FRANCE: Quand des Roms se font expulser par une «action citoyenne»

de Paul Braun Radio Zinzine5, 15 déc. 2012, publié à Archipel 210

Le 27 septembre dernier, une cinquantaine d’habitants de la cité des Créneaux, dans les quartiers nord de Marseille, ont forcé des Roms à quitter un terrain abandonné qu’ils avaient investi avec leurs caravanes cinq jours auparavant. L’action s’est amorcée quand la dernière famille d’un immeuble voisin qui s’était opposée à la «rénovation» de son quartier a rameuté les anciens habitants pour se faire justice eux-mêmes.

La plupart des médias ont repris sans vérification les paroles des riverains qui affirmaient qu’ils voulaient que «tout se passe bien et qu’il n’y ait pas de violence». Mais les témoignages des Roms décrivent les habitants des Créneaux pénétrant, jerricans d’essence à la main, dans les caravanes où vivaient des familles avec enfants et menaçant de mettre le feu, leur accordant cinq minutes pour partir. Un autre témoin affirme avoir été menacé par une arme à feu. Selon un responsable syndical de la police, celle-ci serait arrivée sur place après l’évacuation des lieux et n’aurait eu comme objectif que «d’empêcher tout débordement». Selon l’AFP1 par contre, la police serait arrivée sur place pendant l’expulsion, et aurait laissé faire les riverains. Le fait est que la police était certainement bienveillante puisqu’elle n’a procédé à aucune interpellation, et qu’aucune plainte n’a été déposée contre ces gens qui avaient décidé de se faire «justice» eux-mêmes. Une fois les Roms partis, les riverains ont mis le feu à ce qui restait, des poubelles mais également du matériel électroménager que les Roms n’avaient pas pu emporter dans la précipitation.

Des exclus qui s’attaquent aux plus démunis

Cette cité, et de manière plus générale les quartiers nord de Marseille, est connue pour être ravagée par un chômage endémique et la crise économique et pour souffrir d'un déficit en termes d'éducation, de transports publics et d'infrastructures en général. La population, harcelée et raquettée par une police marquée par des scandales de corruption2, se sent abandonnée par l’Etat et se défoule sur des gens qui se trouvent en situation encore plus difficile qu’elle. A priori, les riverains n’étaient pas organisés en groupe constitué tels que des milices et ne professent pas une idéologie fasciste structurée et revendiquée. Ils sont tout à fait capables de se sentir offusqués si on les traite de racistes. Néanmoins on aurait tort de banaliser ce genre de comportement, sous prétexte qu’ils ne sont pas organisés par une force politique structurée. Leur soi-disant «spontanéité» est aussi le résultat d’un climat général délabré, avec une droite qui épouse ouvertement les thèses du Front National et une gauche au pouvoir qui abandonne l’internationalisme et toute idée d’une émancipation plus large en faisant appel à un «patriotisme économique»3. Malgré toutes les précautions à prendre lorsqu’on observe des périodes historiquement différentes, il faut constater que le fascisme des années 1930 s’est mis en place en s’appuyant d’un côté sur des organisations très idéologiques et structurées, mais aussi largement sur ce genre de comportements pétris de bassesses, de vengeances et de fausses projections sur des groupes de population stigmatisés. Ce genre d’actes rappelle forcément de mauvais souvenirs et dénote un climat social qui se barbarise. Les habitants de ces quartiers délaissés et rejetés par la société marchande se trompent de cible en s’en prenant aux Roms.

