Alors que la médiation sur l’aéroport prendra prochainement fin, le gouvernement Macron a annoncé qu’il trancherait définitivement «avant Noël» sur ce dossier brûlant et prétend toujours vouloir expulser la zad dans la foulée. Le mouvement contre l’aéroport et son monde appelle quant à lui à une mobilisation dès le 21 octobre pour occuper et mettre en culture de nouvelles terres.
En ce début d’automne, le collectif Mauvaise Troupe publie pour sa part aux éditions de l’Eclat un livre qui, entre récit intime, conte et fiction, relate les quelques saisons précédentes dans le bocage. De manifestations épiques à la construction sans fin d’un territoire à inventer autant qu’à défendre, il revient sur l’alchimie composite qui, de janvier 2016 à l’été 2017, a tenu les forces de l’ordre à distance du bocage. Dans les dernières pages du livre se déploient, depuis une roulotte, quelques-uns des enjeux actuels pour l’avenir de la zad. Extraits de Saisons:
Une préfète, un polytechnicien et un pilote de ligne
«Oui, nous sommes bel et bien un mouvement armé», affirmaient dans un communiqué les éphémères «black ploucs», après que le préfet avait accusé en février 2014 la frange institutionnelle de la lutte de n’être qu’une vitrine légale pour les hordes sauvages qui peuplent la zad. «Armé, oui, mais de chansons endiablées, de livres, tracts et journaux, (...) de radios pirates, de radeaux et de râteaux, et de pierres aussi parfois.» Et désormais d’une table d’hôte: la Black Plouc Kitchen. Dans la plus belle roulotte de l’Ouest, stationnée derrière la ferme de Bellevue, tout un chacun peut venir déguster les produits de la zad autour d’une table commune. Il suffit de réserver à l’avance, en passant un soir de service ou par téléphone. Un jour de juin dernier, le cuisinier-secrétaire reçoit un appel.
«C’est pour combien de personnes?
– Trois personnes mais…
– Très bien. Des régimes alimentaires particuliers? Des allergies?
– Non non, rien de spécial. Tout de même, il faut que je vous dise, c’est pour les médiateurs.»
Cinq ans qu’aucune force de police n’a osé poser une botte sur cette zone, et voici qu’une membre du corps préfectoral aimerait s’y inviter, accompagnée d’un polytechnicien et d’un ex-pilote de ligne, missionné·es par le Premier ministre! Et qui plus est pour une rencontre informelle à la bonne franquette, pour tailler le bout de gras avec ce «mouvement armé» que son homologue local vouait aux gémonies. Les occupant·es seraient-illes devenu·es fréquentables pour une haute représentante de l’Etat? L’inverse, en tout cas, n’est toujours pas vrai, et l’ex-préfète ne goûtera pas les spécialités de la Black Plouc Kitchen.
Après deux années de menaces ininterrompues de débarquement policier, le parachutage de trois médiateurs dont deux «techniciens» tout de vert vêtus a de quoi laisser circonspect. Si jusqu’ici l’exécutif n’avait pas brillé par sa cohérence face au dossier «Notre-Dame-Des-Landes», c’est peu dire que les intentions de l’actuelle équipe gouvernementale sont difficilement déchiffrables.
Rapport de force
Une chose est sûre, le rapport de force imposé par le mouvement a rendu le dossier si brûlant qu’il ne s’est écoulé que quatre jours entre l’investiture et l’annonce d’une médiation par le tout nouveau président. La douceur et le dialogue seront de mise, nous dit-on, tranchant avec les velléités martiales des gouvernements précédents. D’emblée, «toutes les hypothèses sont mises sur la table», y compris l’abandon du projet. Le résultat de la consultation de 2016, conçue pour établir une issue incontestable et définitive, est de facto mis à la poubelle. Depuis presque 50 ans que perdure la lutte, jamais l’Etat n’avait tant donné l’impression de reculer… pour mieux sauter?
