ACTUELLE: Ca te plait de marcher dans la boue?

de Camille AyraultRadio Zinzine, 3 avr. 2013, publié à Archipel 213

Du 10 au 17 décembre derniers, j’ai passé une semaine sur la désormais fameuse ZAD. Je ne reviendrai pas sur pourquoi toute une frange de la population est opposée à cet aéroport et sur les arguments des un-e-s et des autres1. Non, je préfère me concentrer sur les quelques jours que j’ai passés là-bas et sur ce que j’y ai vécu, partagé. (2ème partie) Le foisonnement humain et social, le quotidien hyperactif, pourraient presque faire oublier la situation politique concrète de la lutte et du mouvement.
J’ai l’impression que nous avons là un mouvement de lutte réellement fort, que ni les revirements médiatiques, ni la pression/répression policière n’affaiblissent.
Les violences policières des 23 et 24 novembre (voir encadré) et les cent blessé-e-s ou plus ont renforcé la cohésion du mouvement.
Une bagarre juridique a également été menée au sujet de l’autorisation de destruction et d’expulsion des cabanes construites le 17 novembre, en particulier la Chat-Teigne. Le 4 décembre au tribunal de St-Nazaire, la préfecture demande la destruction. Le 11 au matin, le tribunal autorise la destruction des cabanes, mais les opposant-e-s affirment alors qu’il y a des habitants, et qu’il faut donc un jugement ordonnant leur expulsion avant de pouvoir détruire. En trois heures (sans doute un record du monde de célérité judiciaire), le tribunal donne l’autorisation d’expulser. La préfecture déclare alors que les opposant-e-s n’ont plus aucun droit. Encore une fois la préfecture s’est lamentablement fourvoyée, car les opposant-e-s ont prouvé à la préfecture qu’il y avait d’autres voies, et en particulier un recours en rétractation qui aurait été du plus mauvais effet pour les services préfectoraux, puisqu’ils risquaient d’être forcés de lancer une procédure d’expulsion nominative, la procédure traditionnelle contre les squats. La préfecture a demandé que le recours ne soit pas déposé et a lancé cette procédure nominative.
Toute cette fastidieuse action juridique démontre une des forces du mouvement: on ne lâche rien sur rien, des barricades jusqu’au plan juridique...
Parallèlement, l’Etat lançait, le 21 décembre, la commission du dialogue, avec trois technocrates qui avaient déjà participé et/ou organisé des débats publics sur des grands projets d’infrastructures, type autoroute.
Au moins deux conditions ont été posées par l’ACIPA, l’association citoyenne opposée à l’aéroport: le retrait des forces d’occupation policière et la possibilité d’aborder le fond du sujet, c’est-à-dire la construction ou pas de l’aéroport. Il n’est pas question de discuter des aménagements à apporter au projet pour qu’il puisse se faire.
Le président de la commission du dialogue a annoncé que son travail se poursuivrait jusqu’au 31 mars 2013 et que ce serait un mauvais signe s’il y avait des expulsions (ou tentatives) sur la ZAD. La préfecture comprendra-t-elle cette subtilité ou au contraire essaiera-t-elle de nouveau un coup de force, croyant les opposant-e-s endormi-e-s par les déclarations de la commission du dialogue? Juridiquement, un des derniers lieux en dur sur la zone, la Sécherie, était expulsable dès le 27 décembre et on attend les suites juridiques pour la Chat-Teigne.

La rencontre des comités locaux

Les 15 et 16 décembre avait lieu la première rencontre nationale des comités locaux à Notre-Dame-des-Landes. Entre 150 et 180 comités s’étaient déplacés, réunissant de 300 à 400 personnes (à ce jour, il y a presque 200 comités locaux). Pour comparaison et mémoire, au plus fort de la lutte au Larzac contre l’extension du camp militaire, on ne comptait qu’entre 70 et 80 comités locaux. C’est vrai qu’Internet n’existait pas encore...
Après une matinée passée à la présentation succincte des diverses dynamiques locales et des actions de soutien réalisées dans toute la France, nous avons travaillé une après-midi en commission. Il y en avait quatre:

  • Implication des collectifs locaux sur la vie de la Chat-Teigne et sur la ZAD. Il en est sorti une proposition de relais par ville et un début de calendrier. Ceci permettrait d’une part de soulager les personnes vivant sur la ZAD et par ailleurs d’apporter un contenu de discussion et de débat issu de l’identité et de la manière de faire de chaque lieu.
  • Organisation de la réponse sur la zone en cas de tentative d’expulsion (de la Chat-Teigne ou de tout autre lieu). Tout n’est pas encore très clair, mais il semblerait qu’on s’oriente vers une manif de Nantes à la ZAD, quelques semaines après les tentatives d’expulsion.
  • Coordination d’actions décentralisées par les comités locaux. Ces actions seront de deux ordres: soit en réaction à une tentative d’expulsion sur la zone, soit des actions du «quotidien» pour continuer la pression populaire. En réaction à une attaque policière, un appel à occuper, dans les deux jours suivants, des lieux de pouvoir: préfectures, sous-préfectures, mairies, etc. (…) Deux journées d’action nationale contre Vinci se tiendront aussi les 18 et 19 janvier, à chacun selon ses moyens et envies. Et peut-être que j’en oublie.
  • Outil de coordination entre les comités locaux et évocation d’une charte. De grands débats stratégiques et politiques autour de la possibilité d’une charte se sont tenus. Ce qui est apparu clairement, c’est la gestion commune d’une liste mail entre l’ACIPA et le mouvement des occupations. Ca paraît peut-être anodin, et on pourrait se dire encore une énième liste mail. C’est vrai, mais ce qui est à noter, c’est la gestion commune de la liste et pas son existence, car la relation entre l’ACIPA et le mouvement des occupations n’a pas toujours été très facile et il y a quelques semaines encore, elle aurait été inimaginable.
    Après la boum disco endiablée du samedi soir, le dimanche matin un débat stratégique en grande assemblée nous a réunis avec, auparavant, une prise de parole des différentes composantes de la lutte. L’après-midi une visite de la Chat-Teigne était organisée.
    En dehors des insatisfactions inhérentes aux assemblées en grand groupe par exemple, ces rencontres étaient particulièrement enthousiasmantes. Je n’avais jamais assisté à des discussions où une certaine radicalité était indiscutable avec une telle diversité de personnes. Certaines personnes issues de partis politiques ont demandé à ce que les partis puissent être représentés dans cette lutte. Rejeté! Le principe que les individus peuvent venir mais pas les organisations en tant qu’organisation et encore moins les partis en tant que tels est intégré et on n’en parle plus.
    Dans le même ordre d’idée, la diversité des tactiques et des types d’action demeure une base d’accord, avec comme pilier l’union du mouvement et la non-dissociation. Il est vraiment revigorant de sentir un mouvement où, enfin, le débat violence/non-violence est concrètement dépassé dans la pratique et dans la parole2. La composante issue du mouvement des occupations a su gagner ses galons de respectabilité par la lucidité politique et stratégique de son implication. Avoir pensé des années à l’avance les occupations, les expulsions et les moyens d’y faire face, avoir toujours gardé un temps d’avance sur les gouvernants, en ayant en particulier prévu la manif de réoccupation depuis plus d’un an et demi et avoir montré le courage et la pratique des barricades et de la défense contre les agressions policières, toutes ces raisons font que beaucoup de monde comprend mieux cette dynamique politique et la respecte enfin. Et ceci n’évacue pas les débats, ni certaines incompréhensions venant de cultures de luttes très différentes...
    Ces deux jours de rencontres vont avoir une importance dans les temps à venir, même si ce sera très difficile à évaluer. Le mélange de radicalité alliée avec un réel espoir de victoire et la brèche ouverte pour parler de l’aménagement du territoire et des infrastructures nuisibles et imposées, tout ceci a commencé à irriguer la société française, et on verra dans quelque temps comment ces graines auront germé...