L’exemple des Créneaux fait école

Expulsés de ce terrain abandonné, ce groupe de Roms s’est réinstallé sur un autre terrain vacant. Deux jours plus tard, ils ont été de nouveau expulsés suite à une procédure d’urgence initiée par la mairie et on fini par occuper un autre terrain vague. Là les riverains se sont immédiatement organisés pour essayer de les déloger. Un comité de riverains de toutes tendances politiques confondues, du Parti Communiste au Front National, s’est mis en place en disant qu’ils allaient faire comme aux Créneaux. Les pires stéréotypes sont avancés par rapport aux Roms: ils sont sales, ne savent pas s’occuper de leurs enfants, prostituent leurs filles et sont impliqués dans des réseaux de criminalité. La terminologie gouvernementale est à ce sujet typique: elle parle toujours de démantèlement de campement illicite, alors que le terme de démantèlement est communément utilisé en rapport avec un réseau. L’utilisation de cette expression tente à assimiler les Roms à des criminels organisés, alors que si criminalité il y a, il s’agit de petite délinquance de survie. Les Roms à Marseille affirment que si on les laissait tranquilles, et qu’on arrêtait de les traquer, ils pourraient trouver du travail et vivre décemment.
Aujourd’hui, et encore plus depuis les événements des Créneaux, les Roms sont sujets à de graves agressions dès qu’ils arrivent quelque part. Insultes et caillassages par la population locale font partie du lot quotidien, s’ajoutant au harcèlement administratif. Des comportements de délation sont devenus routine et l’idée de se faire justice soi-même devient courante. Dans d’autres régions de France, comme récemment dans une commune de l’agglomération lilloise où un maire PS essayait d’installer des habitations provisoires pour des Roms, une partie de la population a affirmé qu’on allait «faire comme à Marseille» pour empêcher ce projet d’insertion.
Du côté de la justice, si vous allez dans un tribunal marseillais, vous verrez qu’un Rom sera systématiquement condamné au double de la peine habituelle pour un délit, qu’une première petite infraction sera punie par de la prison ferme et que les enfants roms, sous prétexte qu’on ne peut pas déterminer leur âge exact, sont incarcérés dans des prisons pour adultes.

Interdiction de travail

Depuis que la Bulgarie et la Roumanie font partie de l’Union européenne, les Roms, comme tous les citoyens de ces pays, devraient avoir le droit de circuler librement et de travailler dans tous les pays de l’Union. La France, comme d’autres pays, a mis en place des mesures transitoires limitant le libre accès jusqu’à la fin 2013. Lors de sa campagne électorale, François Hollande avait promis d’abroger ces mesures discriminatoires. Même si, dans une circulaire interministérielle du mois d’août dernier, certaines dispositions ont été levées, l’essentiel, qui consiste à nier l’accès au travail des ressortissants roumains et bulgares, reste en place. La liste des métiers qu’ils ont le droit de pratiquer a été rallongée à deux cents et la taxe qu’un éventuel employeur devrait verser a été supprimée. Mais l’obstacle majeur, l’autorisation en préfecture pour valider un contrat de travail, reste en place. A Marseille par exemple, si un Roumain trouve une embauche avec contrat de travail, il lui faut par la suite obtenir une autorisation préfectorale pour laquelle il faut attendre entre six et neuf mois. En réalité cela revient à une interdiction de travailler et de s’installer librement, car si quelqu’un veut engager un salarié, il ne va pas attendre neuf mois pour un papier administratif. De la même manière, le gouvernement vient d’interdire l’accès au statut d’auto-entrepreneur (statut juridique simplifié assez répandu pour des micro-entreprises) aux ressortissants roumains et bulgares. Chaque fois qu’une petite porte s’entrouvre, le gouvernement la referme aussitôt.
Mis à part le fait que cette politique sert à désigner les Roms comme boucs émissaires pour canaliser sur eux le mécontentement d’une population dépossédée, cela sert finalement également l’économie de garder toute une population en situation de précarité. Dans un tel contexte, impossible de lutter pour de meilleurs salaires ou conditions de travail. Prenons un exemple: une des activités importante des Roms est la vente de ferraille, en triant les poubelles ou en la récupérant ailleurs. Mais aujourd’hui les négociants en ferraille n’ont plus le droit de faire des transactions en argent liquide, tout doit être déclaré et payé par chèque, ce qui est évidemment impossible pour des personnes sans domicile comme les Roms. La conséquence est que les commerçants leur achètent la ferraille au noir, mais évidemment en ne payant que la moitié du prix du marché.

