Dans un des territoires les plus touchés par l’exode rural, un groupe de jeunes réalise un projet de repeuplement rural pour rendre la vie à un village exproprié dans les années 1960 par le franquisme. La réponse de l’État, au lieu de faciliter l’émergence de tels projets en ces temps d’urgence climatique, a été la répression visant à détruire une nouvelle fois le village, et les jeunes qui mènent cette reconstruction sont condamnés d’aller en prison.
Fraguas est un petit village du versant nord de la montagne de Guadalajara en Espagne, fondé au 15e siècle, dont les habitant·es au cours des siècles ont toujours vécu du travail manuel. Ni les routes, ni l’électricité, ne sont jamais arrivées jusqu’à ce village. Dans les années 1960 l’ICONA, aujourd’hui la TRAGSA (entreprise étatique franquiste qui s’est maintenue après la dictature) a détruit le village de plusieurs façons. Des ingénieurs, des agents forestiers, des gardes civils, et d’autres représentants de l’Etat ont décidé d’abolir la souveraineté de Fraguas sur ses alpages communaux et de contraindre ses habitant·es à la migration. La plantation industrielle de pins et l’interdiction de l’accès du bétail aux pâturages communaux ont détruit l’économie de Fraguas. Dans le même temps, un matraquage idéologique écrasant en faveur de la ville, de la modernité et radicalement anti-rural a eu comme conséquence que les gens de la campagne se sont sentis fortement dévalorisés. En outre, dans les années 1990 le village, déjà en ruine, a été utilisé par l’armée pour des manœuvres militaires en vue de la guerre en Bosnie.
Renaissance
Au printemps 2013, les habitant·es actuel·les de Fraguas ont décidé de reconstruire le village et ont appelé à réaliser de nombreux travaux collectifs sur la commune. Illes ont débroussaillé les routes, reconstruit les maisons en ruine tout en respectant l’architecture locale, illes ont amélioré le captage de la source, ont repris les arbres fruitiers, créé un jardin, entretenu l’ancien cimetière, cultivé de l’orge pour la bière, réparé le chemin, replanté des arbres pour reconstituer la forêt traditionnelle, suite à un incendie. Illes ont mis en place de l’agroforesterie et ont installé un système autonome d’énergie solaire et une turbine hydroélectrique. Ce village est un lieu de rencontres pour nombre de personnes qui cherchent une façon différente de vivre en dehors de la ville et du capitalisme. Illes s’organisent en assemblée sans hiérarchie, dans le but de vivre en autogestion et en autosuffisance grâce à la production locale. Illes sont dans un esprit de décroissance en cherchant à ne pas reproduire le mode de vie des villes basé sur le travail salarié, la consommation démesurée, la délocalisation de la production, l’individualisme, la délégation de pouvoir et une certaine perte du sens de la vie humaine.
Un impossible rêve?
Depuis leur arrivée, illes ont été enjoint·es d’abandonner leur rêve par des agents de l’Environnement et des gardes civils, à coup de menaces et d’amendes. En 2015, illes ont été convoqué·es pour délit d’usurpation de terrains publics et en 2017, lors d’un autre procès, illes ont été jugé·es pour non-respect du règlement du territoire et dégradation de l’environnement (remis en question par les propres agents de l’Environnement). Quatre ans de prison ont été requis pour chacun·e des 6 habitant·es. Finalement les poursuites pour dégradation de l’environnement ont été abandonnées, mais il reste la condamnation pour usurpation de terrains publics et non-respect du règlement du territoire, avec une peine d’un an et demi à la clé.
Les condamné·es sont contrain-t·es de payer le coût de la démolition de ce qui avait été reconstruit. Au départ, il s’agissait de 26.000 euros, mais maintenant, l’entreprise d’Etat Tragsa, chargée d’effectuer la démolition avance le chiffre de 43.000 euros. Face à cela, le collectif «Fraguas Revive» a déclaré qu’il n’est pas prêt à payer les frais occasionnés par cette démolition. Ces condamnations démesurées montrent sans aucun doute la volonté de faire de Fraguas un exemple, et selon les propres mots du procureur du Gouvernement de Castille et Mancha (JCCM) d’»éviter un effet appel». Et tout cela dans un des territoires les plus dépeuplés de toute l’Europe, en pleine contradiction avec les politiques tant vantées de lutte contre le dépeuplement des campagnes et contre le changement climatique. Actuellement la condamnation est ferme et prochainement, l’entreprise Tragasa commencera à démolir le village de Fraguas.
