TURQUIE: Nouveau report d’audience au procès de Pınar Selek

de Coordinaation des collectifs de solidarité et Pınar Selek, 15 mars 2025, publié à Archipel 345

Face au déni de justice, la mobilisation continue! Alors que le procès de Pınar Selek entre dans sa 27e année, la mobilisation internationale en soutien à l’universitaire et écrivaine ne cesse de se renforcer. En témoigne le succès de la journée de solidarité autour des libertés académiques organisée à l’Université Côte d’Azur ce 7 février en présence de nombreux universitaires, de président·es d’universités, des représentant·es des directions du CNRS et de l’IRD et d’associations académiques.

À Istanbul, pour la quatrième fois, des élu·es de la république, des avocat·es, des universitaires, des hommes et femmes de lettres, militant·es des droits humains ont assisté à l’audience. Ce soir, à Istanbul, à Nice, à Paris et dans le monde entier, des centaines de soutiens de différents collectifs se sont rassemblés.

Le tribunal a annoncé un 5e report d’audience au 25 avril 2025. Cette décision est un scandale. Les juges refusent l’évidence: Pınar Selek est innocente comme l’ont déjà établi tour à tour quatre procès. Cherchent-ils à gagner du temps? La Turquie joue-t-elle la montre pour épuiser la solidarité internationale, alors qu’elle ne cesse de se renforcer? Joue-t-elle sur le contexte de durcisse-ment des équilibres géopolitiques contre la démocratie, la science, les droits des minorités, comme le montre l’actualité au Proche-Orient, aux États-Unis, en Europe? Plus encore, cet éternel report signifie-t-il qu’aux yeux des autorités turques, Pınar Selek est déjà jugée et condamnée?

De fait, après avoir fabriqué de toutes pièces des «preuves» à charge, après avoir suscité de faux témoignages, après avoir attaqué directement la liberté académique en France en fabriquant une incrimination de terrorisme contre l’Université Côte d’Azur, après que des documents essen-tiels produits par la défense n’ont pas été intégrés au dossier, la justice turque semble n’avoir plus rien d’autre à inventer que la répétition sans fin d’une demande de mandat d’arrêt international et de comparution de Pınar Selek en Turquie. Cette stratégie du déni est vouée à l’échec. En dépit de deux années de prison, en dépit de la torture, malgré l’exil, malgré 27 années de persécution et 4 procès, Pınar Selek poursuit son activité scientifique, littéraire et militante. Rien ne l’arrêtera, ni ne nous arrêtera: des centaines de soutiens à travers le monde l’aideront à retrouver sa liberté et ses droits.

Aujourd’hui plus de 500 universitaires du monde entier témoignent de leur soutien à Pınar Selek dans une tribune, publiée dans 5 journaux européens, l’ensemble des président·es d’université de France s’exprime tandis que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche apporte à Pınar Selek son indéfectible soutien. Les collectifs mobilisés aux côtés de Pınar Selek dénoncent ce nouveau report, exigent qu’elle soit définitivement acquittée et que son honneur soit lavé.

Coordination des collectifs de solidarité avec Pınar Selek 7 février 2025

Vague d’arrestations en Turquie

Entre le vendredi 14 février et le mardi 18 février, la police turque a procédé à une vague d’arrestations de député·es et de personnalités proches de l’opposition.

Près de 300 personnes, toutes accusées d’être «membres présumés d’organisations terroristes», ont été arrêtées, a annoncé le ministre de l’Intérieur Ali Yerlikaya dans un communiqué. Selon un bilan provisoire du ministère de l’Intérieur, les «suspect·es» ont été arrêté·es dans 51 des 81 provinces du pays, notamment à Istanbul, Ankara et dans les régions à majorité kurde de l’est du pays. Selon les médias, des membres de petits partis de gauche, un artiste et au moins trois journalistes figuraient parmi les personnes arrêtées. La der-nière vague d’arrestations aussi massive avait eu lieu avant les élections présidentielles de 2013, que le président Recep Tayyip Erdogan avait remportées au second tour. De même, aux enquêtes ciblant le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, figure de l’opposition et candidat potentiel à la présidence, deux autres viennent de s’ajouter. Il risque l’inéligibilité et sept ans de prison. Yıldız Tar, rédacteur en chef de KaosGL.org, et Elif Akgül, ancienne rédactrice en chef de Bianet – l’une des principales plateformes turques de journalistes pour la liberté d’expression – ont été arrêté·es et emprisonné·es. Yıldız et Elif ont suivi le procès de Pınar Selek, ont participé à plusieurs audiences et ont apporté un soutien considérable au comité en Turquie. Yıldız Tar est journaliste et dé-fenseur des droits humains et s’engage pour la protection des droits LGBTQI+. Elif était également présente lors de la dernière audience de Pınar le 7 février. Face à cette nouvelle vague de répression contre les journalistes, les défenseur·euses des droits humains et les personnalités politiques, il est important de suivre la situation de près* et de soutenir les appels à la libération de nos ami·es emprisonné·es.

