FRANCE: Chez les faucheurs volontaires

de Jürgen Holzapfel, membre du FCE, 21 juin 2017, publié à Archipel 260

N’y a-t-il véritablement plus d’OGM dans notre agriculture? Loin de là. Les 150 participant·e·s aux «Rencontres Internationales des Résistances aux OGM», venu·e·s de 30 pays et de 4 continents à Lorient, en Bretagne, du 28 au 30 avril derniers, ont pu en faire le constat.

Les «faucheurs volontaires»1 bretons étaient à l’origine de ces rencontres. Depuis 20 ans, des actions sont menées en France, au cours desquelles des champs de culture OGM sont détruits. A l’origine, ces actions étaient essentiellement portées par les paysan·ne·s. C’est lorsque les procédures juridiques ont commencé qu’il·elle·s ont appelé les consomma-teur·trice·s à prendre part au combat. C’est ainsi qu’un large mouvement de «faucheurs volontaires» est né, qui continue de détruire les champs OGM, mais sans le retentissement médiatique dont il bénéficiait durant les premières années. Les multinationales semencières préfèrent accepter les pertes plutôt que de remettre le débat des OGM sur la table à travers différents procès; l’opinion publique française étant bien trop sympathisante avec les résistant·e·s.
Lorsque les manifestations contre la modification génétique se sont essouflées, suite aux réactions de l’Union européenne et à l’introduction de règles plus strictes, les «faucheurs volontaires» ont montré qu’en réalité, la culture d’OGM ne faisait que de se développer. Ces dernières années, les relations entre agriculteur·trice·s de différents continents se sont alors renforcées. Le premier sommet international de 2016 s’est tenu au Burkina Faso, où le coton Monsanto avait été interdit l’année précédente suite à d’intenses mouvements de protestation. A l’automne 2016, des participant·e·s à ce sommet se sont également retrouvés au Tribunal contre Monsanto à la Haye2.
Des techniques génétiques clandestines
En Europe, c’est la «transgénèse» qui est à l’origine des vagues de protestation, ayant mené à l’instauration de règles plus strictes. Dans l’utilisation de cette technique, les gènes d’un organisme sont transplantés dans le génome d’un autre organisme. Des produits créés via la transgénèse, seule une variété est autorisée dans l’Union européenne, le maïs Mon810 de Monsanto, qui est principalement cultivé en Espagne. En revanche, des tests continuent d’être effectués sur de nombreuses autres espèces. En Belgique, le gouvernement flamand tente de manipuler génétiquement des peupliers pour la production d’éthanol, et à Zurich, de nouveaux champs de blé transgénique ont été plantés cette année.
Beaucoup moins contrôlées, les variétés transgéniques de colza et de tournesol se répandent en Europe, car elles ne devaient pas, jusqu’à ce jour, être déclarées comme telles. En effet, elles résultent de techniques de «mutagénèse». C’est-à-dire qu’elles sont le résultat d’une sélection qui tient compte de leur résistance suite à une exposition forte aux pesticides. Elles assimilent ainsi les pesticides mais ne meurent pas. Cette technique, bien plus ancestrale, qui ne rentre pas dans la nomenclature de la législation «transgénique», modifie toutefois artificiellement les propriétés naturelles des organismes.
La recherche génétique a donné lieu à une série de nouvelles techniques, comme la «cis-génétique» ou «Crisper Cas9», ne répondant pas non plus des réglementations sur les OGM. Ces nouvelles techniques représentent pour les généticiens le grand espoir de pouvoir enfin créer leurs propres plantes et animaux, fournissant alors aux entreprises la possibilité d’enregistrer des brevets sur tous les végétaux et tous les aliments.
OGM égal pesticides
A l’extérieur de l’Europe, les plantes transgéniques se développent à un rythme effréné, en raison de l’augmentation de la demande en alimentation animale, en sucre et en biocarburants, en Chine et en Europe. Ce sont surtout les monocultures de soja, de maïs, de canne à sucre, de palme et de coton qui sont concernées.
99% des plantes génétiquement modifiées sont tolérantes à un ou plusieurs pesticides, voire produisent elles-mêmes leurs pesticides, telles que les plantes BT3. Les aliments pour animaux issus des cultures OGM sont moins chers que les plantes issues de l’agriculture conventionnelle en raison de la taille des exploitations: les champs peuvent être traités contre les mauvaises herbes et les nuisibles, par des machines et des avions toujours plus gros et par tous les temps. Suite à l’introduction de la génétique, qui a multiplié l’apport en pesticides, ces derniers sont devenus un réel problème.
