Fin juillet, les forces d’intervention ont pris d’assaut le mémorial de Peršmanhof dans le sud de la Carinthie et le camp antifasciste qui s’y tenait. Le musée est l’un des sites commémoratifs les plus importants du pays dédié à la résistance et aux victimes civiles du régime nazi. Le camp était axé sur l’éducation antifasciste et la commémoration du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les autorités ont justifié l’intervention de la police par un camping sauvage et des infractions à la loi sur la protection de la nature.
Le dimanche 27 juillet, une douzaine de policier·es, dont certain·es lourdement armé·es, sous la direction d’un fonctionnaire de la sûreté de l’État, accompagnés de l’Office fédéral des étranger·es et de l’asile, ainsi que de la préfecture du district de Völkermarkt, d’un hélicoptère de police, de drones et d’une équipe cynophile, ont fouillé le camp d’éducation antifasciste au musée de Peršmanhof et relevé l’identité des participant·es. L’opération a duré quatre heures et trois personnes ont été temporairement arrêtées. La coorganisatrice du camp, Mira Gabriel, se remémore le dimanche où la police a fait irruption au musée: «Un policier se tenait devant nous, il criait, une main sur son arme et tremblait de l’autre parce qu’il était nerveux. Ce n’est vraiment pas une bonne combinaison».
Environ 60 personnes participaient à ce camp, organisé par le Club des étudiant·es slovènes de Vienne (KSŠŠD) – avec l’accord explicite de la direction du musée, qui avait autorisé le camping sur le site.
Outre des étudiant·es et des activistes, les descendant·es des victimes étaient également pré-sent·es, plusieurs ayant déclaré avoir été traumatisé·es par les événements. L’un d’entre eux est Bernard Sadovnik, maire du village voisin de Globasnitz et président du conseil consultatif des groupes ethniques: «Une intervention policière aussi massive, 80 ans exactement après le massacre, rouvre des blessures chez moi en tant que descendant. Je suis sans voix et profondément touché par les entretiens avec les jeunes sur place. J’exige un traitement politique immédiat et sans faille de cet incident scandaleux».
La direction du musée le même jour dans un communiqué de presse: «Dans un lieu où, peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, des membres du 13e régiment SS et de police ont brutalement assassiné onze membres des familles Sadovnik et Kogoj, dont sept enfants, une action aussi disproportionnée et agressive doit être considérée comme un manque de piété et de respect. Le travail d’éducation et de mémoire pour les visiteur/trices présent·es a ainsi été gravement perturbé». Markus Gönitzer, président de Društvo/association Peršman: «Une telle démarche de la part des autorités et du pouvoir exécutif témoigne d’une grande ignorance et d’un manque de sensibilité vis-à-vis du contexte historique sensible dans lequel travaille le musée Peršmanhof. En cette année du souvenir 2025, une telle démarche sur un ancien lieu de crime nazi est une expérience douloureuse, non seulement pour le musée Peršman, mais aussi pour tous les lieux et initiatives de mémoire de notre pays. Que révèlent ces événements sur l’estime portée à la communauté slovène de Carinthie et à son histoire?»
Le seul musée de ce type
L’ancienne ferme de montagne Peršman, située dans la commune de Bad Eisenkappel, se trouve à 1.000 mètres d’altitude, à 12 km du village, entourée de pâturages et de forêts. Pendant la période nazie, les habitant·es de la ferme, des Autrichien·nes slovènes soutenaient la lutte de libération antifasciste en fournissant de la nourriture, des vêtements et un abri, jusqu’à ce que les SS commettent un massacre et brûlent la ferme, fin avril 1945. Les meurtriers n’ont jamais été punis, le groupe linguistique slovène en Carinthie a continué à être discriminé après 1945 et la résistance antifasciste a été proscrite, bien que l’Autriche ait retrouvé sa souveraineté en 1955 grâce au traité d’État (la Constitution), notamment en raison de sa propre contribution à la libération du fascisme.
Les troupes alliées se sont retirées. Pendant des décennies, il ne resta du Peršman que des ruines, jusqu’à ce qu’au début des années 1980, des volontaires yougoslaves et autrichien·nes re-construisent la maison et y créent un mémorial et un musée, le seul de ce type en Carinthie.
Le siège du Forum Civique Européen-Autriche se trouve à quelques kilomètres de Peršman, à Stopar, la ferme de montagne de la coopérative européenne Longo maï. Le jour de la rafle, plusieurs participant·es au camp Antifa assistaient à un atelier d’herboristerie à Stopar.
Depuis l’ouverture du musée en 1982, nous avons fait visiter le musée Peršman à tous·tes nos invité·es. Immédiatement après l’intervention de la police, nous avons informé nos amis en Autriche et à l’étranger. De nombreuses lettres de protestation sont ensuite parvenues au ministère de l’Intérieur, au chancelier fédéral et au gouverneur du Land (chef du gouvernement régional).
De nombreuses organisations et individus ont critiqué l’intervention de la police, notamment le mémorial du camp de concentration de Mauthausen, le DÖW (Archives de documentation de la résistance autrichienne), la communauté autrichienne du camp de Ravensbrück, l’église catholique de Carinthie et tous les chefs de parti, à l’exception du FPÖ[1]. Quelques jours après l’agression, des manifestations très suivies ont eu lieu à Vienne et à Klagenfurt.
