COSTA-RICA: Rios Vivos

de Roland Spendlingwimmer Longo maï - Costa Rica, 7 mai 2014, publié à Archipel 225

Dans le cadre de la globalisation mondiale, depuis 40 ans, des sociétés par actions multinationales veulent s’emparer de secteurs rentables comme les télécommunications, l’électricité, la santé, la formation, l’eau potable et le traitement des eaux usées, etc.

Malgré les critiques sévères de la part de la Compagnie Costaricaine d’Electricité (ICE), d’universités, du Procureur, de l’Institution pour la Régulation des Services Publics (ARESEP), de la Cour, de commissions parlementaires, de secteurs sociaux et de populations concernées, le gouvernement a de nouveau déclaré la privatisation de la production d’électricité comme l’objectif de sa politique énergétique.
Menaces sur les rivières tropicales Dans ce but, le gouvernement a fait adopter deux lois très controversées (n° 7200 et 7508) qui devraient confier 30% (140 MW) de la production électrique au domaine privé. Ce processus a affaibli l’entreprise d’Etat ICE et est également responsable de l’augmentation du prix de l’électricité au cours des 20 dernières années. Un chiffre: en 2011, les fournisseurs privés ont engrangé 109.701.774 dollars en utilisant le réseau d’électricité publique. En 20 ans, cette somme serait équivalente aux coûts de construction de la future raffinerie à Limon (Costa Rica).
Sur les 140 MW, 100 viendront d’éoliennes et 40 de projets hydroélectriques. Onze entreprises ont déjà demandé des droits d’eau, et une multitude de candidats attendent aujourd’hui une autorisation des autorités de l’Environnement (SETENA). De nombreux candidats misent sur l’ouverture totale du marché suite à des lois déjà soumises au Parlement. Les entrepreneurs privés se pressent car après la signature du contrat, ils n’auront qu’un an pour fournir l’étude d’impact environnemental, et savent par ailleurs qu’il faut s’attendre à des conflits sociaux et environnementaux.
Ce processus de privatisation de la production électrique suit son propre chemin, sans qu’on ne tienne compte ni d’une nouvelle loi sur l’eau, déjà rédigée, ni du changement constitutionnel nécessaire pour déclarer l’eau comme bien public. Il n’y a au jour d’aujourd’hui aucune directive afin de mettre en place une utilisation rationnelle des réserves hydrauliques au niveau national. Cette situation a conduit à des clivages et conflits violents dans des villages entiers.
L’université du Costa Rica a pris position contre les propositions de lois renforçant la privatisation électrique. Les entrepreneurs privés ne connaissent pas les prix: leurs propositions de tarifs sont largement au-dessus de celles de l’ICE. Par ailleurs, les petites centrales hydroélectriques ne résolvent en rien le problème de la demande d’électricité dans ce pays. Le Costa Rica a besoin d’énergie disponible tout au long de l’année, pas seulement pendant les mois de pluie, lorsque les rivières regorgent d’eau. C’est pourquoi il est incompréhensible que les dirigeants de ce pays pourtant très ensoleillé ne pensent que très peu au solaire, ou aux économies d’énergie, comme le permet entre autres l’architecture bioclimatique.
Depuis les lois n° 7200 et 7508, 27 centrales hydroélectriques privées ont déjà vu le jour. Plus d’une cinquantaine d’autres projets figurent en liste d’attente. Il y a eu partout des conflits avec les populations locales. En effet, sans le combat des paysans des régions du Sud (Perez Zeledon), il y de cela dix ans, ces 50 autres projets seraient depuis longtemps réalisés. A l’époque, une requête auprès de la Cour Constitutionnelle avait eu raison des projets privés. Aujourd’hui, les mêmes villages sont confrontés aux mêmes problèmes et recommencent à préparer la défense de leur rivière. A Sarapiqui et Guacimo, un référendum a été défavorable aux entreprises privées.
