ACTUELLES: Camp international No Border de Strasbourg

9 mai 2010, publié à Archipel 97

Du 19 au 28 juillet dernier, deux à trois mille personnes venues de toute l’Europe, voire du monde, ont vécu ensemble, ont débattu, se sont coordonnées en vue de futures campagnes et ont manifesté leur désaccord avec les politiques racistes et sécuritaires développées actuellement. A défaut de compte rendu global, nous avons choisi de présenter un patchwork d’extraits d’articles, de comptes rendus, de communiqués de presse etc. qui nous semblent refléter la diversité et la richesse de ce camp. Nous reviendrons prochainement sur certains thèmes du camp.

En arrivant par le pont de l’Europe, qui relie la France à l’Allemagne, vous étiez accueilli-e par une mosaïque colorée de tentes, sur la rive droite du Rhin. Encore quelques centaines de mètres, et vous atteigniez l’entrée du camp. Vous découvriez d’abord une série de dômes géodésiques improvisés mais élégants, qui abritaient le centre d’informations générales sur le camp, un point d’accueil ainsi que des espaces où les gens pouvaient fabriquer affiches et banderoles.

Le camp était organisé en 8 barrios (quartiers), dotés chacun d’une "place" pour les discussions, d’un point "info", de toilettes à compost, de douches plus ou moins solaires et d’une cuisine qui préparait midi et soir des repas à prix libre. Le dîner constituait un moment de rencontre où l’on profitait des files d’attente pour retrouver de vieux amis ou s’en faire de nouveaux.

A l’entrée également, la tente Indymedia, offrant un accès Internet public et gratuit sur 6 ordinateurs, et la tente radio constituaient le pôle des médias alternatifs. La radio No Border a par exemple joué régulièrement un rôle stratégique d’information interne. Dans la même zone, le bus de la Publix Theater Caravane, qui avait fait la route depuis Vienne, proposait un apport logistique sur deux étages. Ce centre mobile comprenant des équipements vidéo, un accès Internet et des possibilités de streaming (radio via internet), accompagnait les manifestations, se posait en centre ville ou dans les banlieues autour de Strasbourg.

La présence de tous ces médias technologiques avait constitué, dès la préparation du camp, un point de débat et de mise en question. Les adeptes de la pensée critique anti-industrielle avaient donc monté dans leur barrio un "café anti-tech" pour se préparer du thé à la menthe ou du café en refaisant le monde. C’est bien sûr dans ce quartier qu’on trouvait l’atelier de fabrication des toilettes à compost.

Chaque jour étaient planifiées actions et manifestations en centre ville et dans les banlieues (voir encadré), parallèlement aux rencontres, discussions, projections et ateliers organisés dans le camp lui-même.

Les équipes telle "Bertha", chargée de donner l’alarme en cas de problème, tout comme celles chargées des enfants, des aspects techniques, des médias ou encore l’équipe "médicale" ou "légale" (toutes deux opérationnelles 24h sur 24) étaient constituées dans une logique de moindre spécialisation et de rotation des tâches. Chacune d’elles, au même titre que les barrios et les groupes affinitaires, envoyait des délégués aux assemblées dites "interbarriettes" qui démarraient chaque matin après les réunions de barrios. Ces interbarriettes constituaient des espaces de décisions politiques et pratiques, basées sur une culture de la construction collective sans processus de vote ni consensus forcé. Au final, les décisions étaient affichées en plusieurs langues dans les points infos des quartiers et dans les espaces publics du camp.

En vous promenant dans cette "zone autonome temporaire", vous perceviez des ambiances, des langues et des cultures très diverses, portées par les différent-e-s participant-e-s au camp, muni-e-s ou non de papiers officiels, aux couleurs de peau et accents métissés.

Au cœur de cette diversité et de ce foisonnement, certains points de débats transversaux sont apparus avec une régularité inéluctable: la nécessité ou pas d’entretenir et de gérer stratégiquement les relations avec les médias marchands, ou avec les autorités, l’attitude à adopter face aux manœuvres répressives, et la compatibilité des diverses sensibilités et modes d’action à l’intérieur du camp, avec en toile de fond la difficulté contemporaine à être et agir ensemble en restant autonomes, à prendre des décisions sans comité central ni élite révolutionnaire, sans trop de chaos ni zizanie de village gaulois.

Toute cette belle organisation et son train-train quotidien furent rapidement bouleversés par l’attitude hostile des autorités.

