CHIAPAS: "Ramona vive - la lucha sigue"

de Josie Riffaud, 9 mai 2010, publié à Archipel 159

Ramona1 est vivante, la lutte continue: mots d’ordre de la troisième rencontre du peuple zapatiste et des peuples du monde; première rencontre des femmes zapatistes et des femmes du monde qui s’est déroulée à la Garrucha, au Chiapas (Mexique) du 29 au 31 décembre 2007.

Depuis le début de leur soulèvement en 1994, les communautés zapatistes se sont confrontées à une répression à la fois féroce et diffuse. Elles ont à la fois vu se déployer les hélicos et autres véhicules blindés, dernier cri de l’industrie militaire nord-américaine et européenne, les campagnes de presse racistes et diffamatoires et aussi et surtout, depuis plus de dix ans les assauts, harcèlements et provocations des multiples groupes paramilitaires soutenus par les autorités.

Ce soutien passe par l’impunité, la fourniture d’armes et d’encadrement mais aussi par le nerf de la guerre de basse intensité: l’argent. Les communautés en résistance refusent toute aide matérielle des autorités officielles alors que certains de leurs voisins se laissent amadouer par les quelques «aides» distribuées par les diverses institutions.

Dans une de ses dernières prises de parole, le 16 décembre 2007, le sous-commandant Marcos déclarait: «Les signes annonciateurs de la guerre sont clairs. La guerre, comme la peur, a son odeur. Et aujourd’hui, on commence à respirer son odeur fétide sur nos terres.» De nombreux cas d’agression et d’intimidation ont été rapportés ces derniers mois au Chiapas. Encore très récemment les habitants de la commune autonome Vicente Guerrero ayant occupé des terres au moment du soulèvement se confrontent aux membres d’une organisation paramilitaire, l’OPDDIC (Organisation Pour la Défense des Droits Indigènes et Paysans, sic!) faisant valoir des «titres de propriété» sur les parcelles occupées en 1994 et travaillées collectivement. Dans d’autres parties du pays les communautés indigènes et paysannes luttent contre la politique de «certification des terres» qui consiste à expulser les paysans travaillant collectivement au profit de petits propriétaires dociles. L’«aménagement» par les autorités locales ou fédérales mexicaines des territoires où vivent des peuples indigènes témoigne d’une volonté d’éradication de leur mode de vie par les industries touristiques, agricoles et autres décharges d’éléments toxiques.

Sur toutes ces questions et sur celles, plus spécifiques à leur condition, les femmes zapatistes interpellent les groupes de femmes ailleurs dans le monde, comme nous le raconte Josie, présente à cette première rencontre des femmes zapatistes et des femmes du monde.

Gregory Gallman

Radio Zinzine

Un rassemblement mémorable Plus de deux cents femmes sont venues des cinq Caracoles2 pour partager leur expérience de la lutte, de la construction de l’autonomie dans les municipalités et des difficultés qu’elles rencontrent en tant que femmes. Par ailleurs, 3.000 personnes ont assisté à cette rencontre, Américaines, Européennes, Asiatiques. Peu ou pas d’Africaines; déléguées d’organisations de divers horizons ou en leur nom propre. Une ambiance de lutte festive se dégageait malgré la conscience de chacune de la gravité de la situation liée à la recrudescence des tensions et des agressions, avec les paramilitaires notamment.

Le mouvement zapatiste a depuis le début de son histoire des liens étroits avec la société civile. Selon les périodes, les stratégies et les priorités, ils ont pu être différents. En 2005, suite à une période plus centrée sur le développement de l’autonomie dans les municipalités (éducation, santé…), le mouvement zapatiste a pris la décision d’élargir davantage la lutte en s’unissant aux autres mouvements de résistance du Mexique et du monde, c’est l’objectif de la «6ème déclaration» et en 2006 celui de «l’autre campagne».

