FRANCE/NUCLÉAIRE: L'Etat nucléaire français contre la résistance à Bure

de Rainer Günzel, 9 mai 2021, publié à Archipel 303

Début juin débutera à Bar-le-Duc le procès contre une soi-disant "association de malfaiteurs/trices" que l'Etat a construite à partir de personnes engagées dans la lutte contre le projet de poubelle atomique à Bure.

Il y a beaucoup de bonnes raisons de critiquer le renforcement de la criminalisation du mouvement écolo-giste et des parallèles à observer quant aux attaques portées contre la gauche dans toute l'Europe. Pour les antinucléaires et tant d'autres qui s'engagent contre la nouvelle droite, l'injustice globale, les lois sécuri-taires et les mesures avantageant toujours les mêmes, une chose devient de plus en plus claire: le malfaiteur, c'est l'Etat.

La lutte contre le projet de stockage définitif CIGEO s'est renforcée depuis 2015. De nombreuses manifes-tations et actions en partie directes sont devenues quotidiennes dans la province lorraine de la vallée de la Meuse, surtout durant les années 2016 et 2017. Le "laboratoire de recherche" a été attaqué à plusieurs re-prises. Des grilles sont tombées, des vitres ont été brisées et des entreprises impliquées ont subi des at-taques informatiques. La résistance de Bure s'est alors popularisée, plus spécialement à partir de l'occupa-tion du bois Lejuc de juin 2016 à février 2018.

La réponse de l'Etat nucléaire français n'a pas laissé attendre sa réponse. La surveillance et la répression allaient croissant, suivies d'une véritable militarisation du territoire et de stationnement d'escadrons de gendarmerie. Certain·es se sont même fait arrêter pour possession de pelles à tarte, même si d'autres inter-ventions étaient largement moins rigolotes. Des milliers d'heures d'écoute contre les écologistes, des con-damnations pour des fariboles et des interdictions de territoire pour plusieurs années ont été prononcées dans environ 50 cas par le tribunal de Bar-le-Duc.

Le tout est passé à la vitesse supérieure en 2018 avec l'ouverture d'une enquête pour "association de malfaiteurs/trices". Après une douzaine de perquisitions menées quelques jours après la manifestation de 3.000 antinucléaires dans la capitale du département de la Meuse en juin, douze militant·es ont progressi-vement été visé·es par la procédure: des étudiant·es, maraîchers, sans-emploi, travailleurs/ses, artistes, journalistes et un avocat. Pendant toute la durée de l'enquête, qui s'est étirée jusqu'en décembre 2020, les contrôles judiciaires étaient déjà une lourde punition. Les inculpé·es n'avaient pas le droit de rentrer en communication les un·es avec les autres, de fréquenter une partie de la région ni de quitter le territoire national.

Comme dans d'autres villes françaises et beaucoup de pays européens, l'Etat fait usage de ses armes les plus lourdes contre les mouvements contestataires. De partout, il fabrique des bandes criminelles dans nos rangs, tandis que des mouvements d'extrême droite s'en tirent avec du sursis, quand ce ne sont pas les ser-vices de renseignement et de police qui se chargent de les couvrir. Les procédures en Europe se comptent par douzaines et le "Groupe de Bure" est un exemple flagrant pour le constructivisme étatique branlant mis en œuvre sur la base d'indices les plus minces. Le cas montre à quel point le mouvement écologiste est une épine dans la chair du capital, car le "centre d'enfouissement nucléaire définitif" serait une étape décisive pour l'avenir de cette technologie mortifère.

Récemment, en Allemagne aussi, c'est avec une violence policière accrue que le mouvement écologiste s'est vu reprimer, que ce soit à Hambach, Flensbourg ou dans la forêt de Dannenroed. Les suites des con-testations légitimes au G20 de Hambourg se font toujours ressentir avec de la censure, des perquisitions, arrestations et constructions d'"associations de malfaiteurs/trices" aux niveaux national et international. Même la SOKO-Black-Block, commission d'enquête spéciale, s'est mêlée – encore une fois sur des bases juridiques très discutables – aux perquisitions en Meuse, estimant y trouver "des plus dangereux". La répression marche et s'étend de plus en plus à un niveau transfrontalier et partout le schéma est le même: quand il n'y a que peu de faits matériels mais que l'attitude politique devient trop claire, l'Etat se construit des organisations criminelles. Ici et ailleurs, les enquêteurs politiques cherchent des raisons pour impliquer la justice qui par la suite vient contraindre le quotidien de militant·es engagé·es en projetant des "organisations terroristes" à partir de feux d'artifice, de tracts, de bousculades, de détergent pour toilettes et de bouteilles de pinard vides. Peu importe qu'il s'agisse d'antifas, d'anarchistes ou d'écologistes, il s'agit de faire taire une critique radicale venant de la gauche. Le but est d'intimider, de surveiller et de punir de plus en plus, que ce soit pour des faits matériels, l'expression d'opinions malvenues ou la tentative de s'organiser contre ce système avec les moyens les plus modestes.

Du 1er au 3 juin, ce sont finalement trois personnes de la lutte de Bure qui vont être accusé·es d'avoir formé une "bande de malfaiteurs/trices" et quatre autres inculpé·es pour détention présumée de "matériaux explosifs" et/ou participation à des rassemblements non-autorisés en 2017. Une mobilisation à de nom-breuses activités en soutien aux inculpé·es est en cours. C'est à la place de tout un mouvement que l'Etat nucléaire poursuit et voudrait punir les camarades à Bar-le-Duc. Il en va de même pour les antifascistes inculpé·es en Allemagne ou les anarchistes en Grèce et en Italie.

L'Etat nucléaire n'a pas d'avenir de même que l'histoire nous enseigne qu'il n'y a pas de négociation avec les fascistes et pas de liberté sous le joug du capital. En France et ailleurs, il s'agit de renforcer la cri-tique d'une incessante utilisation des lois antiterroristes contre les mouvements sociaux, car il devient de plus en plus clair que les intérêts du capital sont ici défendus contre les libertés civiles et que les droits démocratiques sont bafoués de manière volontaire par l'Etat. La répression est l'expression d'une dérive autoritaire au sein d'un système, qui cherche des justifications pour les nouvelles lois sécuritaires et de contrôle face à la crise. Pour cela il s'entête à présenter un "ennemi à gauche", dont l'écho du dernier tir ne résonne plus depuis longtemps.

Rainer Günzel, militant anti nucléaire

Plus d'informations sur la procédure sur bureburebure.info ainsi que noussommestousdesmalfai-teurs.noblogs.org

Un appel à dons est lancé sur le site helloas-so.com/associations/cacendr/collectes/en-soutien-au-proces-des-malfaiteurs-de-bure-1