L’origine du monde

de Julia Jahnke, 1 juin 2019, publié à Archipel 282

Drôle, parfois angoissant, historique, politique, radical, dense et riche en informations, concis et pertinent... La BD L’origine du monde de Liv Strömquist s’intéresse à l’organe sexuel féminin.

La dessinatrice suédoise, également politologue et animatrice radio, nous emmène en 6 chapitres à travers les siècles et les sociétés. Elle raconte comment les représentations de la sexualité et de l’organe sexuel féminins ont beaucoup changé, allant même jusqu’à se contredire, en fonction du contexte historique et de la place de la femme dans la société. Mais dans l’histoire du patriarcat en général, ces représentations ont servi – surprise! – à mettre la femme sous tutelle et à la priver de pouvoir. (Sans parler des autres sexes qui eux sont «corrigés» à la naissance, «redressés» d’une autre manière, ou exclus). Par exemple, selon les besoins, on a déclaré la libido de la femme tour à tour débridée et incontrôlable, ou carrément inexistante. Ces affirmations ont servi d’arguments au discours général selon lequel les femmes sont soi-disant plus faibles et dans l’ensemble moins capables de faire quoi que ce soit. La déduction logique étant que les hommes doivent gouverner et diriger.

Mais d’ailleurs, qu’est-ce que c’est, l’organe sexuel féminin, au juste? A quoi ressemble-t-il? Quand est-ce qu’il commence, où est-ce qu’il s’arrête? Quelles en sont ses parties? Le fait que l’ensemble soit réduit au vagin, c’est-à-dire à ce qui relie les parties visibles de la vulve à l’utérus, traverse tout le livre. Pourquoi cette réduction? En a-t-il toujours été ainsi?

Au cours des trois premiers chapitres, nous découvrons des déesses issues de religions et cultes préchrétiens et leurs hommages rituels: on y montrait des vulves pour donner force et moral à leurs adeptes. Quelques vestiges de ces pratiques ont même survécu jusqu’à aujourd’hui. Mais on apprend aussi des atrocités pratiquées plus récemment comme le traitement du clitoris à l’acide ou bien son ablation pour empêcher l’onanisme, mais aussi les agissements bien réels de certains hommes d’église à l’époque paléochrétienne et du temps des procès contre les sorcières, et enfin les discriminations contre les personnes intersexes.

Dans le chapitre sur l’orgasme, Strömquist décrit entre autres comment représentations et définitions de la sexualité ont été adaptées, au fil des siècles, aux besoins des sociétés de justifier la place assignée à la femme. On y voit le dessin d’un clitoris tel que nous le connaissons aujourd’hui et qui explique – au cas où quelqu’un l’ignorerait encore – qu’il ne s’agit pas seulement du petit bout en haut de la vulve mais d’un organe considérablement plus grand. Les trois derniers chapitres traitent des sentiments de culpabilité, de honte et de peur des femmes vis-à-vis de leurs parties génitales et de leur propre sexualité au moment des règles et du syndrome prémenstruel (SPM). Ces sentiments constituent un terrain bien connu propice à l’oppression. Le rapport aux règles et au SPM s’est transformé plusieurs fois au fil des siècles. Ici aussi, des exemples historiques, des digressions dans le monde des mythes et des contes ainsi que des représentations courantes aujourd’hui.

Ce qui m’a le plus touché est la facilité avec laquelle l’autrice aborde un sujet si vaste. En 140 pages de BD, Strömquist rend les différentes facettes de notre rapport à la sexualité féminine si accessibles que j’ai envie de crier à chaque page: «MERCI!». C’est aussi l’humour sagace, exprimé notamment dans ses dessins, qui donne un charme particulier à l’ouvrage. Bien que, bien sûr, tout soit simplifié à l’extrême – comment faire autrement sous cette forme? –, l’ensemble est bien documenté et de nombreuses sources mentionnées pour celleux qui veulent aller plus loin.

Les contenus peuvent être lus par tranche de quelques minutes, demandent relativement peu de concentration et donnent à la fois envie d’approfondir. C’est ce qui fait de ce livre un trésor que je laisse volontiers traîner dans les espaces collectifs ou dont je fais cadeau – aussi bien aux travail-leur·euses à temps plein qui reviennent fatigué·es chez elleux qu’aux mères allaitantes, aux personnes refusant de lire des textes universitaires, ou les trouvant trop difficiles. En un mot: génial! Le positionnement sous-jacent de Strömquist «Mais ça va pas la tête? On est au 21e siècle!» me donne confiance et rend mon coeur léger! Ca ne peut qu’aider!

Strömquist a publié deux autres livres explosifs dans la même veine, entre farce, choc et recherche.

Julia Jahnke, membre du FCE France

Liv Strömquist, L’origine du monde, 144 pages, édition Rackham, 2016.

Liv Strömquist, Les sentiments du Prince Charles, 136 pages, édition Rackham, 2016.

Liv Strömquist, I’m every woman, 112 pages, édition Rackham, 2018.