Grève féministe en Suisse: On lâche rien!

de Julie Bigot, FCE Suisse, 1 sept. 2019, publié à Archipel 284

Historique! Un mot qui a pris tout son sens le 14 juin 2019 alors qu’un demi-million de femmes et d’hommes solidaires ont participé à la grève des femmes. Cette grève organisée pendant un an par de nombreux comités dans toute la Suisse est le résultat d’un exaltant processus collectif de coordination aussi bien à l’intérieur des cantons qu’entre eux.

«Plus de respect, plus de salaire», faisait partie de la base des revendications. Plus de respect au travail, dans les institutions étatiques, dans la rue, dans l’intimité où le sexisme et les violences à l’égard des femmes sont toujours d’actualité. Plus de salaire, pour qu’à travail égal, les femmes aient un salaire équivalent à celui des hommes (environ 20% de salaire en moins en moyenne). Mais aussi pour que le travail peu ou pas rémunéré comme le travail domestique, éducatif et de soins soit reconnu (notamment par toutes les assurances sociales) et partagé entre femmes et hommes. Ce n’est qu’un aperçu des revendications. Celles-ci sont toutes politiques et demandent aussi bien un changement profond des mentalités qu’un changement plus tangible avec des mesures concrètes à un niveau institutionnel.

Un peu d’histoire

Cette grève n’est pas la première du genre en Suisse. Déjà en 1991, des centaines de milliers de femmes s’étaient mobilisées pour exiger la mise en application de la votation populaire du 14 juin 1981. «L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.» Dix ans après, la loi n’étant toujours pas réellement appliquée, plus de 500.000 femmes, par le biais de la grève et de manifestations à travers toute la Suisse, demandaient l’inscription de l’égalité hommes-femmes dans la Constitution fédérale, afin d’en favoriser sa concrétisation. Ce qui sera chose faite en 1996, avec la loi fédérale suisse pour l’égalité hommes-femmes.

Non, non, rien n’a changé

En 2019, malgré la loi de 1996, le constat reste le même: il y a toujours ces mêmes écarts de salaires et plus largement dans les vies de chacune, les choses ont trop peu évolué. De plus, une prise de conscience généralisée s’est répandue ces dernières années, dans le sillon de #metoo ou #balancetonporc, perçant à jour les nombreuses inégalités et les violences faites aux femmes dans toutes les sphères de la vie de celles-ci. A Bâle, les actions avaient débuté la veille au soir et se sont poursuivies toute la journée du 14 jusqu’au soir. Diverses actions se sont déroulées dans toute la ville: ateliers, pique-niques et occupation de la Theaterplatz au centre de la ville. A 15h24 précise (heure symbolique à partir de laquelle les femmes cessent d’être payées par rapport aux salaires des hommes), la Theaterplatz était déjà bondée. Ecoutant avec attention, sous un soleil de plomb, les différents témoignages de femmes grévistes, avec ou sans travail, avec ou sans papiers, des femmes de tous les milieux, de tous les pays, de toutes les religions et de toutes les orientations sexuelles. Au fur et à mesure, de nouveaux cortèges de grévistes arrivaient les uns après les autres sous les applaudissements de la foule massée sur la place.

En tout, ce sont plus de 40.000 personnes qui ont participé à la manifestation à travers la ville, du jamais vu dans les rues bâloises. L’ambiance était festive: danses, chants et slogans inventifs et drôles* dans une multitude de langues. Cette journée du 14 juin 2019 ne doit cependant pas devenir un lointain souvenir, aussi historique soit-il. De nombreux comités se réunissent de nouveau, après une petite pause estivale, en Argovie, à Genève, à Berne, à Bâle, dans le canton de Vaud, à Neuchâtel, pour ne citer que quelques exemples. La suite se prépare avec pour mot d’ordre: «on lâche rien!», notamment, à Genève, où aura lieu une rencontre européenne «Femme, Refuge et Migration», les 27-28-29 septembre à la Maison des associations, pour échanger avec des femmes de divers horizons sur les conditions de vie et les violences spécifiques faites aux femmes migrantes.