La suite

Il paraît assez évident que l’Etat, ses chiens de garde et les élu-e-s qui militent pour le projet commencent à paniquer et à ne plus savoir quoi faire face au «kyste» zadiste. Dernier exemple en date, la publication d’un appel d’offre de 200.000 euros par le syndicat mixte de l’aéroport pour favoriser les arguments pour l’aéroport, aussi bien dans les médias que dans les réseaux sociaux. Appel d’offre hautement comique puisqu’il montre que les arguments pour l’aéroport ne sont pas suffisamment probants et qu’il faut les asséner à coups de sociétés spécialisées dans le lobbying. Comique renforcé par le retrait rapide de cet appel, après le tollé qu’il avait suscité, sans parler des actions menées par les opposant-e-s pour se le procurer et y répondre.
Enième recul des édiles qui ne savent plus quoi faire... Leur dernier et ultime argument, quand tous les autres ont été démontés pied à pied, est le respect de la démocratie représentative, car ils ont été élu-e-s en étant pour ce projet, ne s’en sont jamais caché-e-s, et que quand même, il faut la respecter cette démocratie.
Eh bien non, et c’est justement aussi ce qui s’élabore sur place, dans le bocage, c’est une autre démocratie, sans délégation, sans représentant-e-s, sans expert-e-s, juste une démocratie directe et égalitaire. Pas étonnant que les personnes sortant de l’ENA3 ne comprendront jamais ce genre de dynamique et de pensée!
Un autre monde se vit.
Un des débats lors de la rencontre des comités locaux portait sur le lien avec les luttes locales sur deux axes. Doit-on surfer sur la dynamique ZAD pour renforcer les luttes locales, contre les LGV (Lignes à Grande Vitesse) ou THT (lignes à Très Haute Tension), contre les surfaces commerciales, contre les stades, contre les autoroutes, etc.) ou doit-on d’abord se concentrer sur la ZAD, continuer à taper, et taper encore pour enfoncer le coin et enfin gagner, cette victoire renforçant toutes les luttes locales? Difficile de trancher, évidemment, et en termes de mouvement social il n’y a, heureusement, pas de science exacte.
Ce débat révèle deux choses, la prégnance future des débats sur les infrastructures, mais aussi la possibilité, l’éventualité de la victoire. Ce qui ne va pas sans soulever de questions. De quelle victoire parle-t-on, quand on lutte contre l’aéroport et son monde? Pour l’aéroport, peut-être que nous pouvons gagner, pour le monde, un nouveau cycle de luttes acharnées devra être mené avant de commencer à entrevoir des prémices de lumière...
Et puis que va-t-il se passer sur la ZAD si le projet est abandonné? Les discussions ont déjà commencé. Des discussions PAC: Perspectives Agricoles Communes. C’est bien de garder l’initiative et un pas d’avance, même s’il ne faudrait pas pécher par optimisme. La lutte doit continuer car le projet est toujours d’actualité. Autre question: l’union sacrée actuelle, motivée par les agressions policières, tiendra-t-elle quand il s’agira de discuter avec le pouvoir de l’avenir de la zone?
Mais on n’en est pas là, et le recul du gouvernement n’a pas encore eu lieu.
Ce qui paraît sûr c’est que Jean-Marc Ayrault4 ne pourra pas rester Premier ministre s’il y a un recul sur le projet.
Et puis continuons encore et toujours, répondons aux différents appels issus de la ZAD, allons voir sur place comment ça se passe, pourrissons nos élu-e-s et leurs vœux indigestes et continuons cette lutte enthousiasmante!

  1. Voir Archipel No 210, décembre 2012 Haut-Parleur et Archipel No 201, mars 2012 S’ils expulsent, réoccupation massive: <www.forumcivique.org>. Dernières nouvelles: <zad.nadir.org>
  2. Voir à ce propos le texte paru sur le site du Monde en réponse, entre autres, à la tentative de récupération de Susan Georges et intitulé Contre l’aéroport mais pacifiste que ça!
  3. Ecole Nationale d’Administration, grande école d’où sortent la plupart des dirigeants politiques français.
  4. Avant d’être nommé Premier ministre du Président socialiste François Hollande, J. M. Ayrault était député-maire de Nantes, c’est lui qui a relancé le projet d’aéroport en 2000.