Les conséquences les plus palpables de ces projets ne sont pas seulement les conflits sociaux mais aussi les impacts environnementaux: préjudice sur l’approvisionnement en eau potable, menaces sur les cycles biologiques par la réduction des débits minimaux à 10% du débit moyen, risques d’inondations périodiques en aval et de rupture de digues au cours des tremblements de terre très fréquents, destruction de forêts due à l’aménagement des chemins, détournements de rivières, transferts de populations et dévalorisation de l’attractivité du paysage.
Plusieurs rivières sont visées par une douzaine de projets, ce qui entraîne des dommages cumulatifs. Les instruments pour limiter les dégradations et les études sur les impacts environnementaux n’incluent en aucune façon ce type de répercussions.
Avec les lois actuelles, les entrepreneurs privés pourront prochainement s’assurer de 30% du marché mais les tentatives vont incontestablement dans le sens d’une ouverture totale. La loi sur le contingentement de la production d’électricité attend le vote du Parlement. Elle donne la possibilité au secteur privé de conquérir les grosses parts de marché, que sont les coopératives, les entreprises industrielles et l’ICE. La porte serait également ouverte pour l’exportation d’électricité. Les installations sont d’ores et déjà préparées pour des interconnexions (SIEPAC). Les chantiers pour les lignes à haute-tension sont confrontés à l’opposition des populations locales. Dans le secteur de la téléphonie mobile, les pertes financières de l’ICE s’élèvent à ce jour à 600 millions de dollars et ce à cause de l’utilisation de ses infrastructures par des entreprises privées. Il est déjà prévu que les infrastructures de SIEPAC construites par les entreprises publiques seront mises à disposition du secteur privé. Les représentants de l’ICE expliquent que les grands projets de barrage, tels que Reventazon et El Diquis, permettront de dégager un surplus d’électricité dès qu’ils seront productifs. Avec ces projets, le Costa Rica pourrait être présent sur le marché en Amérique centrale et voir sa rentabilité grimper énormément. Mais l’ICE omet de dire que ce sera au détriment de l’environnement et de villages. Les gains seront engrangés par les sociétés transnationales, telles que Union Fenosa et Endesa, les partenaires de SIEPAC, et les banques multinationales, alors que les dommages seront «socialisés» localement.
Il est donc clair que ce concept d’exportation d’énergie ne va pas se réaliser sans de grands problèmes sociaux ni sans dégradations environnementales, et qu’il menacera l’autonomie énergétique du pays.
Les villages du Sud-Ouest se défendent Presque chaque semaine, de nouvelles demandes sont présentées à l’office des autorisations (SETENA) vis-à-vis de l’utilisation des rivières afin de produire de l’électricité dans tout le Costa Rica. Au sud du pays, la région ouest de la chaîne des Cordillères, Talamanta, est particulièrement visée. Dans cette région de montagnes attractives, le Chirripo culmine à 3.800m. C’est le plus grand parc naturel protégé du Costa Rica, El Parque de la Amistad Costa Rica-Panama. L’UNESCO a donné à ce Parc national le statut de Patrimoine de l’Humanité et de biosphère, entre autres grâce à sa densité unique de diversité d’espèces.
Sur une superficie d’environ 5.000 km2 seulement, 20 projets sont prévus. Plusieurs rivières devraient faire tourner deux ou plusieurs petites unités de production.
Les villages de Rivas et de San Gerardo, au bord du Rio Chirripo, qui se défendent avec succès depuis 15 ans contre des projets, se sont regroupés, avec le soutien de l’église catholique, dans des comités de défense de leur rivière.
Des comités de citoyens, des organisations pour le maintien de la biodiversité, des universités, des professeurs et des groupes qui se préoccupent de l’eau potable coordonnent des informations et des activités pour s’opposer à la destruction de leur région et des bases de leur vie.
