfugiés), l’Agence fédérale pour l’emploi, l’office des étrangers, les services sociaux et le tribunal administratif. En ce moment, on aménage dans toute l’Allemagne des AnKER-Zentren, qui ne portent pas partout ce nom. Ils font partie de la politique d’asile toujours plus dure de l’Etat fédéral basée sur les contrôles et les expulsions. Quels que soient leurs noms, ces pratiques ne sont ni plus «rapides» ni plus «efficaces». Ce sont des procédés répressifs et restrictifs qui se déroulent quotidiennement, en silence. Avec sa politique d’expulsion renforcée actuelle, le gouvernement fédéral commet la même erreur que dans les années 90: il amplifie la violence d’Etat, au détriment de la dignité humaine – et aujourd’hui par endroits, contre les directives de l’Union européenne existantes. Cette violence est structurelle dans les lieux où on comprime les gens dans leur situation de vie et de logement, en les soumettant à des contrôles permanents. Mais les personnes directement concernées le ressentent également à un niveau individuel. Les 24.000 expulsions et plus de l’année 2018, dont 40 % suivant les accords de Dublin, sont passées pratiquement inaperçues. Les quelques chiffres et statistiques ne décrivent que la partie émergée de l’iceberg. Les chiffres suivants ont été divulgués par l’Antirassistiche Initiative Berlin (l’Initiative antiraciste de Berlin) sur la base de données du journal officiel entre 1993 et 2018: 288 réfugié·es se sont donné la mort devant la menace de leur expulsion ou sont mort·es en essayant d’échapper à l’expulsion (83 d’entre elles/eux se trouvaient en centre de rétention). 3015 réfugié·es se sont blessé·es par peur ou en guise de protestation face à l’expulsion imminente (grève de la faim ou de la soif) ou bien ont tenté de se suicider (parmi elles/eux, 837 personnes se trouvaient en centre de rétention). 5 personnes sont mortes lors de l’expulsion (par étouffement suite à un ligotage). 556 ont été blessées lors de leur expulsion à cause de sévices ou de mesures coercitives. 38 réfugié·es sont mort·es après leur expulsion dans leur pays d’origine. 621 se sont trouvé·es en danger de mort suite aux mauvais traitements et tortures commis par la police ou les militaires de leur pays d’origine. 75 réfugié·es ont disparu après leur expulsion sans laisser de trace1. Ce ne sont que les plus connues des conséquences mortifères de mesures soi-disant constitutionnelles. Il existe encore moins d’informations sur le destin des personnes refoulées, sur les répercussions au niveau social et sur la santé qu’elles doivent affronter sur le long terme. Une étude récente de Friederike Stahlmann sur des Afghans expulsés d’Allemagne (parue dans l’Asylmagazin du 8.09.2019, p.276 à 286) donnait des résultats effrayants: 90 % des personnes interrogées, rentrées depuis plus de deux mois en Afghanistan, avaient déjà subi des violences massives (tortures, sévices de tous genres, coups, menaces psychiques, attentats). Pour la plupart il s’agissait de punitions pour leur fuite chez l’ennemi. La moitié des personnes interrogées s’étaient déjà remises en route pour fuir le pays. Des exemples isolés, observés personnellement, témoignent d’une transformation traumatique de leur expulsion qui se déroule souvent la nuit d’une manière dramatique et loin des regards. Une femme expulsée avec sa famille vers la Turquie, alors qu’elle était sous traitement médical, et qui pendant le vol sous prétexte de son état d’excitation a été ligotée devant ses enfants, avait après quatre semaines encore de nombreux hématomes sur le corps (constatés lors d’une visite de contrôle à Istanbul). Cette femme a été, une année durant, dans l’incapacité de sortir de la maison et de remplir son rôle de mère de trois enfants. Les exilé·es traumatisé·es encourent souvent le danger d’être de nouveau exposé·es à une violence psychique. Un sondage effectué auprès de jeunes expulsés du Kosovo par le Conseil des étrangers de Bavière a mis en évidence un grand taux d’échec en matière de subsistance, de scolarité, ainsi que des phénomènes de déracinement, de trouble de l’identité, de résignation, de dépression et de troubles du développement. Ils sont nombreux à souffrir du souvenir douloureux des images de leur expulsion, encore plusieurs mois après les faits. Même lors d’une tentative d’expulsion interrompue avec succès, on peut constater des réactions de stress. Etats dissociatifs graves, cauchemars, réactions d’angoisse massives nécessitent des soins pouvant durer des mois. Un homme de 50 ans originaire du Togo, vivant en Allemagne depuis plusieurs années, bien intégré, en bonne santé morale et physique a été surpris de voir la police débarquer chez lui pour l’expulser vers le Togo. Dans un état dissociatif (et pas avec l’intention de se suicider), il a sauté par-dessus la balustrade de son balcon et s’est retrouvé avec une