SUISSE / MIGRATIONS: Hommage à notre ami Danilo Gay

de Claude Braun, FCE, 9 févr. 2025, publié à Archipel 344

Danilo Gay est décédé le 3 janvier 2025 à Lausanne, à l’âge de 81 ans. «Even dead he is still organising donations for us in Sarajevo» dit Ines Tanović de l’organisation d’aide Kompas de Sarajevo lors des funérailles de Danilo, qui ont eu lieu à la Vallée de Joux où il est né. Le petit village a été littéralement pris d’assaut; environ 400 personnes sont venues de près ou de loin.

Danilo avait un énorme réseau, était respecté et aimé. L’église était pleine à craquer: il y avait bien sûr la famille, nombreuse, et des personnes de toutes les phases de la vie de Danilo – dont beaucoup de personnes issues de la migration. Danilo a grandi dans des conditions modestes au sein d’une large famille. Son père était horloger, comme beaucoup dans la région. Comme il se faisait remarquer à l’école par ses bons résultats, il a fait un apprentissage de commerce à la banque cantonale, où il a également réussi. Cependant, il s’est senti appelé à quelque chose de complètement différent, il était de plus en plus attiré par les activités missionnaires qui l’ont mené, lui et sa femme Lisette, de Genève vers le monde entier.

Dans les années 1970, il a passé plusieurs années avec sa famille au Congo en tant que missionnaire, puis dans les années 1980, de nombreuses années au Québec. Plus tard, il a également été actif en Russie. À l’époque de sa retraite, il a trouvé une nouvelle mission: Lisette et lui ont décidé de consacrer une grande partie de leur énergie vitale aux migrant·es. C’est ainsi que Da-nilo a commencé à travailler bénévolement à la recherche de fonds pour l’ARAVOH[1] à Vallorbe. Vallorbe est une petite localité, où se trouvait un centre d’enregistrement pour demandeur·euses d’asile de la Confédération. L’ARAVOH coordonne les nombreux bénévoles qui tentent d’apporter un peu d’humanité au triste quotidien des requérant·es d’asile.

En novembre 2019, lui, sa femme Lisette, leur fille Joëlle et son petit-fils Samuel ont assisté à une séance d’information que nous avions organisée dans le cadre du FCE à Berne. Trois jeunes femmes actives de Bosnie et de Croatie étaient venues témoigner des atrocités commises à l’encontre des personnes en migration dans cette région. Elles ont parlé des centaines de push backs qui ont lieu sur ordre de la Forteresse Europe par les forces de sécurité croates. Des actes de violence inqualifiables et des humiliations des demandeur·euses d’asile sont monnaie courante. Depuis 2015 et la fermeture de facto de l’espace Schengen, la Bosnie-Herzégovine est devenue le nouveau lieu de passage et de vie de milliers d’exilé·es. Danilo, Lisette, Joëlle, Samuel et deux autres amis ont été tellement révolté·es et touché·es qu’iels ont décidé de s’intéresser personnellement à la situation là-bas et s’y sont rendu·es brièvement.

Au cours de ce premier voyage, Danilo a fait par hasard la connaissance d’Ines Tanović; une forte amitié allait naître de cette rencontre. Dès lors, lui et ses proches ont récolté plusieurs dizaines de milliers de francs pour les centres d’accueil pour réfugié·es nouvellement créés à Sarajevo et Bihać par Kompas[2]. Danilo était infatigable pour trouver de nouveaux cercles pour soutenir ce travail.

L’événement le plus extraordinaire dont je me souvienne dans ce contexte est un repas de solidarité qu’il a organisé à la caserne militaire de Bière, dans le canton de Vaud. Dans le cadre feutré du réfectoire des officiers, décoré d’armoiries et d’armes anciennes, nous avons dégusté un menu de qualité à plusieurs plats, préparé par un chef renommé et une armée de volontaires. La plupart des personnes présentes se trouvaient certainement pour la première fois dans une telle salle. Les bénéfices considérables de l’événement ont bien entendu été reversés à Kompas et à d’autres initiatives d’aide à Tuzla en Bosnie.

Danilo était infatigable dans son engagement et a même pu, après l’annonce de sa maladie, mettre en place la continuité de son travail. En effet, sa fille Joëlle et Jean-Marie qui faisait aussi partie du premier voyage, continueront après lui. La prochaine délégation de solidarité se rendra en Bosnie-Herzégovine début février. Dans l’avis de décès, la famille a appelé, plutôt que de se recueillir avec des fleurs, à verser des dons sur le compte de l’association «Aide aux migrants en Bosnie»[3].

Danilo nous manquera. Son énergie inébranlable, sa nature aimante, liées à son engagement profondément humain et politique aussi.

PS. Fin 2023, le célèbre animateur de télévision à la retraite Jean-Philippe Rapp avait réalisé une interview touchante de Danilo devant un chalet d’alpage de la Vallée de Joux. Vous la trouverez ici: https://www.valtv.ch/danilo-gay/.

Claude Braun, FCE - Suisse

  1. Association auprès des Requérants d’Asile Vallorbe Œcuménique et Humanitaire.
  2. Depuis 2016, l’initiative de la société civile Kompas à Sarajevo fournit à des milliers de personnes en migration sur la route des Balkans les denrées alimentaires, le linge, le couchage et les douches nécessaires. Une aide juridique est également proposée. Voir l’article «Purgatoire pour les indésirables» d’Ines Tanovic dans Archipel NO 336, mai 2024.
  3. N’hésitez pas à y participer: «Aide aux migrant·es en Bosnie», avenue de Préfaully 15a, CH-1022 Chavannes-près-Renens, IBAN: CH74 0900 0000 1642 4290 0.