PATRIACAT: Les bombes atomiques de Bure

de Colette, Damie et Maril, membres de Longo Maï, 1 nov. 2019, publié à Archipel 286

Un rassemblement féministe antinucléaire de 450 personnes se tenait à Bure (Meuse) en mixité choisie les 21 et 22 septembre, incluant une marche bruyante contre un projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Nous sommes allées à quelques-unes à ces rencontres, et avions l’envie de partager notre expérience. En 1993, les élu·es de la Moselle avaient accepté l’installation d’un laboratoire pour préparer l’enfouissement des déchets les plus radioactifs des centrales nucléaires françaises. 40 ans après la mise en marche de la première centrale nucléaire en France, aucune solution n’avait été trouvée pour traiter ou stocker ces déchets. Enfouir ces déchets à 500 m sous terre, n’était-ce pas la façon la plus efficace de traiter ce problème? C’est ce qu’avait décrété l’Assemblée nationale en 1991, promulguant la loi Bataille avant même de connaître la faisabilité technique et d’évaluer les risques. Cette loi permet aussi de passer outre toute consultation des habitant·es et c’est à Bure qu’il a été décidé d’installer le laboratoire de l’Andra1 (projet nommé Cigeo). Pour permettre d’avancer, un contrôle policier très fort a été mis en place dans le but de réduire les protestations citoyennes. Pourtant depuis les années 1990, des résident·es et des citoyen·nes venu·es de plus loin résistent et freinent le projet. Pour la première fois en France, une marche féministe et antinucléaire a été organisée les 21 et 22 septembre 2019 contre Labo-Minable. La couverture médiatique de la lutte et de la répression policière très forte qu’elle subit a toujours été très minime. Cette fois encore, les articles dans la presse nationale mettent en lumière l’événement auquel nous avons participé, uniquement en questionnant la mixité choisie et l’interdiction pour les journalistes hommes cisgenres2 de se rendre sur le camp. Devrions-nous alors compter le nombre de manifestations couvertes uniquement par des hommes?

Mixité choisie

Le choix de se retrouver en mixité choisie n’est pas anodin. Héritage de la deuxième vague féministe, il s’agit d’ouvrir un espace uniquement pour les personnes partageant une expérience commune d’oppression, en vue de s’organiser par et pour elleux-mêmes. Outre cette auto-organisation stratégique, la fonction de ces groupes est de permettre la libération de la parole hors présence des individus appartenant aux groupes sociaux dominants. C’est également une excellente possibilité de formation politique pour celles et ceux qui ont difficilement accès à la théorie politique dans d’autres circonstances. La mixité choisie de cet événement a été définie sans homme cisgenre. On parle de mixité car y étaient bienvenues des personnes transgenres3, gouines4, des femmes cisgenres et toutes autres personnes se définissant en dehors des critères normatifs de la binarité5 de genre.

Belle ambiance

Toutes les participant·es ont pu puiser de l’énergie et de la force dans ce rassemblement. Alors que quelques-un·es ont été fièr·es de voir un événement de lutte écologique 100% organisé par des féministes, assurant une logistique aux petits oignons et prévoyant un dispositif de lutte sécurisant et efficace, d’autres y ont vécu des moments où tout sentiment de craintes avait disparu, entouré·es d’une ambiance bienveillante et inclusive.

Le programme du week-end

Le programme prévu pour ces deux jours était riche et varié:

  • divers ateliers et discussions étaient proposées tout au long du week-end: autodéfense féministe, auto-gynécologie, discussions sur l’écoféminisme (voir encadré) et sur la lutte à Bure.
  • une pièce de théâtre intitulée Punctum Diaboli de la Compagnie des Oubliettes, relatant la chasse aux sorcières à la Renaissance. Cette pièce, politiquement engagée, nous a bouleversées par son style tantôt humoristique tantôt dramatique.
  • plusieurs projections de films et d’émissions étaient également proposées. On notera en particulier un documentaire intitulé Ni les femmes, ni la terre qui présente les témoignages de femmes en Amérique du sud qui combattent le patriarcat6, le racisme7, le néocolonialisme8 notamment représenté par des multinationales telles que Monsanto, ou encore l’extractivisme9. Ce film met en évidence le croisement de tous ces systèmes d’oppression.
  • des concerts et une boum ont également animé la soirée du samedi soir. Le point d’orgue du rassemblement était la marche du samedi après-midi contre Labo-Minable, c’est-à-dire contre le laboratoire de l’Andra, siège des projets d’expérimentation d’enfouissement de déchets radioactifs. 85 voitures se sont rendues au départ de la marche, pour environ 450 personnes déambulant à travers champs et forêts en chantant et en scandant des slogans. Des marionnettes géantes d’animaux mutants radioactifs ont été fabriquées pour l’occasion, avant d’être brûlées sur le lieu d’arrivée de la marche, à 500 mètres du laboratoire. Une farandole improvisée a tourné autour du feu puis s’est terminée en danse énergique. A part un barrage de gendarmes qu’on a pu subtilement repousser, il n’y a eu aucune répression policière, ce qui est exceptionnel pour une manifestation à Bure, les dernières ayant subi une répression extrêmement violente et choquante. C’était donc un moment joyeux, qui nous a permis de nous renforcer dans la volonté de combattre ce genre de projets destructeurs et d’imaginer à l’avenir une diversité de formes de lutte convenant aux différentes sensibilités des personnes qui s’y engagent.
  1. Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs.
  2. En accord avec le genre qui lui a été assigné à la naissance.
  3. Personne qui ne se reconnaît pas dans le genre qui lui a été assigné à la naissance.
  4. Identité politique de certaines lesbiennes.
  5. Concept selon lequel il n’existe que deux genres. C’est une idée aujourd’hui très critiquée, car le genre correspond à un continuum, un spectre, sur lequel on se positionne comme on le ressent, et sur lequel on évolue.
  6. Système de domination et d’oppression du groupe social homme sur le groupe social femme se manifestant à travers les structures de la société.
  7. Système d’oppression fondé sur l’appartenance d’une personne à un groupe humain spécifique, en raison de ses origines, réelles ou supposées. Il s’appuie généralement sur l’idée illusoire d’existence de races au sens biologique du terme, et d’une hiérarchie entre elles.
  8. Système de domination impérialiste des anciennes puissances coloniales sur les pays et populations ex-colonisées. Ce terme permet de visibiliser la continuité et la mutation des formes d’exploitations colonialistes, capitalistes et racistes passées et présentes.
  9. Désigne toutes les formes et tous les moyens d’exploitation massive et industrielle des ressources de la nature ou de la biosphère

Ecoféminisme

Ce rassemblement était traversé par la pensée écoféministe et a permis de se faire rencontrer des écologistes et des féministes sur une lutte commune. Né dans les années 1980 dans les pays anglo-saxons, l’écoféminisme a été initié par des féministes faisant le lien entre l’exploitation des ressources naturelles et l’exploitation qu’elles subissaient en tant que femmes. Dénonçant la logique mortifère à l’œuvre dans le capitalisme, elles proposent de revaloriser entre autre le soin du vivant et la relation à la nature considérant celle-ci comme un écosystème duquel nous faisons partie et non comme une ressource à exploiter. Elles critiquent également l’organisation sexiste de la société qui oppose de façon dualiste les hommes aux femmes en dévalorisant le rôle et le travail de ces dernières.

Quelques lectures

Reclaim, anthologie de textes écoféministes, Emilie Hache (Cambourakis, 16 novembre 2016), Ecoféminisme Vandana Shiva et Maria Mies (Editions L’Harmattan, 1 janvier 1999, Collection Femmes et changements) et l’excellente Starhawk avec Rêver l’obscur, femmes, magie et politique (Cambourakis, 11 février 2015).