Constanze Warta, FCE

«Mes ami·es, mes solidaires, mes collègues et cher·es journalistes, Pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Université de Strasbourg fut contrainte de fermer ses portes sous l’occupation nazie, c’est l’Université de Clermont-Ferrand qui l’accueillit. En ouvrant ses portes à ses professeur·es, ses étudiant·es, ses chercheur·euses, elle est devenue, face à la barbarie, un bastion de résistance intellectuelle. Nous sommes fier·es de cet héritage.»

Mais la barbarie n’a pas disparu avec le passé. Aujourd’hui encore, la libre pensée, l’expression, la recherche sont en danger. Nous le savons: la fascisation n’est pas un phénomène marginal. Elle s’étend, se banalise à une vitesse effrayante. Les attaques contre moi, contre mon travail, contre mon université, ne sont pas des cas isolés. Elles s’inscrivent dans une offensive globale contre les libertés académiques, contre les droits humains, contre toutes celles et ceux qui pensent, questionnent, résistent. Partout dans le monde, des régimes autoritaires et des forces obscurantistes cherchent à contrôler les esprits, à écraser la pensée intellectuelle et à museler les voix critiques. Iels attaquent les chercheur·euses, les journalistes, les artistes. Celles et ceux qui enquêtent, qui analysent, qui créent, qui s’expriment.

Iels gagneront peut-être. Mais qu’est-ce que gagner? Nous sommes ici, ensemble. Et nous affir-mons, par notre présence, que défendre les libertés académiques, c’est inscrire notre engagement dans l’histoire… et cela nourrira la lumière des lucioles qui continuent d’éclairer les ténèbres.

Depuis mon arrivée en France en 2012, j’ai été accueillie par l’Université française, héritière de résistances. Une université qui n’est pas seulement un lieu de savoir, mais un espace de débat et de liberté. J’ai d’abord trouvé asile académique à l’Université de Strasbourg, puis à l’École normale supérieure de Lyon. Mais à l’Université Côte d’Azur, je suis chez moi. Mon asile est terminé. Pour toujours. Ici c’est mon Université. Où j’ai vécu une expérience précieuse, d’intégration réciproque. Dire «merci» serait trop faible pour exprimer la force de ce lien. Je suis fière de mon université, de ma ville, qui porte en elle une grande histoire de solidarité et de résistance. Je pense à Charlotte Salomon, grande artiste juive réfugiée à Nice durant l’Occupation. Avant d’être dénoncée et déportée à Auschwitz, elle écrivait dans son journal que cette ville lui avait offert le sourire, l’amour et la force de créer. Peut-être, un jour, donnerons-nous son nom à la gare d’où elle fut arrachée à cette terre qu’elle aimait tant. Elle est toujours là, une luciole parmi nous.

Aujourd’hui, alors que mon procès se tient à Istanbul et que le verdict tombera, je ferai un acte de solidarité avec deux autres lucioles, Verisheh Moradi et Pakhshan Azizi, deux féministes kurdes condamnées à mort en Iran. Pour qu’elles ne disparaissent pas dans le silence, j’irai, après cette conférence de presse et avant l’événement scientifique sur les libertés académiques, déposer un paquet à la poste. Un paquet destiné à la prison d’Evin. À l’intérieur, la médaille pour les droits humains que j’ai reçue cette semaine de la Ville de Grenoble et que je leur ai dédiée. J’y ai ajouté d’autres cadeaux dont une peinture qu’Edmond Baudoin a réalisée pour moi.

Je vous remercie d’être les témoins de cet acte. Je me souviens d’une phrase que m’avait dite une professeure lors de ma première année de sociologie: «Si tout était visible, nous n’aurions pas besoin de scientifiques.» Aujourd’hui, j’ajoute: «Si tout était visible, nous n’aurions pas besoin de scientifiques, d’artistes et de journalistes.»

Merci pour votre travail.

Pınar Selek