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Pour l’historien de gauche Hans-Ulrich Jost1 , les votations sur l’asile et les étrangers ont fait ressortir une des constantes de la politique suisse: la xénophobie. Dans une interview donnée à Marc-André Miserez pour Swissinfo, le professeur honoraire de l’Université de Lausanne explique comment, selon lui, la tradition humanitaire du pays ne vaut que lorsqu’elle sert ses intérêts. * Est-ce que ces votations indiquent que le mode de pensée de l’aile la plus dure de l’UDC est désormais dominant en Suisse?*
Hans-Ulrich Jost: L’UDC n’a fait que valoriser – avec une stratégie moderne de management de la politique – le vieil héritage xénophobe de ce pays, en le combinant avec quelques problèmes conjoncturels, comme la globalisation, la peur de la modernisation de la société, les problèmes des coûts de la santé.
Vous estimez que la Suisse a un héritage xénophobe?
Pour le dire très simplement, la Suisse connaît depuis le début du XXème siècle deux ou trois paramètres constants de sa politique. Et l’un de ces paramètres est la xénophobie. Cela a commencé avant la Première Guerre mondiale, déjà avec la question des étrangers mais, pire encore, avec l’exclusion de certaines populations. Les Tziganes par exemple, qu’un document de l’administration fédérale de l’époque qualifie ouvertement de «plaie». A partir de là, cette thématique ne nous a jamais quittés. Elle a été utilisée périodiquement par l’une ou l’autre partie de la droite ou de l’extrême droite et on en arrive aujourd’hui à ce verdict très clair. Le voile humanitaire derrière lequel nous nous sommes toujours cachés s’est déchiré.
Mais tout de même, tout le monde se réclame de la tradition humanitaire de la Suisse. Et les vainqueurs de dimanche assurent qu’elle n’est pas remise en cause. Pour vous, ce ne serait qu’une illusion?
Pas une illusion, mais il faut la relativiser. Même un grand journal alémanique réputé plutôt conservateur a écrit clairement qu’en fait, notre tradition humanitaire est valable aussi longtemps qu’elle est dans l’intérêt du pays et qu’elle ne touche pas trop notre sacré égoïsme.
Et cela était déjà vrai à l’époque des Huguenots, ces réfugiés protestants venus de France. On les avait acceptés chez nous, mais avec beaucoup de réticences et en les invitant à repartir aussi vite que possible.
L’UDC a déjà annoncé qu’elle n’allait pas s’arrêter là. Elle va demander de nouveaux tours de vis contre les étrangers. Pensez-vous que cette vague, que vous nommez xénophobe, va s’amplifier?
Elle dure depuis au moins cent ans et je crois bien que cela va continuer. Parce qu’apparemment, il s’agit quand même d’une mentalité qui s’est fortement incrustée dans le pays. Et comme l’UDC cherche simplement les succès électoraux, elle va utiliser ce terrain aussi longtemps qu’il l’aidera à gagner de nouvelles voix.
Les pays qui nous entourent ont aussi tendance à durcir leur politique envers les étrangers. Voyez-vous dans ce domaine une spécificité qui serait celle de la Suisse?
Non, il n’y a pas de spécificité, sauf qu’on est beaucoup plus faux jetons. C’est-à-dire qu’on essaye toujours de maintenir une sorte de discours de tradition humanitaire, de prétendre que la Suisse aurait une sorte de virginité et, qu’en fait, elle ne pourrait pas tomber dans les failles d’une dégénérescence de la morale. Mais on oublie que nous sommes déjà tombés dans ces failles. Et je crois qu’un des paroxysmes en a été notre politique à l’égard des réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale.
- Docteur en histoire et en philosophie de l’Université de Berne, Hans-Ulrich Jost a mené l’essentiel de ses recherches à Lausanne, où il a enseigné depuis 1981. Il fait partie des historiens qui ont essayé d’amener les Suisses à une lecture réaliste de leur passé, notamment la période de la Seconde Guerre mondiale.