Depuis, des rencontres avec les peuples du monde ont donc été organisées. Une délégation de Via Campesina3 a participé à la deuxième rencontre qui s’est tenue en juillet 2007. Des liens de solidarité s’y sont noués: l’expérience autonomiste, les analyses et les luttes altermondialistes menées par les zapatistes ont retenu toute notre attention. Une délégation composée d’une vingtaine de femmes de la Via Campesina et de la Marche Mondiale des femmes a décidé de répondre à l’appel des femmes zapatistes afin de mieux se connaître et de pouvoir poursuivre le tissage d’alliances et de soutiens mutuels.

Les femmes dans le mouvement Dès le début de la lutte, les femmes sont très présentes dans le mouvement. La comandante Ramona est décédée l’an dernier de maladie à l’âge de 36 ans, un grand nombre de femmes reprennent le flambeau. Cette rencontre a été à la fois un hommage et une nouvelle étape de la lutte pour la reconnaissance des droits des femmes et de la place qui leur revient dans la société en général, mais également dans le mouvement lui-même.

«C’est un événement historique», nous confie une militante qui accompagne la délégation. L’effort fourni par ces femmes est effectivement colossal: elles sortent juste d’un contexte culturel et historique de répression et de maltraitance; la plupart d’entre elles ne sont pas alphabétisées, elles parlent peu l’espagnol et ne sont pas du tout habituées à parler en public.

Cette rencontre est l’aboutissement de plusieurs mois de travaux collectifs. Durant trois jours, les femmes «commandantes», les responsables locales, membres des conseils, bases d’appui mais aussi les compagnes insurgées des troupes miliciennes ont apporté leurs témoignages et des éléments de réflexion de chacun des cinq Caracoles.

Le Chiapas est grand et les expériences peuvent être très diverses. Chaque Caracole a expliqué ce qu’était la vie des femmes avant l’insurrection du 1er janvier 1994, témoignages poignants. Les indigènes dans l’ensemble se trouvaient dans une situation de servitude, de sous-alimentation, d’oppression et de pauvreté extrêmes. Les femmes subissaient en plus viols, maltraitances, humiliations, mariages forcés.

«Depuis 1994, nous existons», proclame grand-mère Elisal du Caracole 3 en ouverture. «Nous connaissons nos droits. J’ai vécu ma jeunesse comme une bête, maintenant que nous sommes dans la résistance, nous lutterons jusqu’à vaincre. Il n’est pas possible de revenir en arrière. Je lutte depuis longtemps mais je ne suis pas fatiguée.»

Paroles des femmes zapatistes, Maribel, Judith, Christelle et tant d’autres: «Grâce aux terres récupérées nous mangeons à notre faim. Nous connaissons enfin la dignité. Ne pouvant rien attendre du mauvais gouvernement, nous construisons l’autonomie. Nous prenons en charge la scolarité, nous formons des promotrices qui donnent à nos enfants une éducation critique, analytique et libératrice. Nous avons une clinique qui donne accès aux soins, limitant, entre autres, les problèmes liés aux accouchements.»

Première occasion d’échanger publiquement et entre femmes: du vécu, des acquis, des perspectives. Grands moments d’émotions, de recherche, d’avancées de la condition des femmes. «Les maris ne sont pas toujours d’accord pour que l’on parte, certains par jalousie, d’autres ne comprennent pas l’intérêt de l’engagement des femmes; quand les enfants sont petits, c’est vraiment pas facile!»

«Les femmes de tous âges ne sont pas assez impliquées dans les bases d’appui. Pour changer ce monde plein d’injustice, on a besoin de tous mais aussi de toutes.» De très jeunes filles se sont également exprimées, nous les avons senties très présentes dans ce travail de construction des droits des femmes et du développement des responsabilités politiques et sociales.

A la question de la salle: «Que pouvons-nous faire pour vous aider?» les femmes zapatistes répondent que toute forme de solidarité est bienvenue mais que le plus important est que chacun-e organise la résistance à sa façon dans son pays respectif et que nos luttes convergent pour que nous nous débarrassions des «mauvais gouvernements» et du néolibéralisme. «Nous ne pouvons rien attendre des partis politiques ni du gouvernement, ils n’ont pas cessé de nous trahir. Ya basta! C’est nous seuls, les gens d’en bas, qui pourrons faire bouger tout ça.»

