HAUT-KARABAKH: La paix...

de Nailya Ibragimova, FCE Ukraine, 19 déc. 2020, publié à Archipel 298

La paix au Haut-Karabakh… ... avec les soldats russes et une nouvelle vague de réfugié·es

La guerre de 44 jours entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan est terminée. Un accord de cessez-le-feu1 signé par la Russie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan est entré en vigueur le 10 novembre. L'Arménie s'est engagée à céder à l'Azerbaïdjan les districts de la ceinture de sécurité dite du Karabakh. Les troupes russes de maintien de la paix seront stationnées dans le Haut-Karabakh pour une période de cinq ans, et leur présence peut être prolongée. Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a annoncé le 16 novembre qu'environ 2400 soldats arméniens ont été tués depuis le 27 septembre et que des centaines d'autres sont portés disparus. L'Azerbaïdjan n'a pas publié ses pertes. Selon Vladimir Poutine, le conflit a fait plus de 4000 mort·es et 8000 blessé·es, des dizaines de milliers de personnes sont en fuite.

La signature de l'accord de paix tripartite a été perçue en Arménie comme une capitulation, puisqu'elle signifiait en fait la perte de contrôle sur le Haut-Karabakh. Cela a entraîné des troubles dans tout le pays. Pashinyan a assumé la responsabilité de la catastrophe nationale d'Arzach (nom arménien du Haut-Karabakh), et l'opposition parlementaire exige sa démission. Si la signature de l'accord de paix a été perçue comme une capitulation, c'est qu'elle était en fait la partie contrôlante. La population arménienne quitte la région en masse et brûle ses maisons à son départ, afin de ne pas les laisser aux Azerbaïdjanai·ses. Dans un village, il a été rapporté que la population déterre les morts au cimetière par crainte de la profanation des tombes par les Azerbaïdjanai·ses qui avancent. La période de cinq ans de l'accord de paix peut être interprétée comme une incitation pour la population arménienne à quitter la région. Pour elle, la question est maintenant de savoir comment et où commencer une nouvelle vie. Nous avons demandé au militant azerbaïdjanais pour la paix Bahruz Samadov à quoi ressemblera le Haut-Karabakh dans cinq ans. Samadov est l'un des dix-sept signataires d'un appel à la paix publié le 30 septembre: "Nous condamnons fermement toute mesure qui contribue à prolonger le conflit et à approfondir la haine entre les deux peuples. Dans une perspective historique, nous souhaitons prendre des mesures qui sont essentielles pour instaurer la confiance entre nos sociétés et les jeunes. Nous rejetons tous les récits nationalistes et militaristes qui rendent impossible la cohabitation dans ce pays".1

Comment le peuple azerbaïdjanais a-t-il réagi à la signature de l'accord de paix? Quelle est la force du sentiment de revanchisme? Depuis la dissolution de l'Union soviétique, la récupération du Haut-Karabakh est un élément important de l'identité nationale. Cette attitude a été constamment adoptée par le gouvernement et l'opposition, ainsi que par une grande partie de la majorité de la population non politisée. Les personnes qui n'ont pas pris part aux élections ou à la vie politique du pays ont néanmoins estimé que la reprise d'un contrôle souverain sur le Haut-Karabakh était extrêmement importante. Illes considérent le Haut-Karabakh comme "notre pays perdu". Après la signature de l'accord de paix, il y a eu différentes réactions. L'opposition a exprimé des critiques parce qu'elle pense qu'à l'avenir, la Russie pourrait empêcher la prise de contrôle complète du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan ou s'immiscer dans les affaires intérieures du pays. La population considère la présence des soldats russes comme plutôt neutre, mais les gens veulent que toute la province passe sous contrôle azerbaïdjanais. Je n'appellerais pas cela du revanchisme, pour le peuple, cela signifie simplement la victoire. La partie du Haut-Karabakh qui a été laissée aux Arménien·es ne semble pas être si importante pour elles et eux. Mais le territoire qui est maintenant sous contrôle azerbaïdjanais, ils le ressentent comme une victoire absolue, surtout parce que maintenant le retour du peuple azerbaïdjanais dans son ancienne patrie est possible.

