AGROCHIMIE: L’avis du Tribunal Monsanto

de Michael Rössler, 19 sept. 2017, publié à Archipel 260

Le 18 avril 2017, à la Haye, aux Pays-Bas, lors d’une séance publique, les cinq juges du Tribunal International Monsanto ont rendu leur avis1 sur les agissements de la multinationale. Il leur aura fallu une demi-année pour présenter un document fondé juridiquement, en voici de larges extraits.

Le Tribunal International Monsanto est un tribunal d’opinion «extraordinaire» mis sur pied à l’initiative de la société civile afin d’éclairer les conséquences juridiques qui découlent de certaines activités de la firme Monsanto. Les audiences s’étaient déroulées du 15 au 16 octobre 2016 à La Haye pour permettre aux juges de recueillir des témoignages afin de répondre aux six questions posées au Tribunal. L’avis consultatif rendu par celui-ci inclut une analyse juridique des questions posées, à la fois au regard du droit international et du droit prospectif, en vue de faire progresser le droit international des droits humains et le droit international de l’environnement. (…)
Le droit à un environnement sain
La première question cherchait à savoir si la firme Monsanto, par ses activités, a agi en conformité avec le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, tel que celui-ci est reconnu en droit international des droits de l’homme (Rés. 25/21 du Conseil des droits de l’homme, du 15 avril 2014), compte tenu des responsabilités qu’imposent aux entreprises les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits humains, tels qu’ils ont été approuvés par le Conseil des droits de l’homme dans sa résolution 17/4 du 16 juin 2011. (…) Les audiences ont permis de recueillir des témoignages à propos d’impacts variés sur la santé humaine, notamment celle des agriculteurs et des travailleurs agricoles, les sols, les plantes et organismes aquatiques, la santé animale et la biodiversité. Ces témoignages ont également porté sur des semences non visées par ces épandages. Les informations recueillies ont également mis en lumière les impacts sur les communautés et peuples autochtones dans de nombreux pays, ainsi que l’absence d’information adéquate fournie aux communautés et peuples concernés.
Sur la base de l’ensemble de ces constats, en réponse à la question n°1, le Tribunal conclut que Monsanto s’est engagé dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à un environnement sain.
Le droit à l’alimentation
(…) Les audiences ont permis de souligner l’existence d’impacts négatifs sur le système de production, les écosystèmes, l’apparition d’espèces invasives ou encore la perte d’efficacité du Roundup sur la durée. Certains agriculteurs sont condamnés à payer des royalties alors que leurs champs ont été contaminés par des semences génétiquement modifiées, d’autres ont fait état d’une emprise de la multinationale sur le marché des semences alors même que les résultats de production peuvent ne pas être atteints.
En réponse à la question n°2, le Tribunal conclut que Monsanto s’est engagé dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à l’alimentation. Les activités de Monsanto conduisent à affecter la disponibilité de l’alimentation pour les individus et pour les communautés et à empêcher la capacité des individus et des communautés à se nourrir par eux-mêmes directement ou à choisir des semences non génétiquement modifiées. De plus, les semences de variétés génétiquement modifiées sont parfois inabordables pour les paysans et représentent une menace pour la biodiversité. Les activités de Monsanto causent des dommages aux sols, à l’eau et de manière générale à l’environnement. Le Tribunal conclut qu’il y a ainsi atteinte à la souveraineté alimentaire et souligne les cas où la contamination génétique de leurs champs a obligé des agriculteurs à payer des royalties à Monsanto, voire à abandonner leurs cultures non OGM du fait de ces contaminations. Il y a bien atteinte au droit à l’alimentation du fait d’un marketing agressif sur les OGM qui oblige les agriculteurs à racheter de nouvelles semences chaque année. C’est le modèle agro-industriel dominant qui est dénoncé avec d’autant plus de vigueur qu’il existe d’autres modèles, tels que l’agroécologie, qui permettent de respecter le droit à l’alimentation.
Le droit au meilleur état de santé
(…) Les témoignages ont fait état de graves malformations de naissance, du développement de lymphomes non Hodgkiniens, de l’existence de maladies chroniques, d’empoisonnement au Lasso ou encore de décès suite à l’exposition environnementale, directe ou indirecte, aux produits manufacturés par Monsanto.
