ALLEMAGNE:Un vol d’oiseaux chanteurs fait blocus

de Elke Lutze-Furet Longo maï, 8 août 2012, publié à Archipel 206

Tchernobyl et Fukushima,
De quel avertissement avons-nous encore besoin?

Avant que les derniers comprennent,
Le prix n’est-il pas trop élevé?
Sortir! Maintenant! Avant que ce soit trop tard!
Ensemble nous pouvons y arriver et montrer que cela marche …. (Texte et arr: M. Schneider, sur la musique de The Wall, Pink Floyd, ).
Depuis la décision en 1977 du gouvernement du Land de Basse-Saxe d’étudier la possibilité de stockage des déchets nucléaires dans les anciennes mines de sel de Gorleben, manifestations et actions plus au moins violentes se succèdent, organisées par les habitants et soutenues par des activistes allemands et de nombreux autres pays. Les «Castors»1 qui arrivent ici transportent des déchets qui viennent de France et des Pays-Bas.
Ce site est situé à peine à 20 km de l’ancienne frontière entre les deux Allemagnes, ce qui constituait à l’époque un facteur de tension supplémentaire et en rendait l’accès plus difficile. En RDA des actions parallèles avaient lieu.
En 1987, un accident causant la mort d’un ouvrier a conduit à la mise en veille de la construction déjà entreprise d’un centre de conditionnement, pour défauts de sécurité.
Mise en veille levée en 1989, avec l’arrivée du premier Castor.
En 1990, pour la première fois des contestataires venus des deux parties de l’Allemagne, récemment réunifiée, se retrouvent et manifestent ensemble contre le redémarrage des travaux et contre l’énergie nucléaire à l’Est comme à l’Ouest.
Malgré les doutes existant depuis 30 ans sur la compatibilité du lieu, Gorleben est le seul endroit en Allemagne où l’on envisage sérieusement la possibilité d’implanter un centre de stockage pour «déchets ultimes». Et de nouveaux travaux d’exploration de la mine ont été entrepris en automne 2010, après 10 années de pause.
Le dernier week-end de Pentecôte, je me suis rendue à Gorleben pour chanter avec le Kommunechor sous la direction musicale de Marianne Schneider. Avec des amies, elle proposait que nous participions à un blocage pacifique du chantier d’accès aux mines de stockage des déchets nucléaires et que nous donnions un concert devant le portail d’accès de l’installation. L’idée d’élever ma voix, de la mettre en vibration avec d’autres autour de moi dans cet environnement m’avait séduite.
Le Kommunechor est une chorale qui existe en Allemagne depuis plusieurs années et à laquelle participent des personnes qui vivent sur des lieux alternatifs, des collectifs, des communautés et leurs amis. Ils se rencontrent deux à trois fois par an pendant un week-end sur l’un de ces lieux, travaillent des chants en commun et terminent par un concert public.
Ce week-end-ci, nous étions une petite trentaine de chanteuses et chanteurs venus soutenir l’action de l’association X-365 Gorleben qui s’élève contre le redémarrage, contre l’absence de recherche concernant le recyclage des déchets nucléaires et contre le blocus total de l’information. Pour appuyer ses revendications, elle bloque les travaux aux portails d’accès des mines de stockage. Le blocage, débuté le 14 août 2011, se poursuivra sur une période de 365 jours. Tout citoyen est invité à participer, certains viennent avec leurs chevaux, d’autres viennent fêter là des anniversaires et des mariages «de rêve», tout en bloquant l’accès. Tous inventent leur propre scénario: un goûter, un grimper de corde…
C’est un blocus pacifiste. Nous, nous sommes arrivés en chantant, bloquant trois des six portails, les autres étant pris en charge par les gens du camp permanent et des touristes, pour empêcher la relève de la garde. Les cordons de policiers avaient l’ordre d’intervenir le plus pacifiquement possible, pas de visière, ni de matraque. Ils décidaient quel portail devait être évacué, et après trois invitations plus au moins menaçantes, et puisque les gens restaient assis, les portaient plus au moins délicatement sur les bas-côtés, bloquaient les passants ou touristes venus en renfort et tentaient de garder le portail dégagé jusqu’à la relève. Ca avait des airs de jeu de société bon enfant, mais je pense que la résistance antinucléaire est une bagarre de longue haleine, il faut avoir du souffle et dans ce contexte, le chant est un bel espace de liberté et de partage.

  1. Types de containers «étanches aux radiations», montés sur wagons, pour transporter du combustible nucléaire et des déchets radioactifs, fabriqués en Allemagne.