DOSSIER MIGRATIONS: Collectif Migrant-e-s 04

de Collectif Migrant-e-s 04, 16 août 2016, publié à Archipel 250

A l’instar de milliers de personnes en France et en Europe, nous, habitant-e-s de villages et de petites villes situé-e-s en Provence au pied des Alpes, sommes réuni-e-s au sein d’un collectif de soutien pour les migrant-e-s et les personnes et réseaux qui s’organisent autour et avec eux et elles.

Il y a plusieurs années, un collectif nommé Idées Fixes avait pris possession de la place centrale de Forcalquier pour soutenir les occupant-e-s et habitant-e-s vivant sur la Zone à Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes et lutter contre l’aéroport, sa logique et l’essence même du monde dans lequel il se planifie.
Depuis 2012, les membres du collectif se réunissent avec pour objectif de remettre radicalement en question le système capitaliste et son emprise tentaculaire sur l’ensemble des populations du globe par des pratiques de réflexions philosophiques, par des actions publiques et conviviales.
Sous l’ère Emmanuel Valls, il est devenu évident pour les membres du collectif, au vu de la situation des migrant-e-s dans le bassin méditerranéen et en Union européenne durant l’année 2015, qu’il était nécessaire et urgent d’agir.
La crise des migrant-e-s, les migrant-e-s de la crise
Ces derniers mois des centaines de milliers de personnes quittent leur pays pour tenter de rejoindre l’Europe. Seul un petit nombre d’entre elles parvient à atteindre son objectif (pays du Nord, Allemagne, Angleterre, etc.). Ces femmes, ces hommes et ces enfants fuient des guerres civiles, des persécutions, des conflits internationaux, des situations économiques, sociales et climatiques désastreuses, les obligeant à prendre le chemin de l’exil vers l’Europe. Il-elle-s espèrent y vivre en paix et en sécurité, aspirant simplement à faire évoluer leurs conditions de vie sans pour autant renoncer au respect de leur dignité.
Face à cet immense espoir, il-elle-s sont accueilli-e-s par une répression policière violente et croissante, par l’hermétisme et l’arbitraire des administrations, par un pouvoir politique qui les traque et les exclut simultanément, par des agressions xénophobes quotidiennes. Ces milliers de personnes survivent ainsi sans visibilité, sans logement, sans aide et sont condamnées à une attente insoutenable. Cet accueil intolérable et inhumain qui leur est réservé va à l’encontre de notre élan de solidarité, d’ouverture et des richesses que procurent les échanges et les rencontres. Pourtant, ces expériences nous permettent de réfléchir et d’agir ensemble.
Le protectionnisme aberrant des pays européens atteint un seuil de violence inédit en violant cette liberté fondamentale qu’est la liberté de circulation. Depuis plusieurs mois, les gouvernements européens érigent des murs aux frontières, renforcent la militarisation des territoires, expulsent ou reconduisent, contrôlent et arrêtent, libèrent et enferment, déplacent ou ignorent, répriment, tabassent ces personnes en itinérance si vulnérables soient-elles.
Les seules réponses de ces gouvernements ne sont que des annonces médiatiques à portée spectaculaire, imbriquées dans des logiques économiques et humanitaires qui ne constituent en rien des solutions.
Tout cela est d’autant plus scandaleux que certains Etats européens tels que la France, en colonisant puis en décolonisant massivement et violemment des continents entiers, ont nourri l’instabilité et la crise sans précédent de la situation géopolitique mondiale actuelle. Cet héritage colonial sclérose les mentalités en véhiculant un ensemble de préjugés qui comptent parmi les fondements du racisme d’aujourd’hui.
Cette situation dramatique et urgente a impulsé une volonté de s’associer et de mettre en commun nos réflexions et savoir-faire, afin de résister au système d’organisation mondial actuel qui s’emballe et évolue de manière insensée. Cette sensibilité qui nous a réuni-e-s, ajoutée à la nécessité de lutter contre ce rouleau compresseur, est partagée par des centaines de personnes et collectifs présents sur tout le continent.
