DROIT D'ASILE: Non au démantèlement du droit d’asile!

de Ruedi Tobler Walzenhausen (CH), 10 mai 2013, publié à Archipel 215

Dans les numéros 209, 210 et 213 d’Archipel, nous avions évoqué le référendum contre le durcissement du droit d’asile que le parlement suisse a adopté en septembre de l’année dernière. Puisqu’il a abouti, la loi sera soumise au peuple le 9 juin. Le FCE participe à la campagne pour le NON. L’article suivant a été publié dans la Friedenszeitung* de Zurich. Nous espérons que de nombreux/ses lecteurs et lectrices se joindront à la campagne.

Pour la Suisse, nous joignons à ce numéro le dépliant du comité du NON et nous encourageons nos lecteurs à en faire bon usage.

Attaque contre l’objection de conscience

Depuis l’introduction du service civil en 1992, la Suisse reconnaît le droit à l’objection de conscience. A l’époque le peuple avait voté pour ce nouveau droit à plus de 80%. Mais le service civil dérange toujours et encore la fraction des «casques d’acier» du parlement suisse, qui cherche à l’abolir.
L’augmentation des demandes d’asile de la part de déserteurs d’Erythrée a fourni un argument à la tendance qui, aux côtés de l’UDC1, lutte contre le droit à l’objection de conscience et qui veut désormais supprimer la désertion comme motif d’asile en Suisse.
Cette fraction joue sur la mauvaise réputation des déserteurs, considérés comme des lâches et des traîtres abandonnant leur patrie précisément au moment où elle a le plus besoin d’eux, quand ils devraient la défendre. Aujourd’hui encore, il est difficile de substituer à cette image celle de citoyens particulièrement responsables, ne reniant pas leur conscience et leur sens des responsabilités quand ils entrent à l’armée, et qui refusent d’accomplir leur service militaire lors de guerres injustes ou entachées d’infractions au droit public international.

Les déserteurs américains

Il y a un demi-siècle, la guerre du Vietnam avait fourni un bon exemple. A l’époque, il y avait beaucoup de soldats américains tout à fait disposés à effectuer leur service militaire pour les Etats-Unis, mais pas à participer à une guerre d’agression violant le droit public international. Un nombre considérable de soldats américains, stationnés en Europe occidentale, avaient déserté quand leur unité était sur le point d’être transférée au Vietnam. Le seul pays européen assez indépendant des Etats-Unis et assez courageux pour leur accorder l’asile fut la Suède. La Suisse, à l’époque déjà membre de la Convention de Genève mais pas encore dotée d’une loi d’asile, ne s’était pas risquée à une telle neutralité active. Pourtant, beaucoup de déserteurs américains traversaient la Suisse, venant de France et d’Italie, en route pour la Suède.
Mes parents faisaient partie d’un réseau qui aidait les déserteurs américains à fuir en Suède. Je me souviens qu’ils recevaient de temps à autres un coup de fil qui annonçait l’arrivée à Genève d’un ou de plusieurs déserteurs qui avaient besoin d’aide. Ils vivaient quelques jours chez nous, jusqu’à ce que leur fuite ait été organisée. De la plupart, nous n’avons plus jamais eu de nouvelles. Quelques-uns pourtant nous ont écris qu’ils étaient bien arrivés. Le parcours à travers l’Allemagne n’était pas sans danger. Avec les nombreuses unités qui y étaient stationnées, la police militaire américaine était très présente et elle faisait activement la chasse aux déserteurs pour les faire comparaître devant les tribunaux militaires.

La Suisse ne veut plus de «vrais» réfugiés

Lors des révisions précédentes du droit d’asile, les initiateurs prétendaient qu’ils refusaient le droit d’asile aux «faux» réfugiés pour garder la place pour les «vrais». Ce prétexte a perdu toute crédibilité avec la révision actuelle. Celle-ci prévoit de refuser le droit d’asile aux objecteurs de conscience et aux déserteurs, qui sont des réfugiés politiques, donc considérés auparavant comme de «vrais» réfugiés. Il est également prévu d’abolir la possibilité de demander l’asile auprès des ambassades suisses à l’étranger. Cette possibilité permettait aux personnes persécutées de venir légalement en Suisse. Le fait que nos voisins n’appliquent pas une telle procédure n’est pas une raison valable pour la supprimer, d’autant plus qu’elle s’est avérée efficace.
Le seul objectif est de rendre encore plus difficile l’accès à la Suisse pour les réfugié-e-s. Il est lamentable que les partis bourgeois du PLR, PDC, PBD et PVL2 participent ainsi au démantèlement du droit d’asile. Et c’est particulièrement déplorable de la part des radicaux du PLR, puisque c’est ce parti qui a largement inspiré la création de l’Etat fédéral suisse au 19ème siècle et qui a défendu le droit d’asile – contre la pression des grandes puissances européennes.
Le PLR a donc littéralement trahi ses propres origines et ses convictions fondamentales.