Ces éléments d’informations nous aident à comprendre pourquoi les participant·e·s au sommet de Lorient sont venu·e·s de loin pour s’organiser dans la lutte contre les multinationales semencières et les distributeurs de pesticides et pour renforcer les liens entre les différentes initiatives.
Le combat contre le soja génétiquement modifié
Les actions des «faucheurs volontaires» en France se sont focalisées aussi bien autour des champs OGM dissimulés que face aux importations d’aliments pour animaux OGM. Dans le port de Lorient, ce sont plusieurs cargaisons de soja génétiquement modifié qu’ils ont réussi à rendre impropre à la consommation.
L’importation de ces variétés de soja a été un sujet important lors des rencontres. Au cours des vingt dernières années, la Bretagne est devenue le premier producteur de viande en Europe. De plus, 60% de la production française de lait vient de cette région. Porcs, bœufs, dindes et poules gavés dans la discrétion non loin des ports: pas moins de 3,5 millions de tonnes de soja transgénique transitent vers la Bretagne tous les ans par les ports de Lorient et de Brest.
Cela signifie que pour 1,5 millions d’hectares agricoles bretons, ce sont des millions d’hectares au Brésil, en Argentine, au Paraguay qui ont été sacrifiés au profit du soja transgénique. De surcroît, les nombreuses maladies dont souffrent les travailleur·euse·s agricoles sud-américain·e·s suite à l’utilisation massive de pesticides sont soigneusement éludées, la contamination des rivières et nappes phréatiques bretonnes en conséquence de l’élevage intensif également.
Sofia, activiste argentine, décrit la situation de la petite ville de Malvinas, au beau milieu des cultures de soja transgénique, où le RoundUp est aspergé par avion. Selon des sources gouvernementales, sur les 6000 habitants, 33% ont un cancer et 80% des enfants ont des taux de pesticides élevés dans le sang. Alors qu’en 2012, Monsanto débutait à Stutzeingo, près de Malvinas, la construction d’un gigantesque site de production de maïs transgénique, la population a fait barrage et bloqué l’accès au site. Jour et nuit, sous tente, il·elle·s se sont allongé·e·s sur la route pour empêcher les camions d’accéder au chantier, et ont été victimes d’attaques répétées. Après quatre années de lutte, il·elle·s ont gagné, le 1er novembre 2016, leur bataille contre Monsanto. Images poignantes à l’appui, Sofia raconte son histoire dans le mouvement des mères, mouvement parmi d’autres qui se développent dans les collectivités en réponse à l’essor des cultures transgéniques. 24 des 32 millions d’hectares cultivables au Brésil sont cultivés avec des espèces OGM.
...et contre les plantes transgéniques clandestines
En France, plusieurs organisations se sont élevées contre la généralisation incontrôlée des plantes transgéniques de nouvelle génération. Il y a deux semaines, des «faucheurs volontaires» ont détruit un champ de cinq hectares de colza génétiquement modifié appartenant à la multinationale semencière allemande KWS. Ils estiment que près de 30.000 hectares de colza génétiquement modifié vont être cultivés. Les espèces concernées sont tolérantes au pesticide Clearfield produit par BASF. Dans l’«Appel de Poitiers», sept associations ont exigé auprès du Conseil d’Etat que la mutagénèse soit reconnue comme une technique du génie génétique. Après avoir entendu les scientifiques, celui-ci a décrété que cette technologie devait être qualifiée de technique du génie génétique et a sommé la Cour européenne de statuer sur la question. Jusqu’à présent, aucun jugement n’est en vue.
Quelle agriculture voulons-nous?
Au cours des trois jours de rencontres, cinq thèmes ont été discutés en groupes de travail: la convergence des luttes, les pesticides, l’agroécologie, les semences et les moyens légaux de lutte. Deux soirées publiques ont été organisées.
La première était une tribune de discussion entre des paysans du Brésil, des paysans du syndicat conservateur français, la FNSEA, et des paysans du syndicat de gauche, la Confédération Paysanne. Dans cette discussion la question essentielle était: quelle agriculture voulons-nous?
Le contexte local parle de lui-même. Il y a 20 ans, la Bretagne comptait près de 200.000 paysan·ne·s, aujourd’hui il n’en reste que 30.000. Pour une agriculture respectueuse des droits humains et des droits des animaux, 2,5 millions de jeunes français·es devraient exiger, ou occuper, des terres. Ne serait-ce pas une perspective judicieuse pour les jeunes d’aujourd’hui? Christina, du Brésil, affirme que la seule solution pour faire face aux OGM est la petite paysannerie. Si le nombre de paysan·ne·s européen·ne·s diminue tous les jours, la résistance va s’éteindre. Sans une réponse sociétale, l’évolution ira vers toujours plus d’élevages intensifs et toujours plus de pesticides sur les terres cultivées, en dépit des dégâts que cela provoque. Le délégué du syndicat conservateur a admis que, si les aliments pour animaux sans OGM étaient moins chers, les paysan·ne·s breton·ne·s seraient prêt·e·s à les utiliser, mais il n’a jamais remis l’élevage intensif en question.
