Les petit•es agriculteurs/trices sont l’épine dorsale de la sécurité alimentaire pendant la guerre, et doivent être soutenus continuellement en temps de paix. Plus la saison des récoltes approche, plus nous entendons la communauté internationale déclarer que l’agression russe en Ukraine répand la terreur et la famine bien au-delà de notre pays.
La 33e conférence régionale pour l’Europe de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui s’est tenue à Lodz, en Pologne, du 10 au 13 mai, a réuni des délégué•es venu•es de toute l’Europe et d’Asie centrale pour débattre de l’impact de la guerre sur la sécurité alimentaire mondiale et des solutions possibles. Parmi les nombreuses discussions et solutions proposées, une vision commune importante s’est dégagée: les systèmes agroalimentaires doivent cesser d’être considérés en termes de production pure, où le «succès» se mesure uniquement à la quantité de récoltes et de bénéfices produits et gagnés. Les systèmes alimentaires concernent également la qualité des aliments eux-mêmes, la qualité de l’environnement et la qualité de la vie. La tâche principale pour la prochaine décennie est de réorienter le secteur agricole de la région et du monde vers des indicateurs de qualité.
Nouvelles priorités pour les systèmes agroalimentaires
Les participant•es à la conférence ont également débattu des nouvelles priorités des systèmes agroalimentaires en Europe et en Asie centrale, conformément au cadre stratégique 2022-2031 de la FAO, qui stipule que ces systèmes doivent être transformés dans quatre directions, en corrélation avec les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies:
- Une meilleure production: production et consommation responsables et efficaces grâce à des chaînes d’approvisionnement durables et inclusives, et durabilité environnementale et climatique des systèmes de production.
- Une meilleure nutrition: mettre fin à la faim et assurer la sécurité alimentaire et l’accès à une alimentation saine.
- Un meilleur environnement: préservation, restauration et utilisation durable des écosystèmes, lutte contre le changement climatique et adaptation.
- Une vie meilleure: développement inclusif et croissance économique et réduction de l’injustice sociale dans les environnements ruraux et urbains entre les hommes et les femmes.
Ces orientations stratégiques ont été élaborées pour faire face aux crises de plus en plus apparentes auxquelles l’humanité est confrontée et qui menacent les systèmes agroalimentaires, notamment celles liées au climat, à l’environnement, à la pandémie de COVID, et maintenant aussi à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
La paix est essentielle pour protéger les populations de la faim, et compte tenu de ses implications mondiales sur la production agricole, cette guerre est devenue une priorité absolue pour les délégué•es de la FAO, d’autant plus que les chaînes d’approvisionnement brisées, l’accès limité aux équipements, au carburant, etc. et les hostilités directes empêchent l’Ukraine d’exporter certains produits alimentaires de base importants, tandis que les prix des aliments et des engrais ont déjà atteint un niveau record.
Alors que les effets de cette crise se répercutent dans le monde entier, il est évident que c’est l’Ukraine elle-même qui en souffre le plus. La FAO estime, par exemple, qu’un ménage sur cinq ne peut satisfaire ses besoins fondamentaux et que les petit•es agriculteur/trices ont besoin de soutien. À ce titre, le plan de la FAO prévoit 115 millions de dollars pour soutenir près d’un million d’Ukrainien•nes pendant cette période.
Des héro•ïnes méconnu•es
Les agriculteur/trices ukrainien•nes, et en particulier les petits producteur/trices agricoles, sont les héro•ïnes du moment, car iels fournissent aux gens de la nourriture et un abri, et font leur travail malgré les risques insensés pour leur propre vie. Ce sont elles et eux qui empêchent le système alimentaire ukrainien de s’effondrer.
«Les petits agriculteurs et agricultrices doivent enfin être reconnu•es comme il se doit et être con-sidéré•es comme prioritaires dans les politiques et les programmes de soutien aux niveaux national et international. Avant la guerre totale, les petits agriculteur/trices et les ménages ruraux produisaient une grande partie de la nourriture destinée aux marchés locaux, notamment plus des trois quarts des pommes de terre, des légumes, des fruits et des baies, et un tiers des produits animaux», explique Olena Borodina, représentante de la société civile à la conférence de la FAO.