La réponse de l’Etat français

Avant, pendant et après, le No Border a fait l’objet d’un harcèlement frénétique: obstruction de la mairie de Strasbourg sur les questions d’installation, interdiction de manifester par arrêté préfectoral (voir encadré), arrestations à répétition et contrôles d’identité systématiques, agressions policières durant les manifestations et actions (gazages massifs, matraquages, tirs de flashballs, une nouvelle arme de poing qui envoie des balles en caoutchouc rigides, à bout portant), inculpations...

Un des participants, Ahmed Meguini, a été arrêté pendant la manifestation du 24 juillet pour la liberté de circulation et d’installation et la fermeture des centres de rétention. Une arrestation ciblée et violente, suivie d’un passage en comparution immédiate en quasi huis clos, de l’évacuation immédiate du tribunal après l’audience, et de la décision de le maintenir en détention jusqu’au procès. Ahmed est depuis en isolement et toutes les demandes de parloir ont été refusées de même que la demande de mise en liberté qu’il a déposée et qui a été examinée sans avocat.

Dans le cyberespace…

Cette réponse était particulièrement disproportionnée, surtout si l’on considère qu’un des modes d’action privilégiés était basé sur l’interpellation de la population par des "mises en situation" théâtrales, comme l’organisation d’un marché aux esclaves pour mettre en évidence la situation des clandestins en Europe, d’un faux jeu télévisé "la vie en bleu" sur la répression policière ou cette "attaque contre le Système d’Information Schengen** (SIS)", dont on ne sait toujours pas, à ce jour, s’il s’agissait d’un canular.

Extraits d’un communiqué de presse du vendredi 26 juillet 2002:

*

Ce jour, un groupe de chercheurs de NSV (Noborder Silicon Valley) s’est rendu à Strasbourg Neuhof, à l’endroit où se trouve le SIS.

L’objectif de ce groupe de travail était de trouver un moyen de rendre accessible à tout le monde les données stockées par le Système d’Information Schengen.

Accompagnée par une équipe de télévision française et plusieurs journalistes, l’équipe de chercheurs a percé un trou près de la route menant au SIS. Ce qui capta vite l’attention de la police, qui ne comprenait de toute évidence pas ce qui se passait, et était surprise de ce regroupement impressionnant de membres de la presse.

Après démarrage du système et connexion au SIS, les droits d’accès des données contenues par le SIS furent changées de façon à ce que tout le monde puisse accéder à celles le/la concernant, pour les changer ou les effacer selon ses besoins. Un portail web très simple d’utilisation sera bientôt installé.

Pour plus d’informations, voyez http://www.dsec.info

  • … et dans les rue

Ce qui a donné au camp un caractère déterminant est cette combinaison d’actions ponctuelles, théâtrales ou médiatiques, alliées à d’intenses manifestations de rue, comme la marche jusqu’aux bâtiments de la Cour Européenne des Droits de l’homme et du Conseil de l’Europe ou sur les places du centre ville de Strasbourg, avec marionnettes géantes subversives, taggeureuses en folie, unités mobiles de détournement d’affiches, groupe de samba énergisant, porteureuses de drapeaux et personnes déguisées en caméras de vidéo-surveillance qui suivaient de près les policiers avec ou sans uniforme.

La dernière internationale?

Nous laisserons la conclusion à Shuddra (d’Inde) dont le récit nous a servi de fil conducteur*: "Dans les coulisses du camp, juste au moment où je partais prendre mon train au milieu de la nuit, dans une discussion sur les liens entre stratégies médiatiques et politiques (qui rassemblait des gens d’Europe centrale, occidentale, orientale, d’Amérique du Nord, d’Australie, du Moyen-Orient – Arabes et Israéliens confondus – et du sud de l’Asie ) l’idée d’une "dernière internationale" a été prudemment avancée, détournant facilement le cours de la conversation. J’aime cette expression qui dégage un mélange d’ironie et la notion d’une certaine urgence. De plus en plus, je pense que l’époque actuelle est en effet celle de la dernière internationale, celle qui rendrait la résistance au capitalisme aussi flexible, aussi transnationale et mobile que le capital lui-même.

* Merci à tou-te-s les autres dont nous avons également pillé sans scrupule et traduit librement les messages postés sur la liste de coordination du No Border. Vous pouvez trouver plus d’informations sur

http://www.noborder.org/strasbourg

ou à l’adresse du Forum Civique Européen France

En quittant Strasbourg pour traverser physiquement et métaphoriquement les frontières qui me ramenaient vers l’Inde, je ne pouvais m’empêcher de me répéter ce slogan que j’avais souvent entendu au cours des manifestations, ou lu sur les tracts et affiches un peu partout dans Strasbourg: "No Border, No Nations, Stop Deportations".