La Suisse dans un délire anti-réfugiés

La migration est un problème mondial. Le rapport Global Trends 2011 du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (UNHCR) cite le chiffre de 42,5 millions d’expatriés. La Suisse n’est touchée que de façon marginale. Selon les statistiques fédérales, 80.454 personnes ont été enregistrées dans une procédure d’asile en 2012. Au niveau mondial, la participation de notre pays se chiffre en millièmes. S’il n’existe pas de chiffres officiels sur les coûts de la politique d’asile en relation avec les dépenses globales de la Confédération, il s’agit au grand maximum de 1,5%. Ceci mérite d’être rappelé quand nous parlons de politique d’asile.
La Suisse n’a pas de problème avec les requérants d’asile, mais avec elle-même. Elle a succombé à un délire anti-réfugié. Celui-ci n’est pas tombé du ciel: depuis plus de vingt ans, un grand parti politique gouvernemental souffle sur les braises de la xénophobie. Ce parti s’est mué de parti conservateur traditionnel en parti d’extrême droite. L’intention du parti et de son leader n’est pas de résoudre des problèmes concrets. Elle vise la prise de pouvoir et la destruction pure et simple de l’ordre social traditionnel. Peut-être est-ce un pur hasard s’il y a exactement 80 ans qu’un parti mené par un Führer a pris le pouvoir chez nos voisins germaniques. Là aussi la société était portée par un délire, le délire anti-juif. Ce qui m’inquiète aujourd’hui est le fait que les partis bourgeois ne semblent avoir tiré aucune leçon de l’histoire. Au lieu de s’opposer clairement à la politique délirante de l’UDC, ils y participent et lui donnent ainsi une odeur de sainteté. (…) Dans les années 1930, les radicaux3 se sont rattrapés de justesse pour ne pas sombrer dans le soutien à l’extrême droite. Aujourd’hui je ne suis pas si optimiste. Mais il s’agit là d’une des questions que nous devons poser pendant la campagne de votation.

Mesures d’urgence ou Etat de droit

Dans le cas de la politique d’asile, il ne s’agit pas de la recherche d’une solution à un problème. ni du durcissement d’une loi. Le but de l’UDC est la destruction de l’Etat de droit. Une révision suit l’autre, nous en sommes à la dixième en 30 ans. Il ne s’agit pas d’une transformation de la législation mais de sa destruction. Et pour cela l’UDC se bat contre la participation de la Suisse au droit public international et particulièrement aux droits humains. Pour atteindre son but qui est d’instaurer un Etat de non-droit où une petite minorité réduit la majorité au statut de sous-hommes, elle doit isoler la Suisse de la Communauté internationale.
Il est typique que la révision sur laquelle nous votons le 9 juin ait été considérée comme loi fédérale urgente, bien que les conditions constitutionnelles pour une telle procédure ne soient pas réunies. Malheureusement, la Suisse n’a pas de tribunal constitutionnel au niveau fédéral devant lequel la légalité d’un tel procédé pourrait être combattue. L’arrêté octroie au Conseil fédéral les pleins pouvoirs en matière d’asile afin d’expérimenter, durant les trois prochaines années, des «procédures test», en dérogation au droit d’asile en vigueur.
Notre Etat de droit est en train d’être sapé à grande vitesse, raison pour laquelle il ne suffit pas de rejeter simplement la révision du droit d’asile le 9 juin. Il s’agit d’en finir avec le délire anti-réfugié et de contraindre les partis bourgeois à se souvenir de leurs propres idéaux initiaux.

* Friedenszeitung No 4-2013, Case Postale 1808, CH-8021 Zürich, ou <friedenszeitung(at)friedensrat.ch>

  1. Parti politique suisse, moralement conservateur et nationaliste, et économiquement libéral. C’est le plus à droite de tous les partis représentés actuellement au gouvernement.
  2. Respectivement: Parti Liberal Radical, Parti Democrate Chrétien, Parti Bourgeois Démocratique et Parti Vert Libéral. En Suisse, les partis du centre et de droite sont couramment qualifiés de «partis bourgeois», se démarquant ainsi des Verts et de la gauche.
  3. Allusion au Parti Libéral Radical évoqué plus haut, qui n’a aujourd’hui de radical que le nom, mais était considéré comme progressiste au 19ème siècle.