fracture grave du bassin. Aujourd’hui, deux ans après, il a toujours mal et ne peut marcher sans béquilles. Le renouvellement mensuel de sa Duldung (séjour «toléré» qui ne protège pas de l’expulsion) a provoqué chez lui des insomnies et des crises d’angoisse et même quand sa durée est passée à trois mois, cela ne l’a pas soulagé. Son état psychique ne s’est qu’accessoirement stabilisé malgré une psychothérapie. Il se trouve toujours dans l’incapacité de travailler. Pour les personnes déjà traumatisées, psychiquement malades ou handicapées, le vécu de l’expulsion est encore plus dramatique. Après avoir, souvent avec difficulté, acquis un sentiment de sécurité, elles se voient retirer leurs moyens d’existence et connaissent à nouveau la détresse, l’impuissance et la désorientation qui à leur tour réouvrent les vieilles cicatrices psychiques, ouvrant la porte à des réactions redoublées. Ces traumatismes renouvelés conduisent souvent à une perte de confiance et un sentiment d’insécurité durables, même si à la fin ces personnes obtiennent un séjour sûr. Les expulsions agissent de façon dévastatrice également sur les personnes qui n’ont été «que» témoins de ces mesures de contrainte, même si elles n’étaient pas directement concernées. Les exilé·es qui après avoir connu les persécutions, une fuite éprouvante, une existence menacée deviennent témoins, dans leurs hébergements collectifs et leur camps de réfugié·es, de mesures d’expulsion essentiellement nocturnes sont particulièrement vulnérables. Celles et ceux qui accompagnent depuis longtemps les personnes au statut incertain (par exemple, la Duldung) savent combien le déroulement de leurs nuits est dramatique. Elles s’effrayent du moindre bruit de voiture, se précipitent à la fenêtre pour observer s’il s’agit d’une voiture de police, n’arrivent plus à se rendormir et abordent la journée du lendemain complètement épuisées. Après quelques mois, ces personnes sont abattues, incapables d’agir et donc incapables de travailler, même si elles ne sont pas elles-mêmes expulsées. Elles tombent par conséquent dans une grande précarité, et dans leur panique perdent la dernière lueur d’espoir d’un séjour sûr. Certaines personnes se laissent séduire par des actions paradoxales, comme par exemple la fuite dans un autre pays européen, même si cela les pénalise un peu plus. D’une manière ou d’une autre, les expulsions sont synonymes de stress, accompagné parfois d’une réaction extrêmement végétative. Si le séjour est, sur une longue période, sans cesse menacé ou pour le moins incertain, on voit apparaître en règle générale des symptômes d’hypertension, des maladies cardio-vasculaires et/ou un syndrome métabolique. A la suite d’une expulsion dramatique, à partir de Rhénanie-Palatinat vers le Kosovo, une mère de 40 ans d’une grande famille rom kosovare est morte des suites d’une hémorragie cérébrale consécutive à une crise d’hypertension. La relation de cause à effet avec l’expulsion était envisageable, mais difficile à prouver. Après une campagne de sensibilisation, les autorités ont finalement fait preuve de compréhension et ont permis le retour du reste de la famille, dont des écoliers. Ayant perdu tout espoir d’obtenir un jour une existence sûre en Allemagne ou dans un autre pays européen, certain·es deviennent suicidaires. Heureusement le nombre de personnes qui traduisent leur désespoir et leur dépression par un acte suicidaire est jusqu’à ce jour relativement faible. La souffrance des enfants et des adolescents après l’expulsion est très souvent ignorée. Ils endurent en silence, donnent souvent l’impression d’être forts et de ne pas se laisser impressionner, surtout quand leurs parents sont démunis face à la situation précaire. Les conséquences de cette substitution du rôle parental se manifestent quelques années plus tard, par exemple lors de la puberté ou au stade de jeune adulte. Ils deviennent hyperactifs, rejettent toute responsabilité, sont résignés, destructifs, adoptent un comportement autodestructeur, prennent des drogues ou bien deviennent clairement dépressifs. Certains réagissent avec une action traumatique à retardement ou bien développent un état de stress post-traumatique. L’article 1 de notre constitution «La dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger» est, dans le cas de l’expulsion, bafoué au nom de la conformité à une règle abstraite. Dans une société ouverte, démocratique il est indispensable de prendre la défense de cette obligation.
Source: www.bleiberecht-mv.org Pro Bleiberecht (Pour le droit au séjour) est une initiative antiraciste qui s’engage au niveau du Mecklembourg-Poméranie occidentale pour les droits des requérant·es d’asile. Ce groupe est très attaché à soutenir les perspectives des demandeur·euses d’asile dans le discours public.
Communiqué de presse de l’Initiative antiraciste de Berlin de juin 2019↩