Une intervention comme une autre
Et la police? Le chef d’intervention est en congé maladie, silence, personne n’assume la responsabilité. Deux jours après l’agression, le directeur adjoint de la police de Carinthie, M. Plazer, a déclaré dans l’émission ZIB II, le journal télévisé de fin de soirée de l’ORF[2], qu’il s’agissait d’une intervention comme les autres. Il a exprimé ses regrets au représentant de la communauté ethnique, Bernard Sadovnik. Il a refusé de présenter des excuses à la direction du musée et aux participant·es du camp. Lorsque le présentateur a demandé pourquoi la protection de la Constitution intervenait en cas d’infraction à la loi sur la protection de la nature, Plazer a répondu que l’antifa, c’était la gauche et qu’il était bien connu qu’il y avait toujours des extrémistes. L’antifascisme est apparemment soupçonné d’extrémisme par la police de Carinthie. Le droit garanti aux Slovènes de Carinthie de s’exprimer dans leur langue maternelle lors de l’interrogatoire a également été considéré comme une provocation, une escalade, voire une résistance à l’autorité de l’État par certains fonctionnaires de l’exécutif.
La coorganisatrice Mira Gabriel trouve scandaleux que le chef de l’intervention ait justifié la rafle en disant que le camp d’éducation constituait une «utilisation contraire aux bonnes mœurs» du mémorial: «En tant que descendant·es, nous commémorons la résistance. Et pas seulement en nous y rendant brièvement, en pleurant et en repartant. Que des policiers veuillent nous dicter comment nous devons commémorer, c’est un scandale».
Plusieurs participant·es parlent d’intimidation et soupçonnent une motivation politique derrière l’opération. C’est le cas de l’avocat des Slovènes de Carinthie, Rudi Vouk, qui déclare à l’ORF: «À mon avis, il s’agissait d’une action planifiée de longue date, dans le but d’intimider les jeunes qui cultivent la mémoire antifasciste». Vouk suppose qu’il s’agissait avant tout d’obtenir les données personnelles des participant·es et a déposé plainte pour soupçon d’abus de pouvoir.
Lorsqu’il s’agit de l’extrême droite, les autorités chargées de la sécurité agissent avec beaucoup plus de modération. Le week-end où la rafle a eu lieu en Carinthie, le mouvement identitaire d’extrême droite a organisé une manifestation à Vienne. Malgré des slogans haineux tels que «Les étrangers dehors! L’Allemagne aux Allemands!» (sic), la police n’a interpellé que des personnes participant à la contre-manifestation.
L’ambassadeur slovène stupéfait
La pression politique vient du pays voisin, la Slovénie. La ministre slovène des Affaires étrangères Tanja Fajon demande des explications. L’ambassadeur slovène à Vienne, Aleksander Geržina, qualifie l’intervention de la police d’«heure zéro pour la Carinthie». Il n’arrive toujours pas à croire «qu’une telle chose soit possible dans une république démocratique. Ici, on a perdu tout sens de la mesure», a déclaré le diplomate. Il a fait remarquer que l’année précédente, le même événement avait eu lieu au même endroit. «À l’époque, un seul policier était venu et était reparti cinq minutes plus tard», a-t-il déclaré. Il a été particulièrement choqué par l’arrestation brutale de Nikolaj Orasche, le secrétaire de l’association des partisans de Carinthie. Orasche a été plaqué au sol et arrêté par un policier alors qu’il insistait pour parler dans sa langue maternelle, le slovène. Il existe un enregistrement vidéo. L’ambassadeur a demandé au ministère de l’Intérieur et au gouverneur de province de faire rapidement la lumière sur cette affaire. «Cela ne peut tout de même pas prendre des semaines pour découvrir qui a donné quels ordres à qui. Or, la lutte des partisans de Carinthie a justement joué un rôle très important dans la réhabilitation de l’Autriche».
Le président fédéral Alexander van der Bellen et le chancelier Christian Stocker (ÖVP3 ) ont réagi à cette pression en soulignant tous deux que les interventions dans un tel lieu nécessite-raient de la délicatesse – une critique formulée de manière très diplomatique à l’égard de l’intervention policière. Dès le lendemain, les Verts ont adressé une demande au ministre de l’Intérieur comprenant 55 questions. Iels veulent notamment savoir qui a ordonné l’intervention et si le ministère en avait connaissance.
Commission mise en place
Le ministre de l’Intérieur Karner (ÖVP) et le gouverneur Kaiser (SPÖ4) s’efforcent de limiter les dégâts et ont mis en place une commission d’enquête. Eva Hartmann, vice-présidente de Peršmanhof, a déclaré à ce sujet: «Même si diverses spéculations et, pour ainsi dire, des écrans de fumée sont mis en place actuellement, l’origine n’est toujours pas clarifiée deux semaines après l’intervention. Et c’est là, à notre avis, le grave problème dans cette discussion.» La direction de l’association salue la mise en place de la commission.
La commission multiprofessionnelle est composée de représentant·es des deux associations Peršman, de la communauté ethnique slovène de Carinthie, de la directrice du mémorial du camp de concentration de Mauthausen, de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de personnes issues des domaines scientifique et juridique. Selon le ministère de l’Intérieur, la commission commencera immédiatement ses travaux et livrera ses conclusions d’ici fin septembre.
Pour le président d’une des associations Peršman, M. Gönitzer, «l’Autriche semble toujours avoir du mal à s’engager en faveur de l’antifascisme lorsqu’il ne s’agit pas seulement d’un symbole. Le fait que l’on discute maintenant pour savoir si le fait d’exiger le slovène comme langue officielle était une provocation montre bien que l’adhésion à l’article 7 du traité d’État (dans le-quel sont définis les droits des minorités) n’existe toujours pas, pas plus que l’affirmation que l’antifascisme est un pilier de cette démocratie».
La bonne nouvelle: le sujet ne cesse de faire parler de lui. Des articles continuent d’apparaître dans la presse et sur les réseaux sociaux. Nous ne laisserons pas l’antifascisme être criminalisé!
Heike Schiebeck, FCE-Autriche