ANDALOUSIE: Etat des lieux

de Federico Pacheco SOC Almeria Janvier 2012, 17 mars 2012, publié à Archipel 201

Depuis l’année 2000, et les pogroms visant les travailleurs immigrés à El Ejido, nous vous avons tenu-e-s informé-e-s sur la situation sur place et le travail local du SOC, ce syndicat de journaliers andalous. Voici un article de l’un des animateurs du SOC.

La crise économique globalisée a provoqué en Espagne une hausse considérable du chômage qui touche plus de 25% de la population andalouse, principalement à cause de l’écroulement du secteur immobilier et de la construction.
Par contre, le secteur de l’agriculture intensive d’Almeria, dont la plus grande partie de la production est destinée à l’exportation, a su garder ses volumes de production et son chiffre d’affaires. L’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi précédemment évoquée est le prétexte des employeurs pour accélérer le remplacement permanent des ouvriers agricoles, licenciant les plus anciens et embauchant toujours des nouveaux, de façon à limiter leur accès à un statut légal (fixe ou fixe-discontinu1) qui implique des salaires valorisés et beaucoup plus de stabilité. D’autre part, les restrictions d’accès aux crédits et les prix d’achat très bas imposés aux agriculteurs par les chaînes de supermarchés internationales favorisent la faillite des petites exploitations et induisent la concentration des terres agricoles par des entreprises de plus en plus grandes. Celles-ci bénéficient de capitaux étrangers et s’introduisent également dans le secteur du «bio», sans différence notable pour les employés. Les journaliers agricoles immigrés subissent par ailleurs une politique accrue de harcèlement policier et de restriction d’accès à la régularisation et au regroupement familial. Ils sont stigmatisés, accusés d’être à l’origine des problèmes économiques.

Les actions syndicales

Dans ce contexte, le SOC Almeria se propose de continuer et d’approfondir son programme syndical de défense des droits des saisonniers agricoles de la région, de formation et d’auto-organisation. L’augmentation des conflits individuels et collectifs due aux licenciements et salaires impayés, a poussé le syndicat à renforcer le travail de son cabinet juridique. L’équipe est composée d’un médiateur marocain et de deux femmes juristes à mi-temps, l’une spécialisée dans le droit du travail, l’autre dans les droits des étrangers, en coordination avec un avocat extérieur. Ce travail juridique administratif s’accompagne de visites aux entreprises, dans les logements et les lieux de rencontre des ouvriers dans les différentes zones de la région. Trois syndicalistes immigrés, accompagnés si nécessaires par les juristes, ont pour mission d’informer les travailleurs, de tenter une médiation sur place avec les entrepreneurs et de soutenir des actions de lutte collectives (grèves ou rassemblements).
Spitou Mendy, sénégalais, et Abdelkader Chacha, marocain, sont chargés depuis des années de la coordination du travail syndical dans le secteur agricole. Depuis juillet 2011, Mbarka, une jeune syndicaliste marocaine a commencé à mettre en place, à mi-temps, des actions avec les femmes immigrées travaillant dans les usines de conditionnement de fruits et de légumes. Ce nouveau champ d’action a été rendu possible à partir de l’intervention bénéfique du SOC dans différents conflits qui ont eu lieu dans ce secteur, la réussite en faveur des droits des femmes saisonnières et grâce au soutien économique du Solifonds2.

Du succès dans la lutte

En 2011, la lutte pour les droits des travailleurs agricoles d’Almeria a connu de nouveaux succès qui créent des précédents très importants pour l’avenir : la pression des consommateurs dans différents pays européens, notamment en Suisse, a forcé certaines entreprises à respecter enfin la législation du travail et à améliorer les conditions de travail des ouvriers agricoles. Lors du conflit de Biosol3, six ouvrières embauchées dans le secteur du conditionnement ont été réintégrées et six autres ont été indemnisées correctement malgré la résistance de leur entreprise. L’intervention de BioSuisse en tant que médiateur et l’attitude déterminée du supermarché Coop ont conduit à la signature d’un accord entre l’entreprise et le SOC. Celui-ci a permis de trouver une solution non seulement au problème initial mais aussi d’établir un mode de discussion permanente assuré par les médiateurs. Lors d’une longue lutte dans l’entreprise New England Growers, six ouvriers marocains ont obtenu le statut fixe qui leur permet de faire valoir leurs droits d’une manière plus efficace. Les campagnes d’information sur les conditions de travail à Almeria et le soutien d’organisations comme le Forum Civique Européen et de syndicats, ont été décisifs dans la réussite de cette nouvelle stratégie de défense des droits des travailleurs journaliers.

Formation pour préparer l’avenir

Réagir dans l’urgence contre l’exploitation et la précarité est, bien sûr, essentiel. Il est aussi crucial de mener des programmes de formation qui permettent aux travailleurs immigrés de s’organiser et de défendre eux-mêmes leurs droits. Des cours d’alphabétisation, de médiation et d’information sur les droits sociaux se déroulent dans les trois locaux du SOC à Almeria, El Ejido et San Isidro (Nijar), ainsi qu’au local de l’association Amepaz dans la commune de Mojonera. Une commission de formation, animée par des bénévoles et experts en pédagogie, coordonne et appuie les différentes actions mises en place. Pour les affilié-e-s de BioSol et New England, une formation juridique et syndicale a lieu toutes les deux semaines au local de San Isidro pour leur fournir les outils nécessaires à la défense de leurs droits, conseiller les autres travailleurs-ses et aboutir, si possible, à la création d’une section syndicale dans l’entreprise. Les différentes activités d’animation, Internet, cours de langue arabe, projections de vidéos et rencontres font que les locaux du SOC à El Ejido et à San Isidro sont devenus des endroits de rencontre et d’information pour des centaines de journaliers immigrés.

  1. Le travailleur fixe travaille toute l’année avec un minimum de 40 heures par semaine et un mois de vacances annuel. Le travailleur fixe-discontinu travaille seulement durant la campagne agricole et selon les besoins de l’employeur. Contrairement aux travailleurs saisonniers, il a le droit à la garantie de réembauche pour la campagne suivante. En cas de licenciement, il peut bénéficier des indemnités chômage qui se calculent en comptant toutes les années où il a travaillé.
  2. Un fonds de solidarité des syndicats suisses.
  3. Voir Archipel No 195, juillet-août 2011, «Les ouvriers agricoles se révoltent».

Main-d’œuvre importée pour fraises exportées

La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) sort un nouveau rapport qui vient confirmer les dénonciations que nous avons faites depuis de longues années au sujet de l’exploitation des ouvriers et surtout ouvrières dans la plus grande concentration de fraises en Europe*. Il condamne, entre autres, le fait que «les conditions économiques, de concurrence et de vente de produits poussent les producteurs à réduire au maximum leurs frais et à utiliser la main-d’œuvre comme variable d’ajustement». Le rapport «met en lumière les entraves aux droits humains dans un système de migration circulaire (…) qui «induit des atteintes aux droits des travailleurs qui se trouvent complètement dépendants de leur employeur.» La FIDH critique le recours systématique aux «contrats en origine», grâce auxquel les producteurs recrutent des femmes saisonnières «à la source» dans leurs pays d’origine. Aujourd’hui, il s’agit surtout de femmes marocaines. «Celles-ci sont choisies parmi les femmes mariées, avec des enfants en bas âge, critères censés garantir un retour au pays…».
Le rapport de 40 pages est disponible en anglais, espagnol et français sur le site www.fidh.org.

* Voir Archipel No 96, juillet 2002, «Purée de fraises andalouse» et Archipel No 127, mai 2005, «La galère de l’or rouge».