Le Tribunal rappelle que cette multinationale a produit et diffusé de nombreuses substances dangereuses. En premier lieu, le PCB, polluant organique persistant commercialisé exclusivement par Monsanto entre 1935 et 1979 alors même qu’elle avait connaissance des effets néfastes sur la santé. Ce produit est désormais interdit par la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants de 2001. Ce produit cancérigène induit en effet des problèmes d’infertilité, de développement chez les enfants et perturbe le système immunitaire. En second lieu, le glyphosate (intégré dans le Roundup) est considéré dans certaines études comme étant cancérigène tandis que d’autres rapports, notamment celui de l’EFSA2 concluent l’inverse. Dans une opinion en date du 15 mars 2017 relative à la classification du glyphosate, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a certes estimé que ce produit ne pouvait relever de la catégorie des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR).
Néanmoins le Tribunal souligne qu’il n’y a pas de prise en considération du risque d’exposition alors que des résidus de ce produit se retrouvent dans l’alimentation, l’eau potable ou encore l’urine des êtres humains. La commercialisation d’OGM résistants au Roundup a amené ce produit à être largement distribué et utilisé. Il est classé «cancérogène probable pour les humains» par le Centre international de recherche contre le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). D’autres rapports font état de sa génotoxicité tant sur les êtres humains que sur les animaux. Enfin et surtout, des documents internes de Monsanto rendus publics en mars 2017 suite à une décision rendue par le tribunal du district nord de Californie (San Francisco) ont montré que la firme a manipulé les études scientifiques, ce qui annule la prétendue controverse scientifique sur la dangerosité du glyphosate sur la santé. En troisième lieu, le recours aux organismes génétiquement modifiés soulève des questions multiples. Il n’existe pas de consensus scientifique sur l’innocuité des OGM sur la santé humaine. La controverse s’inscrit dans un contexte d’opacité sur les études, voire d’absence de possibilité pour les chercheurs de mener des études indépendantes. Les Monsanto Papers ont mis en lumière une pratique systématique de manipulation des études scientifiques par Monsanto et d’influence exercée sur les experts. Il n’existe pas plus de consensus politique. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, expert indépendant, en appelle à l’application du principe de précaution au niveau global.
Le Tribunal conclut que Monsanto s’est engagé dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à la santé.
La liberté à la recherche scientifique
(…) Le droit à la liberté de la recherche scientifique est intimement lié au droit à la liberté de penser, d’expression et au droit à l’information. (…) Cette liberté requiert d’assurer que les chercheurs puissent s’exprimer librement et soient protégés lorsqu’ils agissent comme lanceurs d’alerte.
Les témoignages d’agronomes et de biologistes moléculaires ont fait état de pratiques qui, pour certaines d’entre elles, ont conduit à des condamnations en justice de Monsanto. Parmi ces pratiques: des plantations illégales d’OGM, le recours à des études déformant les impacts négatifs en limitant l’analyse des effets toxiques au seul glyphosate alors que le Roundup est une combinaison de substances, l’existence de campagnes massives visant à discréditer les résultats de recherches scientifiques indépendantes. Ces stratégies ont conduit par exemple au retrait d’une étude publiée dans une revue internationale, ainsi qu’à la perte de l’emploi d’un scientifique travaillant au sein d’une agence sanitaire gouvernementale.
En réponse à la question n°4, le Tribunal conclut que le comportement de Monsanto affecte négativement la liberté indispensable à la recherche scientifique. Le discrédit porté sur les recherches scientifiques qui soulèvent de sérieuses questions relatives à la protection environnementale et sanitaire, le recours à de faux rapports scientifiques commandés par Monsanto, les pressions sur les gouvernements ou encore les intimidations sont autant de comportements qui portent atteinte à la liberté indispensable à la recherche scientifique. Cette atteinte est d’autant plus grave qu’elle s’accompagne d’expositions à des risques sanitaires et environnementaux, privant la société de la possibilité de protéger ses droits fondamentaux. Les tentatives de discréditer les travaux de scientifiques ou encore les mesures visant à les réduire au silence sont constitutives d’une conduite abusive au regard du droit à la liberté indispensable pour la recherche scientifique et du droit à la liberté d’expression, et affectent négativement le droit d’accès à l’information.