Cependant, la législation ukrainienne comporte de nombreux obstacles qui empêchent les petit•es exploitant•es de recevoir le soutien dont iels ont tant besoin. En effet, les exploitations de moins de 100 hectares restent en dehors du système de soutien de l’État. Depuis l’introduction du système de subventions d’État dans le secteur agricole en Ukraine, les principaux bénéficiaires des fonds sont les plus grandes entreprises – les exploitations agricoles – ce qui contredit le concept même de «subventions», c’est-à-dire le soutien à celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Tandis que même en ces temps terribles, les circuits de production et d’approvisionnement courts ont fait preuve de flexibilité et de résilience, les installations des grands producteurs alimentaires sont simultanément devenues une cible, où la destruction d’un seul maillon d’une longue chaîne a de graves conséquences pour des millions de personnes. L’exemple le plus frappant est peut-être la destruction et le blocage de centres logistiques, où les matières premières produites sont tout simplement impossibles à exporter. Nous ne pouvons pas parler de sécurité alimentaire lorsque, en raison de la destruction d’un seul maillon, une longue chaîne d’approvisionnement, dont dépendent de nombreux pays et des millions de personnes, est détruite. Sans systèmes alimentaires locaux viables et décentralisés, nous sommes confrontés à une menace alimentaire mondiale.
En effet, ce sont les petites exploitations familiales qui sont souvent guidées par les principes de l’agroécologie et qui sont plus durables et responsables vis-à-vis des communautés locales et de l’environnement. Les paysan•nes et les agriculteur/trices ukrainien•nes ont prouvé cette résilience même pendant la guerre. Par conséquent, le soutien politique et financier devrait être apporté en priorité aux petit•es producteurs et productrices disposant de chaînes de production courtes et appliquant les principes de l’agroécologie.
«La question de la durabilité environnementale de l’agriculture est également une question de sé-curité alimentaire et de développement des communautés rurales. L’écologisation des pratiques agricoles devrait être la base de la reconstruction verte des systèmes agroalimentaires de l’Ukraine. Les petits agriculteurs et agricultrices aux circuits de production courtes qui adhèrent aux principes agroécologiques doivent devenir la priorité de l’État. Iels assureront la sécurité alimentaire et le développement durable de l’agriculture dans la région et dans le monde», déclare Anna Danyliak, experte en développement de l’agriculture durable d’Ecoaction.
Oleksandra Khmarna, 20 mai 2022
- Oleksandra Khmarna est membre du Centre pour les initiatives environnementales Ecoaction, une organisation ukrainienne de la société civile qui unit les efforts d’expert•es et de militant•es dans une lutte commune pour la protection de l’environnement. Nous plaidons pour l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la lutte contre le changement climatique, l’air pur pour tous et toutes et le développement durable des transports et de l’agriculture en Ukraine. <en.ecoaction.org.ua>.
Selon Attila Szocs*, de l’association roumaine de petits agriculteurs Ecoruralis, qui représente 17.000 petit•es agriculteurs et agricultrices: Alors que les ménages ruraux n’utilisent que 12 % des terres agricoles ukrainiennes sur des exploitations dont la taille varie de moins d’un hectare à plus de 100, Ecoruralis estime qu’iels contribuent à hauteur de 52,7 % à la production agricole intérieure brute. Selon Ecoruralis, les petit•es agriculteurs et agricultrices ukrainien•nes fournissent aujourd’hui 98 % de la récolte totale de pommes de terre, 86 % des légumes, 85 % des fruits et 81 % du lait du pays. (…) Et, après un exode massif d’entreprises agroalimentaires largement contrôlées par les oligarques après le début de la guerre, ce sont ces petit•es agriculteurs et agricultrices qui ont dû ramasser les morceaux.
- Vous pouvez écouter une de ses collègues sur Radio Zinzine: http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=7234