Le cas du village de Quizzara sur la rivière Peñas Blancas est particulièrement remarquable. Dans ce village résidait l’ornithologue de renommée mondiale Alexander Skutch. La charge de sa Finca, une zone forestière protégée, a été transmise après sa mort à l’Organisation d’Etudes Tropicales (OET). Le projet Bio-corridor Peñas Blancas a vu le jour en collaboration avec la population de Quizzara. La rivière Peñas Blancas constitue une part importante du projet. Les biologistes y ont découvert des espèces de poissons endémiques et des espèces menacées telles que la loutre. Les recherches scientifiques et les études sont principalement financées et menées par l’université de York (Canada).
La Finca Sonador-Longo maï1 est un autre exemple d’une région protégée menacée. Démarré à la fin des années 1970 comme coopérative de réfugiés, Longo maï a élaboré un modèle économique qui lie l’agriculture biologique, la transformation des produits (café et canne à sucre), le tourisme rural et l’écologie. 452 ha de forêt tropicale, avec des espèces animales et végétales menacées, forment le Refugio National de Vida Silvestre Longo maï. Les rivières les plus importantes qui délimitent cette zone sont le Rio Convento et le Rio Sonador. Toutes deux sont menacées par des petites centrales hydroélectriques. Les projets Monteverde 1 et 2 ne laisseraient plus couler que 10% du débit sur 5 km, ce qui reviendrait à les assécher.
Les études d’impacts environnementaux présentées par les entrepreneurs sont extrêmement imprécises et recèlent de grossières lacunes et incohérences. Des chapitres entiers se réfèrent à d’autres projets et d’autres régions. Aucune étude hydrogéologique n’a encore été présentée.
Les conséquences négatives pour les trois villages concernés, Longo maï, Christo Rey et Convento sont les suivantes2: l’équilibre de la réserve naturelle de Longo maï serait sévèrement perturbé. Des chaînes biologiques importantes seraient brisées par le déficit d’eau et beaucoup d’espèces végétales et animales disparaîtraient.
Les nombreuses sources qui assurent l’approvisionnement en eau potable des 3 villages, qui se trouvent dans la proximité immédiate du Rio Convento et proviennent d’infiltrations de la rivière, risqueraient de se tarir dans les mois d’été. Beaucoup de paysans qui utilisent aujourd’hui l’eau du Rio Convento pour l’agriculture, l’irrigation des cultures, pour abreuver leur bétail ou pour la pisciculture, se retrouveraient dans une situation sans issue.
Une propagande habile induit même des professionnels de l’environnement à croire que cette façon de produire de l’énergie mérite le qualificatif de «propre» ou «verte».
Longo maï pratique depuis 30 ans avec succès une forme de tourisme rural. Presque chaque famille paysanne met à disposition des chambres d’hôtes. Cela leur permet de survivre même si le prix de vente du café s’effondre une fois de plus. Pour les visiteurs, les rivières rafraîchissantes sont un lieu important de repos et de découverte de la nature locale. Le Comité du Tourisme de Longo maï informe qu’en 2012, celui-ci a rapporté 80.000 dollars au village.
Longo maï a reçu en 2004 le prix international To-do3 pour la forme originale d’un tourisme socialement responsable. La remise du prix a eu lieu à Berlin en présence du ministre costaricain du Tourisme.
L’atout du Costa Rica au niveau international est la nature. Après l’agriculture, le tourisme est devenu la deuxième activité et source de devises.
De nombreux visiteurs des pays industriels recherchent cette nature originelle et sauvage qui n’existe plus chez eux. Viendront-ils encore au Costa Rica si, au lieu des rivières torrentielles, ils trouvaient les lits des rivières asséchées et des conduites forcées?
Roland Spendlingwimmer
Longo maï - Costa Rica
<rolspendling(at)gmx.net>
Pour plus d’informations:
<www.riosvivos.com>
<www.sonador.info>

Film documentaire:

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=cXzi3-4cBNc

  1. Les habitants de la Finca Sonador nomment leur village du nom de l’organisation fondatrice du projet Longo maï. La Coopérative européenne Longo maï compte 9 implantations en Europe.
  2. Jiri Spendlingwimmer, anthropologue, Efectos de los Proyectos hidroelectricos Monteverde 1 y 2, La Nacion, avril 2013 <www.nacion.com/foros>.
  3. <http://to-do-contest.org/preistraeger/finca_sonador01.html>.