Semer la résistance, Sème ta résistance. Pour certaines, cela sonne comme un slogan cool, un T-shirt à la mode, une variété colorée de tomates ou de courges – pour d’autres, comme un dernier acte d’espoir pour continuer à vivre, avoir un avenir, quelque chose à manger, un peu d’autonomie, d’autodétermination au milieu des ruines.
Ces trois mots ont été le slogan d’un rassemblement international de trois jours, début octobre, d’environ 500 paysans et paysannes dans la station balnéaire de luxe d’Antibes, sur la Côte d’Azur, organisé par le Réseau français pour les Semences Paysannes (RSP). Dans le monde entier, ce slogan signifie le droit de conserver et de transmettre ses propres semences, le droit de reproduire sa propre récolte.
Les groupes semenciers font tout pour contraindre les paysan·nes à dépendre de leurs variétés industrielles, et donc des pesticides et des engrais artificiels. Dans de nombreux pays, la révolution verte a fait en sorte que les anciennes variétés indigènes disparaissent du marché et que les gens soient contraints de se rabattre sur les semences industrielles; iels deviennent ainsi dépendant·es de produits de pulvérisation coûteux.
Ansar, qui travaille principalement en Irak, a montré comment la dépendance vis-à-vis des entreprises semencières a été utilisée comme une arme contre l’autosuffisance de la population en Syrie et en Irak. Dans ces deux pays, la banque nationale de gènes de variétés indigènes anciennes a été détruite pendant les guerres locales, et avec elle l’accès des producteur/trices à leurs variétés autochtones et à leurs habitudes alimentaires d’origine. Depuis lors, seuls ceux et celles qui sont approuvé·es par le gouvernement ont accès aux semences.
Ieke de Longo maï a montré que de nombreuses variétés anciennes de ces pays sont encore pré-sentes aujourd’hui dans les banques de gènes européennes et qu’il est nécessaire de ramener ces variétés dans ces pays, auprès des paysan·nes. Les ami·es palestinien·nes de Cisjordanie, qui avaient fait le voyage malgré l’incertitude de retrouver leur village et leur famille intacts à leur retour, ont été accueilli·es par des applaudissements nourris. Il leur était très important de rompre l’isolement qu’Israël construit autour d’eux, de décrire la menace permanente que font peser sur leurs villages les colons israéliens, et maintenant l’armée israélienne, dont l’objectif est de chasser la population palestinienne de ses terres. Nos ami·es libanais·es du projet Buzuruna Juzuruna (nos racines sont dans les semences) sont en quelque sorte devenus les porteur/euses d’espoir de la conférence, car iels enseignent, présentent et diffusent depuis des années les idées de l’agroécologie et des anciennes variétés indigènes au Proche-Orient. Iels ont rassemblé des personnes d’Irak, de Syrie, de Palestine et d’Égypte et les ont formées à une agriculture d’autosuffisance. Parallèlement, iels leur ont donné accès à certaines de leurs variétés anciennes.
Leur projet dans la plaine de la Bekaa se trouve désormais au cœur de la guerre et iels sont confronté·es à la question de savoir s’iels doivent fuir ou rester – où aller avec leur précieuse collection de semences pour les mettre à l’abri de la destruction? Les organisations internationales appellent à quitter le Liban, mais jusqu’à présent, leur présence sur place est très importante, car Buzuruna Juzuruna fournit, avec la récolte de l’année dernière, de la farine, des haricots, des lentilles et des légumes à de nombreuses cuisines populaires qui ont été créées pour les personnes déplacées. S’iels partent maintenant, comment et quand retrouveront-iels leur projet? 800.000 réfugié·es syrien·nes qui ont jusqu’à présent trouvé refuge au Liban, sont prié·es de retourner en Syrie. Iels seront poussé·es dans les mains du régime d’Assad qu’iels ont fui. Une centaine de questions se posent lorsque la paix fragile est détruite et chaque famille doit trouver une réponse.
Pouvoir se rencontrer en dehors de la guerre est très important pour nouer des amitiés, ap-prendre à se connaître et construire une confiance mutuelle, indépendamment de la propagande de guerre démagogique des différents camps. C’est pourquoi il a été très utile que les participant·es à la conférence puissent se rencontrer pendant trois jours avant la conférence dans les fermes des membres du réseau français RSP. Longo maï a accueilli pendant ces trois jours les délégations du Proche-Orient: d’Iran, d’Irak, du Liban, d’Égypte, ainsi que des Palestinien·nes. L’intérêt mutuel et la question de savoir comment iels pourraient se soutenir mutuellement à l’avenir étaient si grands qu’iels se sont réunis pour plusieurs jours dans l’une des coopératives de Longo maï, juste après la conférence. Les discussions sur l’alimentation autodéterminée en temps de guerre et la compréhension au-delà des frontières sont bien plus importantes que toutes les discussions acharnées sur la culpabilité et l’innocence, et nous avons pu créer l’espace nécessaire pour que ces discussions puissent avoir lieu pour certaines personnes directement concernées. En même temps, iels étaient constamment au téléphone pour savoir ce qui se passait dans leur village.
Nous avons la possibilité de leur redonner accès à leurs variétés, qui sont stockées dans les banques de gènes européennes à la manière coloniale occidentale, et nous espérons que ces liens vivront encore longtemps et que nous pourrons nous encourager et nous soutenir mutuellement.
Jürgen Holzapfel, Longo maï – FCE France
Triste Nouvelle
Le 21 octobre dernier, Philippe Rizk nous annonçait que le jeune paysan Yousef Abou Rabea, que nous avions soutenu1, venait d’être assassiné à Gaza. Yousef, 24 ans, était retourné contre l’avis de ses proches au nord de Gaza pour produire de la nourriture là où la famine se faisait la plus menaçante. Comme le dit Philippe, «malheureusement ce n’est pas une ‘surprise’ vu les plans annoncés par l’État israélien pour le nord de la bande de Gaza de détruire toute vie, les humains, les animaux et les plantes avec des conséquences à long terme pour le pays. Encore la veille, Yousef avait distribué 400 paniers de vivres avec des aubergines, poivrons et courgettes aux habitant·es. Il avait de grands projets pour son pays».
Hier, samedi 26 octobre, à la rencontre Les Peuples Veulent2, Lina, une militante palestinienne qui était en relation étroite avec Yousef, a précisé dans son intervention ce qui s’est passé. C’était clairement un assassinat ciblé contre quelqu’un qui était fortement actif et entreprenant pour continuer à assurer, dans un contexte quasi impossible, un minimum d’autonomie alimentaire. Il revenait d’une distribution de nourriture à des familles et a été traqué par un drone qui l’a suivi un certain temps avant de le liquider, ainsi que deux de ses amis.
La rédaction
- Voir «Gaza: Semer les graines de l’espoir» de Laila El-Haddad, Archipel 337 de juin 2024.
- Les rencontres internationalistes Les Peuples Veulent ont tenu leur 5e édition à Marseille les 26 et 27 octobre 2024. Initialement impulsées par la Cantine Sy-rienne de Montreuil dans le sillage des révoltes de 2019, ces rencontres sont une proposition pour intensifier des circulations révolutionnaires entre luttes et terri-toires aux quatre coins du monde.