Le 15 février dernier, au terme d’un an d’enquête, l’Office européen de Lutte Anti Fraude (OLAF) rendait son rapport sur l’agence Frontex et son implication dans les fameux pushbacks. Ce rapport de 129 pages était resté secret jusqu’à présent. Heureusement, il a été transmis à une équipe de recherche constituée de journalistes de Lighthouse Report (Pays-bas), Le Monde (France) et Der Spiegel (Allemagne).
Il prouve d’une part l’implication de Frontex dans les violations massives des droits humains à l’encontre des migrant·es aux frontières extérieures de l’Europe, et d’autre part, le refus systématique de contrôle de la part de la direction de Frontex, que ce soit par ses propres organes ou par d’autres organes européens. Quiconque aurait besoin d’une preuve de la non réformabilité de cette agence, sachez que la Lettonne Aija Kalnaja, actuelle directrice de Frontex qui a succédé au Français Fabrice Leggeri après sa démission lorsque l’Olaf a recommandé l’ouverture contre lui d’une procédure disciplinaire, affirme ne pas avoir lu le rapport.
En ce qui concerne le contrôle interne, un seul exemple: la directrice de Frontex responsable du respect des droits fondamentaux, l’Espagnole Immaculada Arnaez, était surnommée «Pol Pot» par l’équipe de direction de Frontex autour de Leggeri. Cette même direction est citée dans le rapport en stipulant que les mécanismes de contrôle de l’UE pourraient remettre en cause la survie de l’agence (1). Qui veut et peut encore croire sérieusement à la possibilité de réformer un tel monstre?
Le scandale dans le scandale
La Suisse est également membre de Frontex et délègue ainsi deux membres à son conseil d’administration. Madame et Monsieur Medea Meier et Marco Benz auraient donc dû avoir connaissance du rapport et auraient dû informer le Conseil fédéral de son caractère explosif. Le public suisse aurait également dû être informé de son contenu, car il votait le 15 mai sur une augmentation massive de la participation financière et personnelle de la Suisse à Frontex.
Lorsque le membre du conseil d’administration Marco Benz a affirmé publiquement, pendant la campagne de votation en avril, que Frontex prenait la protection des droits fondamentaux très au sérieux, il avait déjà connaissance du contenu du rapport Olaf. Interrogé par le journal de Zürich la Woz (2), l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF), qui dépend du conseiller fédéral Ueli Maurer, confirme que les membres ont eu la possibilité de consulter le rapport sur place. «La représentante suisse au conseil d’administration en a fait usage le 7 mars 2022 et a rendu compte par la suite». Ce qui signifie qu’au moins le ministre des Finances Maurer et la ministre de la Justice Keller-Suter auraient également dû avoir connaissance des conclusions désastreuses de l’enquête à partir de cette date.
La participation du Conseil fédéral suisse à la dissimulation et au camouflage systématique des dysfonctionnements au sein de Frontex et à la tromperie de la population suisse avant la votation populaire du 15 mai 2022 est donc avérée.
Claude Braun, FCE Suisse
- article du Monde du 29.7.2022
- paru dans la Woz du 4.8.2022