SOLIDARITÉ: Pas d'extradition vers la Hongrie

de Luc Skaille, 13 mai 2025, publié à Archipel 347

Un jugement décisif: le 9 avril 2025, la Cour d’appel de Paris décidait de rejeter la demande d’extradition vers la Hongrie dans le cas de l’antifasciste Gino Abazaj.

Il s’agit d’une deuxième décision dans ce sens, dans le contexte de la vague de persécution contre les antifascistes qui contestaient l’évènement nazi «Jour de l’honneur» en 2023. Le refus d’un mandat d’arrêt européen est une rareté dans le soi-disant «espace de liberté et de justice». Dans le cas de la Hongrie, il doit devenir la règle.

Depuis la décision du Conseil de 2002, les États de l’UE s’engagent à coopérer largement en matière d’extradition. Selon le «principe de reconnaissance mutuelle», des milliers d’expulsions simplifiées ont lieu chaque année dans des cas de «délits graves» sur la base du mandat d’arrêt européen. Mais cette coopération largement automatique nécessite un cadre rigoureux que Budapest ne remplit pas.

Dans le cas de Gino, la justice parisienne a suivi la Cour de Milan qui, il y a un an, avait refusé d’extrader le militant antifasciste Gabriele vers Budapest. Les juges ont ainsi réaffirmé que la Hongrie violait des valeurs centrales de la Convention européenne des droits de l’homme. Les juré·es mettent en doute les efforts de «prévention de la torture» et le droit à un «procès équitable». Des conditions de détention et de procès inacceptables dans «l’affaire de Budapest» avaient été précédemment attestées par des rapports d’antifas emprisonné·es et de leurs soutiens. Des images de prisonnièr·es entravé·es et tenu·es en laisse devant le tribunal ont choqué l’opinion publique.

La diffamation publique des dissident·es et la normalisation de l’agitation néofasciste font par-tie intégrante du discours du parti majoritaire Fidesz. Celles et ceux qui rendent hommage chaque année au nazisme à Budapest sont considéré·es comme des «citoyen·nes intègres» et les antifas sont élevé·es au rang de «criminel·les». Ici, une minimisation totale du nazisme rencontre l’épouvantail bienvenu de l’antifascisme, qui est même assimilé au «terrorisme» à des fins de persécution internationale. La condamnation est préalable, tandis que le mandat d’arrêt européen est utilisé à mauvais escient. Et même au-delà de «l’affaire de Budapest», l’État hongrois s’efforce d’abuser du droit politiquement. L’interdiction de la Pride ou le refus de respecter les statuts de la Cour pénale internationale n’en sont que les exemples les plus récents. Orbán fait de la justice hongroise un instrument pour son autocratie électorale.

Il existe aujourd’hui suffisamment d’arguments pour ne pas accepter les extraditions vers la Hongrie. Mais une appropriation de ces procédures par les tribunaux européens est également plus que douteuse, car les motifs politiques constituent la base des enquêtes. Les normes juridiques européennes sont négligées dans les procédures. Lorsque la Hongrie construit une «tentative d’assassinat par une organisation criminelle» à partir des affrontements en marge de la «Journée de l’honneur», cela semble aussi peu sérieux que lorsque la justice écrit dans l’affaire de Gino avant même l’ouverture du procès: «Monsieur Abazaj purgera sa peine à la prison cen-trale de Budapest».

Dans ce contexte, les autorités allemandes recherchent depuis des années, avec un succès limité, à exécuter d’autres mandats d’arrêt européens pour Orbán. Sept antifascistes se sont rendu·es en janvier de cette année afin d’échapper aux poursuites de la Hongrie. Actuellement, iels doivent craindre d’être expulsé·es en raison des mêmes affrontements. Mais le recul des normes de l’État de droit et l’assourdissant acharnement de l’administration Orbán contre les mouvements sociaux devraient également réveiller les autorités allemandes. Les lacunes systémiques de la justice hongroise, qui ont été prouvées à plusieurs reprises, doivent être prises en compte dans les futures décisions et ne laissent qu’une seule conclusion: liberté pour toustes les antifascistes!

Luc Śkaille