Résister
Pour l’empêcher, le collectif «Fraguas revive» a appelé à des journées de résistance illimitées pour défendre ce village reconstruit par des centaines des personnes avec beaucoup d’amour et d’enthousiasme. Il a lancé un appel à toutes les personnes intéressées à défendre l’autogestion dans un mode de vie durable et de respect de la terre d’aller les rejoindre. Illes ont besoin de l’aide maintenant. C’est le moment d’agir, de diffuser ces informations, d’envoyer des lettres de protestation pour demander au gouvernement de Castille- La Manche de mettre fin à la démolition et de reconnaître le travail et la lutte des nouveaux et nouvelles habitant·es. Malgré l’opposition de certains gouvernements régionaux, les cas de villages abandonnés occupés par des groupes de jeunes sont nombreux. Voici deux des multiples exemples de réussite.
Sieso de Jaca
C’est un village des Pyrénées en Aragon occupé depuis 14 ans par un groupe de 30 personnes qui s’organisent, travaillent et financent le projet de manière autonome. Le milieu rural a été historiquement dépouillé de ses ressources naturelles et humaines au profit du modèle de développement centralisateur et déprédateur dont nous souffrons aujourd’hui. Ce système économique repose sur une législation éloignée des pratiques traditionnelles des villages. Des centaines de villages dans les Pyrénées ont été dépeuplés de la même manière.
Le gouvernement d’Aragon est propriétaire de dizaines de villages et de forêts publiques, comme c’est le cas de Sieso de Jaca. Chaque année le gouvernement reçoit des propositions de réhabilitation pour certains d’entre eux. Malgré les déclarations publiques des politicien·nes qui font mine de s’intéresser au dépeuplement et à la perte de patrimoine, en vérité il n’y a pas de concrétisation de leur politique pour ouvrir de nouveaux espaces dans les villages, au-delà des grandes affaires dans le tourisme ou dans les mégaprojets agricoles. Les bénéfices engendrés par la présence d’habitant·es dans les villages sont pourtant multiples: Au niveau de l’environnement, on y pratique l’élevage et l’agriculture écologique. Cela génère de la biodiversité grâce aux activités agro-sylvo-pastorales, réduit le risque d’incendie et l’empreinte écologique. Economiquement, le tissu local est renforcé par la présence de nouvelles personnes qui produisent, consomment et créent souvent des activités inexistantes jusque-là. Culturellement il s’agit d’expérimentations très riches, au niveau social, de ces espaces ouverts dans lesquels on trouve des réalités différentes, où apparaît une culture des possibles et d’optimisme, aussi bien à niveau local qu’au niveau global. La zone dépeuplée des Pyrénées détient un énorme potentiel pour générer des alternatives rurales viables si nous réussissons à rassembler l’audace de personnes motivées et sensibles pour revenir à la terre tout en profitant de l’expérience accumulée par ceux qui l’ont déjà fait.
Lakabe, terre de forêts
Lakabe est un petit village situé dans la vallée d’Arce-Artzibar, en Navarre. Inhabité dans les années soixante et a été squatté en 1980 par un groupe de jeunes du mouvement des objecteurs de conscience qui rêvait de construire un espace communautaire alternatif et de transformation, en s’adaptant au rythme de la nature. Aujourd’hui, ce projet se poursuit dans le même sens, vivre et pratiquer l’utopie. Suite au projet de barrage de Itoiz dans les années 1990, beaucoup de jeunes s’y étaient retrouvé·es pour s’y opposer. Illes ont découvert des vallées entières avec des villages abandonnés et ont décidé de repeupler ce lieu. Lakabe est un de ces villages. Des jeunes venant des villes se sont investi·es pour faire revivre le village: illes se sont occupé des bêtes, des serres et des potagers, ont ramassé des plantes sauvages, coupé et géré le bois pour se chauffer et construire, nettoyé les toilettes sèches et les espaces communs, fabriqué du fromage, de la viande, de la bière, et démarré leur activité principale: la boulangerie.
Une autre entrée financière provient de l’organisation de toutes sortes de formations concernant l’autogestion, la vie collective, les relations interpersonnelles, etc. Deouis, d'autres villages ont été occupés, redonnant vie à la vallée, et l’occupation de Lakabe à été légalisée par le Gouvernement de Navarre. L’année prochaine illes vont fêter leur 40e anniversaire. Trois générations se côtoient et construisent ensemble une petite société qui pratique l’autogestion, l’autonomie alimentaire et énergétique.