Complicité de crime de guerre
Au sens de l’article 8.2 du Statut de la Cour pénale internationale (CPI), par la fourniture de l’Agent Orange.
Entre les années 1962 et 1973, plus de 70 millions de litres d’Agent Orange (contenant de la dioxine) ont été pulvérisés sur près de 2,6 millions d’hectares. Ce défoliant à causé d’importants dommages à la santé, au sein de la population civile vietnamienne. Les dommages causés aux vétérans américains, néo-zélandais, australiens ou encore coréens ont fait l’objet d’actions en justice et conduit à la reconnaissance de la responsabilité notamment de Monsanto. En l’état actuel du droit international et en l’absence de preuves particulières étayant cette hypothèse, le Tribunal n’est pas en mesure de répondre de manière définitive à la question qui lui est posée. Néanmoins, il semble que Monsanto savait à quoi ses produits allaient servir et détenait les informations concernant les conséquences sanitaires et environnementales de leur déversement. Le Tribunal relève que si le crime d’écocide devait être érigé, à l’avenir, au rang de crime de droit international, les faits rapportés pourraient relever de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI).
Crime d’écocide
(…) Entendu comme consistant dans le fait de porter une atteinte grave à l’environnement ou de détruire celui-ci de manière à altérer de façon grave et durable des communaux globaux ou des services écosystémiques dont dépendent certains groupes humains.
Le développement du droit international de l’environnement confirme la progression d’une conscience selon laquelle l’atteinte à l’environnement est une atteinte aux valeurs sociétales les plus élevées. La communauté internationale intègre l’idée de préservation de la dignité des générations présentes et futures ainsi que la nécessité de préserver l’intégrité des écosystèmes. En atteste également la priorité que la procureure de la CPI entend donner aux crimes relevant de la compétence de la CPI qui impliquent des accaparements de terres ainsi que des atteintes graves à l’environnement, selon la politique générale relative à la sélection et à la hiérarchisation des affaires annoncée en septembre 2016. Néanmoins, malgré la progression de nombreuses dispositions protégeant l’environnement, un fossé demeure entre ces engagements et la réalité de la protection dont l’environnement bénéficie. Le Tribunal estime que le droit international doit désormais affirmer, de manière précise et claire, la protection de l’environnement et le crime d’écocide. Le Tribunal conclut que, si un tel crime d’écocide existait en droit international, alors les activités de Monsanto pourraient relever de cette infraction. Plusieurs activités pourraient relever du crime d’écocide. Parmi elles figurent notamment: la production et la fourniture à la Colombie d’herbicides contenant du glyphosate dans le cadre de son plan d’épandages aériens des plans de coca qui conduit à des impacts négatifs sur l’environnement et la santé des populations; le recours à très grande échelle à des produits agrochimiques dangereux dans l’industrie agricole; et la production, ainsi que la commercialisation et la diffusion d’organismes génétiquement modifiés. Les graves contaminations des sols, de l’eau et de la diversité des plantes relèveraient également de la qualification d’écocide. Enfin, pourrait également relever de cette qualification d’écocide, l’introduction de polluants organiques persistants tels que le PCB dans l’environnement, qui cause des dommages sévères et à long terme, affectant les droits des générations futures.
Appel du Tribunal
(…) Un appel du Tribunal concerne la nécessité de tenir pour responsables des acteurs non-étatiques en droit international des droits humains. Il est temps, de l’avis du Tribunal, que les multinationales soient considérées comme sujets de droit et dès lors, qu’elles puissent être poursuivies en cas d’atteintes aux droits fondamentaux. Une asymétrie entre les droits et les obligations des multinationales est clairement identifiée et dénoncée par le Tribunal. L’avis consultatif encourage donc les autorités à protéger l’effectivité des droits humains et de l’environnement contre certains agissements des multinationales.

  1. Le rapport intégral de l’avis consultatif du Tribunal se trouve en plusieurs langues sur le site: www.monsanto-tribunal.org
  2. European Food Safety Authority