Car il n’est nul besoin d’être paranoïaque pour n’accorder qu’une confiance relative aux bonnes intentions de ce gouvernement. Il suffit d’en considérer les premières mesures et son offensive quasi thatchérienne menée de front contre le code du travail et contre les maigres garde-fous qui jugulaient déjà à grand mal l’inflation du pouvoir policier. Dans ce contexte, il n’est pas déraisonnable d’envisager que la médiation, qui fait tant enrager les pro-aéroport pour son supposé manque d’impartialité, ne soit qu’une simple temporisation. Une manœuvre plus habile que les précédentes pour tenter d’étouffer un profond conflit politique sous une logique d’évaluations techniques. Le mouvement aura en effet peut-être moins d’aisance à démonter les thèses de deux médiateurs soi-disant «écologistes» que celles de l’ancien préfet embauché depuis par Vinci…
Mais pendant que les experts des deux bords affûtent leurs arguments et comparent leurs études, les forces régaliennes de l’Etat maintiennent un cap: «Aéroport ou non, les expulsions auront bien lieu», annonce une autre préfète, celle du département, celle qui a du pouvoir. Une chose est sûre, quelle que soit l’issue de la médiation, l’Etat ne nous donnera pas la zad, pas telle qu’elle est aujourd’hui, pas cette zone fourmillante et ingouvernable. Pour autant, nous pouvons gager que si l’alchimie qui maintient ensemble les différentes composantes du mouvement ne se dissipe pas, tout gouvernement qui se risquerait à un assaut pourrait bien de nouveau enliser ses troupes dans le bocage. Voici donc le ressort de la médiation: séparer la question de l’aéroport de celle de la zad pour tenter de briser les liens qui se sont tissés ici. Parce qu’il leur faut espérer qu’à l’issue des débats certains considèrent éventuellement la lutte comme terminée.
Les six points
Derrière la porte du hangar, une jeune femme pince entre ses lèvres un petit morceau de métal doré. D’une main elle tient une affiche, tandis que l’autre se porte à sa bouche pour attraper la punaise. Rapidement, la feuille est épinglée. Elle fait quelques pas en arrière pour s’assurer de la rectitude de son placard et tourne les talons, satisfaite. Un dessin occupe le centre: une graine au germe cherchant à rejoindre la terre. Tout autour, des numéros. Six. Le titre est sans appel: «Parce qu’il n’y aura pas d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes». Ce texte, nous le connaissons bien, résultat d’assemblées difficilement dénombrables, de discussions âpres autour de tables fatiguées, ou joyeuses autour de verres déjà vides. Entre nous, on l’appelle «les six points». Ce qu’il renferme est une promesse: une fois la victoire contre l’aéroport remportée, le mouvement se battrait pour que tous – squatteurs de longue date ou fraîchement installés, habitants historiques et paysans résistants – restent habiter pleinement ici. Pour que l’avenir de ces terres ne soit pas entre les mains de l’Etat et de l’économie, mais au creux de celles attentives du mouvement. Pour que les champs et prés sauvegardés ne servent pas à l’agrandissement d’exploitations des environs, ni ne soient redistribués à ceux qui ont accepté de vendre à Vinci, mais pour que tout ce qui s’y expérimente aujourd’hui continue à se déployer. Nous savons tou·tes que ce que nous aurons à arracher demain sera le maintien de l’usage commun d’un territoire insoumis et ouvert, qui en inspire d’autres. Et que pour ce faire, nous devrons construire des formes inédites.
Nous n’attendons pas qu’un capitaine crie «abandonnez l’aéroport» pour nous mettre à l’ouvrage. Naufragés volontaires dans l’inconnu, depuis longtemps nous assemblons notre radeau. Il se construit avec ce que l’on trouve sur place, des morceaux bigarrés de territoires et d’existences noués, raboutés. S’il semble frêle à l’observateur, c’est que sa solidité se cache dans le mode d’attache des cordelettes. Ni trop serrées, ni trop lâches, elles doivent laisser assez d’espace entre les rondins pour que les paquets de mer s’y engouffrent sans faire couler l’embarcation. Il s’agit de trouver la bonne distance. Les charges doivent être bien réparties car le moindre mouvement de l’équipage se répercute sur tout l’esquif, qu’on le veuille ou non. Son équilibre, il le trouve à la côte, toujours ravitaillé, se nourrissant d’échanges. C’est à cette condition que lui vient la force de se dresser face aux risées. L’adversaire découvre alors que la fragile chaloupe, debout, peut se muer en barricade. Le phare s’allume, lecteur, lectrice, et la mer est encore calme. Il se peut toutefois que le vent forcisse, bientôt. C’est pourquoi, une fois de plus, ce livre est un appel à défendre la zad. Ici, partout, de toutes nos forces.