Les exilé-e-s n’ont pas d’autre choix que de parcourir clandestinement le continent depuis le sud (Italie, Grèce, Turquie...) vers le nord (Autriche, France, pays scandinaves, Angleterre, Allemagne, etc.). Sur ce parcours du combattant parsemé d’embûches certaines villes deviennent des lieux de transit importants et donc concentrent les enjeux: Vintimille, Paris, Calais, Marseille. A Vintimille par exemple, les autorités françaises et italiennes, en tirant les ficelles officieuses et officielles du cadre légal, jouent au ping-pong avec les exilé-e-s.
Les récents accords de Dublin III* ont accentué la clandestinité des migrant-e-s: il-elle-s sont maintenu-e-s délibérément dans le passage puisque ces accords impliquent un déni total de leurs projets de vies.
Les conséquences de cette clandestinité sont pour ces êtres en souffrance abyssale, anxiogènes et multiples.
La pression policière est permanente, humiliante: contrôles d’identité, arrestations répétées et enfermement dans les centres de rétention administrative (CRA). Les politiques déshumanisent les exilé-e-s car pour elles.eux seuls comptent les arguments sécuritaires, économiques et électoralistes. Les systèmes administratif et judiciaire français sont si complexes qu’ils ne sont accessibles qu’à très peu de personnes. Quand bien même elles parviennent à déposer leur demande d’asile en temps et en heure, la plupart sont récompensées par un refus avec obligation de quitter le territoire. L’état d’urgence est l’énorme cerise sur le gâteau.
Devant l’ampleur du nombre d’exilé-e-s en transit et l’ampleur des réactions médiatiques, politiques et humanitaires, des centaines de personnes en Europe se rassemblent et s’organisent avec les migrant-e-s afin d’apporter des réponses à leurs précarités.
Au niveau local
Le collectif migrant-e-s 04 s’est créé au début de l’automne 2015 avec la volonté d’intégrer le réseau de soutien déjà existant pour désintégrer le système d’oppression généralisée. Il est pour nous indispensable de comprendre les personnes en itinérance et de les considérer de manière visible sans mettre quiconque en danger.
Au-delà de l’accueil des réfugié-e-s et de ce que cela implique (disponibilité dans les rencontres, organisation du transport, du soutien administratif, du logement et des soins médicaux...), l’objectif du collectif est d’informer, de construire des formes de résistance et de solidarité.
Ce collectif s’inscrit dans une lutte générale contre le capitalisme et ses ravages sur l’ensemble des populations du globe: ce système d’exploitation est devenu un système d’exclusion, comme si une grande partie de l’humanité n’était que déchet.
L’ambiance actuelle en France et en Europe se nourrit de peur, d’individualisme, de renfermement sur soi, de xénophobie: au regard des évènements historiques des deux derniers siècles, qu’ils se soient produits en Europe ou ailleurs, nous craignons le pire pour les mois et les années à venir. L’autoritarisme des Etats conduira-t-il à une nouvelle ère totalitaire?
Au vu de cette chape de plomb, de cette épée de Damoclès qui vient pourrir notre beau ciel étoilé, les rencontres et les actions de ces derniers mois sont fondamentales pour nous: se réunir, réfléchir (ou pas), partager des repas succulents (ou pas), boire du jus de pomme mais pas que, rire et pleurer, découvrir tout-e-s les potentiel-le-s ami-e-s européen-ne-s, soudanais-e-s, syrien-ne-s, kurdes, afghan-ne-s, tunisien-ne-s etc., prendre place publique et privée pour s’exprimer (ou pas), chercher des lieux d’accueil et soutenir les initiatives et réseaux locaux lorsqu’ils en ont besoin (Reillanne, Limans, Saint-Étienne...), s’organiser et palabrer. Nous sommes très nombreux-euse-s au sein de ce collectif, mais plus généralement dans les Alpes-de-Haute-Provence à avoir trouvé ici hospitalité, accueil, refuge les soixante dix dernières années. A nous de perpétuer cette culture de l’accueil: on est tout-e-s des migrant-e-s.
Collectif Migrant-e-s 04

* signés par 32 pays membres de l’Union européenne, les accords de Dublin III instituent la prise d’empreintes censée être volontaire et obligent la personne à faire sa demande d’asile dans le pays où elle est effectuée. Toutefois, il arrive que cette procédure puisse être annulée (comme à Briançon, Sisteron ou Manosque récemment).