AGROCHIMIE:Des multinationales en accusation

de Michael Rössler, EBF, 9 févr. 2016, publié à Archipel 244

Monsanto, le plus grand groupe mondial d’agrochimie, se retrouve devant un tribunal à la Haye. En novembre dernier, Syngenta, troisième dans l’ordre d’importance, était jugé au Brésil pour un massacre de paysans sans terre.

Pendant le sommet mondial sur le climat, COP 21, une conférence de presse soutenue par le FCE a interpellé l’opinion. Le 3 décembre 2015, un groupe de défenseurs de l’environnement venait présenter publiquement le projet de mise en accusation du groupe agrochimique Monsanto pour «écocide» - meurtre avec préméditation du système écologique – devant un tribunal international à La Haye. Jusqu’à présent, un tel délit n’existait pas, le tribunal habilité à traiter une telle plainte reste donc à créer. L’initiative «Monsanto Tribunal»1, dont font partie des personnalités connues2 dans différents domaines, s’est fixé comme objectif «de juger les crimes à l’encontre de l’environnement et de la santé3 de cette multinationale américaine, pour une reconnaissance de l’écocide par le droit international.» Le procès symbolique, qui se tiendra du 12 au 16 octobre 2016 à La Haye, devra pointer les lacunes en matière de poursuites pénales et être reconnu comme un cas de jurisprudence pour d’autres groupes. Les participant-e-s au tribunal ne sont pas seulement symboliques: des procureurs, des juges et des avocats seront présents, ainsi que plusieurs dizaines de témoins du monde entier. Seul l’accusé sera absent. Monsanto a pris les devants et rejeté les accusations comme «totalement irrecevables» et va probablement essayer de discréditer le tribunal aux yeux de l’opinion publique. Malgré son travail de lobbying et son énorme budget de communication, le groupe aura du mal à réfuter les accusations car les initiateurs du tribunal sont extrêmement bien documentés.
Un bain de sang au Brésil
L’affaire remonte à plusieurs années: le 21 octobre 2007, 150 paysannes et paysans du MST (Mouvement des Sans-Terre) et de Via Campesina occupent un domaine d’expérimentations du groupe bâlois Syngenta, situé dans le village de Santa Tereza do Oeste dans l’Etat brésilien du Parana. Les occupant-e-s s’opposaient à des expériences illégales avec du maïs et du soja génétiquement modifiés. Le même jour, la milice privée engagée par Syngenta NF Segurança pour évacuer les terres y fera un bain de sang. Les 300 tirs des 40 hommes en armes ont tué un paysan, Valmir Mota de Oliveira (dit Keno), et blessé de nombreux occupant-e-s, dont la journalière Isabel Nascimento dos Santos. Syngenta a nié toute responsabilité et expliqué que cette affaire grave était un affrontement d’ordre privé entre les occupant-e-s et la milice engagée par des latifundistes. La vague d’indignation provoquée par l’attitude du groupe l’a contraint à se retirer du domaine à partir d’octobre 2008. Depuis, l’Etat de Parana y a installé un centre de recherches en faveur de l’agriculture écologique. Une large mobilisation organisée entre autres par le FCE devant le siège bâlois de la multinationale a certainement contribué à ce résultat.
Syngenta condamné
Le groupe s’était retiré du domaine mais continuait à nier toute responsabilité pour les événements sanglants comme pour les demandes de réparations. C’est pourquoi les victimes, avec le soutien de l’organisation des droits humains Terra de Direitos4 ont porté plainte en 2010 contre lui. Cinq ans plus tard, un tribunal brésilien a aujourd’hui déclaré Syngenta coupable du meurtre de Valmir Mota de Oliveira et de la tentative de meurtre d’Isabel Nascimento dos Santos. Le jugement du premier tribunal civil de Cascavel (Parana) a été publié le 17 novembre dernier. Il prévoit des réparations pour les familles du paysan assassiné et de la paysanne grièvement blessée. Le juge déclare: «Considérer l’événement d’alors comme une simple confrontation signifie fermer les yeux sur la réalité. Il n’y a aucun doute qu’il s’agissait d’un massacre, sous le prétexte de défense de la propriété. (…) Même si l’occupation a été répréhensible et illégale, rien ne justifie d’appliquer soi-même la loi et la peine de mort pour les occupant-e-s.» Le jugement n’est pas définitif. Syngenta va probablement faire appel. Mais il semble que les plus hautes instances vont confirmer ce jugement. Il s’agirait alors d’une jurisprudence qui pourrait alléger la procédure contre les crimes d’autres groupes.

  1. Informations, liste des signataires, crowdfunding:< www.monsanto-tribunal.org>.
  2. Entre autres, Hans Rudolf Herren (entomologue, président du Millenium Institute et de Biovision Foundation), Floriane Köchlin (biologiste), Marie-Monique Robin (réalisatrice de films documentaires et auteure du «Monde selon Monsanto», Olivier De Schutter (professeur de droit et ancien chargé de mission à l’ONU pour le droit à l’alimentation), Vandana Shiva (Navdanya).
  3. Depuis des années, on soupçonne de graves atteintes à la santé dues au glyphosate contenu dans l’herbicide roundup. En France, Monsanto a été pour la première fois condamné en septembre 2015 pour troubles avérés chez un paysan utilisant un produit du groupe.
  4. Informations dans plusieurs langues: <www.terradedireitos.org.br>.