DOSSIER ISRAËL: Il a refusé

de Udi Segal, 16 sept. 2014, publié à Archipel 229

Udi Segal, jeune Israélien de 19 ans, devait commencer son service militaire le lundi 28 juillet 2014. Malgré la loi l’obligeant, comme la plupart des Israéliens juifs de son âge, à rejoindre l’armée après le lycée, Udi a refusé.

Il est ce que l’on appelle un refuznik (en hébreu sarvan, de sirev: «il a refusé»), comme ces autres jeunes qui refusent de servir dans Tsahal. Certains de ces soldats refusent notamment de servir dans les territoires palestiniens occupés, d’autres refusent tout simplement d’être incorporés, comme c’est le cas d’Udi. En 2005, on comptait plus d’un millier de refuzniks dans un pays de huit millions d’habitants, rongé par un état de guerre perpétuel et le patriotisme qui en découle automatiquement, et qui aimerait diviser la société israélienne en deux camps: les patriotes et les traitres nationaux, les «traitres nationaux» étant ultra-minoritaires et très mal perçus. (…)
Nous vous proposons donc cette déclaration d’Udi, à qui nous souhaitons force, courage et détermination pour la suite, pour en finir avec le nationalisme et le patriotisme.
La déclaration de désertion d’un jeune Israélien* Je m’appelle Udi Segal, j’ai 19 ans, je viens du Kibbutz Tuval au nord d’Israël. Il y a quelques mois j’ai signé la lettre des objecteurs de conscience 2014 qui fut envoyée au premier ministre; à ce jour, elle a été signée par 130 déserteurs. Dans la lettre, nous déclarions notre refus de servir dans l’armée israélienne. La principale raison en est l’occupation et l’oppression continue du peuple palestinien, qui s’exprime par des allocations sociales inégales, le mépris des droits, et le meurtre de plus de 600 personnes dans la dernière opération à Gaza1. De plus, le service militaire contribue au militarisme israélien. Moi par exemple, en tant qu’homme, juif et ashkénaze2, et donc plus susceptible d’avoir un impact sur la société israélienne et de m’en sortir, car je viens d’un milieu social dominant plus enclin au militarisme israélien, un milieu auquel je m’oppose fortement.
Même s’il n’y avait pas l’occupation, je refuserais de servir l’armée, car elle pérennise un système politique nationaliste et capitaliste auquel je refuse de prendre part et qui ne profite qu’à quelques-uns. Je ne pense pas que l’opération militaire en cours à Gaza me protège. Les opérations militaires ne me protégeront pas, elles ne feront qu’engendrer de nouvelles opérations militaires comme ça a été le cas avec l’Opération Plomb durci (2008-2009) qui n’a fait que mener à l’Opération Pilier de défense (novembre 2012) et qui continue aujourd’hui avec l’opération Bordure Protectrice, qui elle-même mènera probablement à d’autres opérations militaires. Ce qui protégerait serait une paix juste reconnaissant l’injustice faite aux Palestiniens. On ne pourra réaliser la paix tant qu’un peuple sera opprimé, occupé et entouré d’un mur. Cette population n’a pas abandonné son désir de liberté et ne se repose pas sur l’éventuelle compassion de ceux qui l’occupent, alors ne vous attendez pas à vivre en sécurité dans une telle situation. A ceux qui pensent quand même qu’ils me défendent, dans une telle situation, si le prix à payer pour la sécurité est de 600 morts à Gaza, je ne suis pas intéressé par ce genre de sécurité.
Mon refus de servir sera difficile pour ma famille. Mon frère est dans l’armée, et il pourrait être à Gaza lorsque je me retrouverai en prison, j’espère que cela ne créera pas de conflits insolubles... Et au- delà de ça, à cause de moi, les gens regarderont avec méfiance mes parents et mes frères. Je pense que je contribue à la société israélienne, mais il me semble important de préciser que mon action ne s’inscrit pas dans une vision patriotique ou sioniste, mais dans une vision globale, une globalité qui inclut Israël. Je pense que l’occupation est un obstacle et qu’elle est dommageable pour les Israéliens.
Beaucoup d’amis de mon âge se sont enrôlés dans l’armée. Je viens moi-même d’un milieu militariste: mon école a un des plus forts pourcentages de recrutement dans le pays3. Oui, il y a de nombreuses personnes qui ont arrêté de m’adresser la parole et qui m’ont mis à l’index suite à mon choix. Mais il s’agit peut-être d’un bon tri dans mes amitiés, puisque j’ai aussi des amis qui se sont enrôlés et qui sont restés à mes côtés. J’ai choisi d’aller en prison parce que, malheureusement, les Israéliens écoutent plus facilement ceux qui sont prêts à se sacrifier et à payer le prix. La prison va me retirer ma liberté, c’est quelque chose de difficile à appréhender car je n’ai connu jusque-là que le dehors, dans une liberté toute relative. De plus, pour ceux qui refusent l’occupation, les conditions de détention peuvent être particulièrement dures, comme le montre l’exemple d’Uriel Ferera, emprisonné récemment. Il a refusé de porter l’uniforme et subit des humiliations en raison de son milieu traditionnel.
L’objectif qui sous-tend ma désertion est d’en finir avec l’occupation. Mais compte tenu de la réalité présente, ce qui importe maintenant est que les Israéliens ouvrent les yeux, qu’ils réfléchissent au sens de l’occupation et à ce que cela signifie de servir dans l’armée, particulièrement les adolescents qui se rapprochent de la conscription.
En ce qui concerne l’opération en cours à Gaza, j’appelle les simples soldats et les réservistes à refuser les ordres et à ne pas participer au massacre.

Udi, a répondu «je refuse» à l’ordre de conscription le lundi 28 juillet à midi, accompagné d’environ 70 personnes solidaires, juives et arabes (dont d’autres refuzniks), tous pris à partie par une contre-manifestation de patriotes rassemblés en urgence par le biais de Facebook. Udi est actuellement retenu dans une prison militaire.

* Article et vidéo de Udi sur <non-fides.fr/>

  1. Udi a passé ses premières années dans une école mixte où on étudiait simultanément en hébreu et en arabe, avant de se retrouver dans cette école publique réputée. L’école publique a notamment pour fonction de préparer les jeunes au service militaire.