Un comité de défense s’organise

Pour lutter contre le harcèlement et les attaques incessantes contre les Roms, un comité de défense s’est formé à Marseille. Les premières violences «citoyennes» contre les Roms avaient eu lieu en 2010, mais c’est surtout depuis l’été dernier que ces agressions sont devenues quotidiennes. Dans le passé, toute la responsabilité était fixée sur Sarkozy qui, avec ses discours sécuritaires et sa sympathie ouverte pour l’idéologie de l’extrême droite, avait grandement participé à mettre en place une ambiance qui encourageait de tels actes. Mais selon les gens qui soutiennent les Roms à Marseille, la situation est devenue pire depuis l’élection de François Hollande. Le rythme des expulsions a considérablement augmenté, les Roms sont plus harcelés qu’auparavant, au point qu’il arrive que le même groupe se fasse déloger trois fois dans la même journée par la police. La politique du gouvernement actuel à ce sujet est complètement hypocrite. Des promesses de relogement sont faites, mais elles ne sont jamais appliquées.
A côté d’un travail d’information, le comité s’occupe surtout d’aider quotidiennement les Roms. Depuis l’expulsion des Créneaux, ils doivent souvent s’interposer pour calmer les esprits et empêcher qu’on arrive à des situations de pogroms. Les membres du comité se font régulièrement insulter, qualifier de traîtres et reçoivent des menaces personnelles jusqu’à leur propre domicile. Le travail quotidien consiste à accompagner des enfants pour permettre de les scolariser, à aider les familles à avoir accès aux installations sanitaires des organisations caritatives, à trouver des bâches ou des tentes pour remplacer des caravanes détruites par la police et monter des campements de fortune. En cas de pluie, comme les semaines dernières par exemple, il faut trouver des palettes et des planches pour que les familles ne campent pas directement dans la boue, etc. Il s’agit d’un travail de longue haleine, sans véritable perspective car à tout moment la police ou des riverains peuvent venir et anéantir les petites améliorations péniblement mises en place. En principe en France, il existe une aide médicale pour toute personne, même en situation irrégulière. Mais là aussi la réalité est kafkaïenne dans le sens où le traitement de la demande dure plus longtemps que la possibilité du séjour, ce qui revient à un déni d’accès aux soins. Heureusement dans ce domaine à Marseille, des organisations médicales indépendantes ont monté une antenne d’aide aux Roms, mais elles manquent de moyens et de personnel et ne peuvent intervenir qu’en cas d’urgence. On se trouve aujourd’hui à Marseille avec des cas de malades chroniques qui dorment à même le sol alors que l’hiver approche.
Dans son communiqué, le comité de défense affirme qu’après les événements des Créneaux, «les véritables incendiaires sont à la place Beauvau4» et que «la guerre de tous contre tous a besoin d’un bouc émissaire».

Il critique le mensonge d’Etat et ses revendications sont:

  • «Pas un seul habitant à la rue! Une seule solution immédiate: les réquisitions!
    A Marseille comme ailleurs, il y a assez de terrains ou de bâtiments appartenant à l’Etat ou aux collectivités territoriales qui restent scandaleusement vides et inutilisées, ils doivent être réquisitionnés.
  • Arrêt immédiat de toutes les expulsions et évacuations sans solutions préalables acceptables.
  • Abrogation des ‘mesures transitoires’ scandaleuses, mesures discriminatoires applicables aux seuls ressortissants roumains et bulgares pourtant citoyens européens.
  • Liberté de circulation et d’installation pour tous et toutes!»
  1. Agence France Presse, agence de presse internationale, généraliste.
  2. Début octobre dernier, une trentaine de policiers de la BAC (Brigade Anti Criminalité) de Marseille-Nord étaient placés en garde à vue dans le cadre d’une enquête portant sur des accusations de corruption, vols, extorsions, etc.
  3. Voir les déclarations récentes de Montebourg, ministre du «redressement productif» (sic).
  4. Adresse du ministère de l’Intérieur français.
  5. Une émission intitulée Expulsion de Roms à Marseille peut être écoutée et/ou téléchargée sur le site de Radio Zinzine (www.radiozinzine.org).