La deuxième soirée a été consacrée à deux chercheurs de l’institut français Criigen. Celui-ci est composé de scientifiques dont le but est la recherche critique et l’information de l’opinion publique sur les OGM. Christian Velot est chercheur en biologie moléculaire et professeur à l’Université de Paris-Sud. Joël Spiroux est médecin, avec une formation agricole.
Christian Velot interroge deux aspects: la falsification des tests de toxicité des pesticides et la complexité des gènes et de leur impact. Jusqu’à présent, seule la toxicité de certains éléments chimiques composant les pesticides, soigneusement choisis par les producteur·trice·s, est étudiée. C’est ainsi que, pour le Roundup, seul le glyphosate est testé pour sa toxicité sur les animaux et les hommes alors que cet herbicide contient nombre d’autres principes actifs. L’institut a démontré que la toxicité du Roundup est mille fois plus élevée que celle du glyphosate seul. Que dire quand toutes les études menées par l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) ne le sont que sur ce principe actif?
Les chercheur·euse·s en génie génétique prétendent pouvoir décrire très exactement le rôle et l’impact des gènes sur un organisme. C’est ainsi qu’il·elle·s en viennent à donner à un gène une propriété spécifique.
Mais de nombreux·euses scientifiques ont découvert depuis que le milieu d’un gène a une influence sur ses propriétés. La version selon laquelle le génie génétique connaît toujours plus exactement l’ADN et que les interventions sur l’ADN sont toujours plus précises est un mensonge très largement répandu. Elle est conforme à l’état des connaissances scientifiques du début du siècle dernier. Cette interprétation est cultivée afin que la croyance au «miracle» du génie génétique ne soit pas balayée.
Joël Spiroux, quant à lui, a traité des effets des pesticides sur l’organisme humain. En France, chaque année, 70.000 tonnes de pesticides sont répandues sur les terres; au Brésil, on parle de douze litres de pesticides par habitant·e·s. Chacun·e de nous ingurgite ces pesticides, que ce soit dans les aliments, dans l’eau ou dans l’air. Le corps humain stocke ces substances toxiques dans les tissus adipeux comme le cerveau, un élément important pour comprendre l’augmentation de maladies neurologiques comme la maladie de Parkinson ou l’autisme. Ces substances toxiques ont des effets particulièrement importants sur le système hormonal et sur le système nerveux.
Toutes les études que l’EFSA exige pour l’autorisation d’un pesticide sont réalisées par les entreprises productrices elles-mêmes et ne sont jamais rendues publiques. Il n’y a donc aucun contrôle possible sur ces études. De plus, lorsqu’un·e scientifique met en doute les résultats donnés par l’organisme européen, il·elle doit lui·elle-même mener une étude et la rendre publique. Le chercheur français Seralini a démontré, dans ses propres recherches, que le Roundup est cancérigène pour les rats. Sous la pression du lobby industriel, aucune publication scientifique n’a pris ses articles. C’est seulement deux ans plus tard qu’il a pu rendre publics ses résultats.
Il existe peu d’occasions de rencontrer un tel foisonnement de lutte contre les OGM dans l’agriculture. Les différentes conditions politiques donnent naissance à différentes formes de luttes; alors qu’en France, des champs sont détruits, la résistance au Burkina Faso a été possible uniquement grâce à une très large mobilisation populaire. En revanche, en Colombie, il y a régulièrement des assassinats de paysan·ne·s qui protestent contre l’accaparement de leurs terres. En Europe, nous avons le devoir, paysan·ne·s comme consomma-teur·trice·s, d’informer sur cette propagation des OGM et d’inciter à la protestation.
En clôture de cette rencontre à Lorient nous avons décidé de créer un front très large contre les OGM et les pesticides et de nous soutenir les un·e·s les autres dans nos différentes luttes.

  1. Les «faucheurs volontaires» est un mouvement essentiellement français dont les 6700 militant·e·s revendiqué·e·s se sont engagé·e·s par écrit à détruire les parcelles d’essai transgéniques et de cultures d’OGM en plein champ.
  2. Voir Archipel no 253, 259 et l’article ci-dessous.
  3. Une plante génétiquement modifiée BT est une plante dans laquelle on a inséré un ou des gènes d’une bactérie du sol, la rendant résistante aux principaux insectes nuisibles.