Dans un contexte de passivité de la communauté internationale, les soldats de la paix russes sont perçus comme une bouée de sauvetage. Pourraient-ils garantir la survie à long terme d'une enclave arménienne? Les soldats de la paix russes ressemblent maintenant à des sauveurs, alors que le monde entier a ignoré le conflit du Karabakh. J'ai moi aussi été accusé d'adopter des positions pro-russes, bien que je sois toujours critique à l'égard des régimes autoritaires. Mais pour l'instant, la situation est claire: tant que les soldats de la paix russes seront sur le terrain, il n'y aura pas de nouvelle guerre. Dans le sillage de la victoire militaire, l'Azerbaïdjan n'acceptera guère la formation d'une enclave arménienne au Haut-Karabakh. Et cinq ans, ce n'est pas assez pour que la situation se stabilise. Je pense que même dans cinq ans, les soldats de la paix russes s'assureront qu'il n'y aura pas de conflit armé entre Arménien·nes et Azerbaïdjanais·es. Et la question du statut du Haut-Karabakh ne sera pas non plus résolue. La Russie, elle aussi, n'a pas d'idées concrètes sur la manière de résoudre cette question, sinon elle serait mentionnée dans l'accord de cessez-le-feu. En réalité, les parties au conflit n'ont pas non plus d'idées à ce sujet. Je pense que dans cinq ans, tout sera comme aujourd'hui. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose, mais au moins il n'y aura pas de guerre.

Il est certainement très difficile de parler de réconciliation pour le moment, mais comment pourrait-elle se faire à long terme? La réconciliation dépend certainement avant tout de la démocratisation de l'Azerbaïdjan, de la culture démocratique, du travail de l'opposition et des groupes non gouvernementaux dans ce sens, et aussi de l'ingérence de l'Occident et de la Russie. Mais c'est plutôt un vœu pieux; je ne crois pas qu'on en arrive là. Si l'Azerbaïdjan devient un pays démocratique, ce ne sera pas avant 20 ou 30 ans. La participation des organisations non gouvernementales joue un rôle important à cet égard. Peut-être qu'un jour, les traumatismes pourront être ainsi surmontés. Tant que nous avons un régime autoritaire en Azerbaïdjan et que l'opposition ne représente pas les valeurs démocratiques et progressistes, cela semble impossible. Peut-être qu'un changement de génération y conduira. J'espère que les jeunes pacifistes remplaceront alors les bellicistes.

  1. En vertu de cet accord, la partie arménienne perd d'importants territoires dans le Haut-Karabakh et tous les districts occupés autour de celui-ci. Voir encadré.
  2. L'appel complet peut être consulté ici: https://www.criticatac.ro/lefteast/anti-war-statement-of-azerbaijani-leftist-youth/

Encadré: Principales dispositions de l'accord tripartite

  1. Un cessez-le-feu complet sera établi et toutes les hostilités s'arrêteront dans la zone de conflit du Haut-Karabakh (...). La République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, nommées comme les Parties, demeureront à leurs positions actuelles.
  2. La région d'Aghdam et les territoires détenus par la partie arménienne dans la région de Gazakh devront être restitués à la République d'Azerbaïdjan avant le 20 novembre 2020.
  3. Des troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie seront déployées le long de la ligne de contact dans le Haut-Karabakh et le long du couloir de Latchin. (...)
  4. Le contingent de maintien de la paix de la Fédération de Russie est déployé parallèlement au retrait des forces armées arméniennes. Ces troupes y resteront pendant une période de cinq ans, et une prolongation automatique de cinq années supplémentaires, si aucune des Parties ne déclare son intention de mettre fin à l'application de cette disposition six mois avant l'expiration de la première période.
  5. Un centre de maintien de la paix sera déployé pour surveiller le cessez-le-feu en vue d'accroître le contrôle sur l'application des accords conclus par les Parties.
  6. La République d'Arménie restituera la région de Kelbajar à la République d'Azerbaïdjan (...) et la région de Latchin (...). Le couloir de Latchin (5 km de large), qui assurera la communication entre le Haut-Karabakh et l'Arménie, restera sous le contrôle des troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie et n'affectera pas la ville de Chouchi. (...) La République d'Azerbaïdjan s'engage à garantir la sécurité de la circulation des citoyen·ens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens le long du corridor de Latchin.
  7. Les personnes déplacées et les réfugié·es doivent retourner au Haut-Karabakh et dans les zones adjacentes sous le contrôle du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugié·es.
  8. Un échange de prisonniers de guerre, d'otages, de détenu·es et des corps des mort·es doit être effectué.
  9. Tous les flux économiques et les transports de la région seront à nouveau ouverts. La République d'Arménie garantit la sécurité des liaisons entre les régions occidentales de la République d'Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan en vue d'organiser la libre circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens. (...)