SUD LIBAN / ENVIRONNEMENT: Kfar Kila, reportage*

de Philippe Pernod, 14 mai 2025, publié à Archipel 347

Les villages libanais à la frontière avec Israël ont été saccagés par des mois de guerre. Alors qu’habitant·es et agriculteur/trices tentent de retourner chez elleux, iels font face aux agressions de l’armée israélienne.

Des maisons éventrées ou calcinées, des arbres déracinés à perte de vue: nous ne sommes pas à Gaza, mais à Kfar Kila, un village libanais dévasté par l’armée israélienne lors de la guerre qui oppose Israël au Hezbollah depuis le 8 octobre 2023. Côté libanais, il ne reste que des débris: selon le maire Hassan Chit, rencontré par Reporterre au milieu des décombres, absolument tous les bâtiments de la ville ont été détruits ou endommagés.

Les vergers colorés, la ferme de vers de terre et les oliviers d’un jeune agriculteur bio, Hadi Awada, ont disparu. «Ils ont démoli nos terres agricoles et notre maison familiale avec des bull-dozers, explique-t-il au téléphone à Reporterre. Les arbres ont été soit déracinés, soit incendiés par du phosphore blanc.»
Hadi aimerait retourner sur ses terres. Bien que l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024 entre Israël et le Hezbollah devrait lui permettre de le faire, il vit actuellement chez des amis dans des villes aux alentours. Lors de sa tentative de retour, des soldats israéliens ont tiré dans la foule, tuant quatre personnes, dont une femme et un enfant.

Le retrait de l’armée israélienne s’est fait mi-février, mais il n’a pas pu rebâtir sa vie: «Ils veulent nous interdire de revenir: je n’ai dormi qu’une nuit là-bas, dans ma tente. Depuis, je ressens une grande tristesse et suis fatigué de cette situation. C’est dur, nous sommes livrés à nous-mêmes et à tout instant, ils peuvent nous tirer dessus».

Rompre le lien des habitant·es à leur environnement

La vie des 3000 habitant·es de Kfar Kila, dont une poignée seulement est de retour dans le village, dépend ainsi de la volonté de l’armée israélienne. Cette dernière a violé le cessez-le-feu plus de 1500 fois selon les autorités libanaises, bombardant des cibles du Hezbollah, mais aussi des civils au Sud-Liban et à Beyrouth, faisant 130 morts.

Elle occupe encore cinq positions libanaises le long de la frontière et fait feu sur les habitant·es qui s’approcheraient trop près. Reporterre n’a pas pu visiter les terrains de Hadi sans prendre le risque d’essuyer des tirs.

Kfar Kila et d’autres villages frontaliers libanais ont été réduits à une zone tampon, une terra devastata, selon le chercheur Rami Zurayk. «À Gaza, comme ici, Israël détruit les paysages pérennes et l’agriculture pour rompre le lien des habitant·es à leur environnement. Car au Sud-Liban, comme historiquement en France d’ailleurs, c’est le maquis méditerranéen qui façonne la résistance», dit-il au téléphone.

À Kfar Kila, Reporterre a pu vérifier des pulvérisations de pesticides par avions de chasse, des oliviers déracinés par des bulldozers et des presses à huile calcinées. Des cibles qui sont loin de constituer un objectif militaire, et qui indiquent une volonté de nuire à l’environnement et à la subsistance. Ce que des chercheur·euses et activistes ont dénoncé comme un crime d’écocide.

«Les habitant·es du Sud-Liban sont déterminé·es à rentrer chez eux, ils vont mettre le plan israélien en échec avec leur volonté acharnée de se réimplanter. Les bombardements israéliens montrent que cela crée une pression, un bras de fer», avance le chercheur.

Le gouvernement libanais, des ONG et le Hezbollah tentent d’apporter une aide. Le ministre de l’Agriculture libanais, Nizar Hani, indique que des aides financières sont distribuées aux agriculteurs/trices, et qu’un logiciel est utilisé pour enregistrer les pertes et évaluer les dégâts.

Pour décontaminer les terres et relancer l’agriculture, des projets de bioremédiation et d’agriculture régénérative sont aussi en cours. «La situation est encore trop dangereuse à la frontière, nous cherchons donc des terrains ailleurs», dit Rita Khawand, fondatrice de l’association Soils et membre de la Bioremediation Coalition qui s’est lancée au Liban.

C’est aussi le cas de Hadi Awada, qui cherche à s’implanter loin du front. Cette résistance douce, enracinée dans la terre et le vivant, s’organise lentement, face à la violence et à l’arbitraire.

Philippe Pernot

*Cet article a été publié dans la revue Reporterre.

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