La déclaration de la Garrucha Une force extraordinaire nous a été transmise lors de cette rencontre, chacune d’entre nous est repartie enrichie par le dynamisme et la détermination sans faille des femmes zapatistes.

Nous avons entendu des expériences et des réflexions très avancées sur:

  • la construction de l’autonomie comme moyen de résistance et d’insoumission;

  • la construction d’un pouvoir populaire effectif, ayant pour principe de base: commander en obéissant;

  • l’expérience de la clandestinité et de la lutte armée portée par l’EZLN (armée zapatiste de libération nationale).

Autant de perspectives pertinentes pour alimenter nos réflexions collectives sur le devenir de nos engagements.

Les déléguées Via Campesina et Marche Mondiale des Femmes ont adressé aux femmes zapatistes «la déclaration de la Garrucha» dans laquelle nous exprimons notre volonté de soutenir le mouvement, notre engagement à diffuser les informations et notre détermination pour favoriser la globalisation de la lutte.

** Un contexte difficile Le Mexique est un pays très complexe, nous traversons une période chaotique nous explique par conférence téléphonique Alberto Gomez, mexicain, délégué au Comité de Coordination International de Via Campesina pour l’Amérique du nord. Le gouvernement met en place un programme de certification de la terre, tactique pernicieuse qui ne peut que déclencher une escalade de violence et d’affrontements. Il consiste à donner des titres de propriété sur les terres récupérées en 1994 et exploitées depuis par des zapatistes et des indigènes non zapatistes. Ces personnes étant la plupart du temps membres de groupes paramilitaires soutenus par le gouvernement!

Ernesto de KPC, une ONG proche des zapatistes qui s’est donné une mission de surveillance de l’armée et des groupes paramilitaires, signale que 56 garnisons militaires sont à nouveau fonctionnelles, qu’il y a eu un doublement des effectifs et l’apparition de forces spéciales.

En décembre, le gouvernement a mis en scène un simulacre d’acte pacifiste: une conférence de presse a été convoquée lors de laquelle des paramilitaires sont venus déposer les armes. Ernesto explique que les armes rendues sont des reliques et que ce sont précisément les principaux agresseurs qui affichent un sentiment d’impunité sans vergogne qui donnaient la conférence de presse.

Le 16 décembre, lors du «colloque international André Aubry» qui s’est déroulé à San Christobal, le sous-commandant Marcos a déclaré qu’il prenait congé et qu’il ne réapparaîtrait pas en public pendant un long moment. «Les agressions et la répression ambiante nous obligent à nous recentrer sur l’organisation de notre lutte armée» a-t-il expliqué.

Ca sent la guerre Tout le monde est très inquiet au Chiapas. «Ca sent la guerre», disent les uns. «Il n’est pas possible de reculer d’un seul pas», ont expliqué les femmes, «nous irons jusqu’au bout.» La grande question aujourd’hui est de trouver des solutions pour que l’escalade violente soit enrayée. La mobilisation de la société civile, les solidarités internationales avaient réussi en 1994 à diminuer l’intensité des agressions. Rejoignons les comités Chiapas ou autres collectifs lors des interpellations aux ambassades du Mexique, montrons que nous gardons un œil vigilant sur ce qui se passe, nous pourrons peut-être limiter les dégâts. C’est a minima ce que demandent les zapatistes. Renforçons nos capacités de résistances localement, c’est aussi une façon d’agir pour tous.

* Paysanne en Gironde, elle est membre de la Confédération Paysanne et déléguée européenne au CCI (Comité de Coordination International) de Via Campesina

Pour se documenter plus en détail:

Promedios France - Diffusion solidaire

https://www.promediosmexico.org/

promedios.fr(at)gmail.com

  1. En août 2003, les Zapatistes ont lancé une nouvelle initiative, la création de cinq Caracoles (escargots, spirales). La bonne trentaine de communes autoproclamées «autonomes zapatistes» depuis décembre 1994 y ont leur gouvernement régional - les cinq juntas de buen gobierno (conseils de bonne gouvernance) - chargé de l’éducation, de la santé, de la justice et du développement

  2. mouvement paysan international qui revendique la souveraineté alimentaire