DOSSIER SEMENCES - GRECE: Rencontre internationale sur les semences

de Martina Widmer Longo maï, 13 sept. 2012, publié à Archipel 207

e 12ème festival panhéllénique sur les semences de l’association Peliti s’est tenu trois jours durant dans le nord-est de la Grèce, avec de nombreux invités de l’intérieur comme de l’étranger. Peliti est le nom donné au chêne par les Grecs pontiques de la région de la Mer Noire. Dans les villages, les Grecs se retrouvent souvent à l’ombre d’un chêne, et Panagiotis Sainatoudis, initiateur de l’association Peliti, souhaitait qu’elle soit un lieu de rencontres et d’échanges de graines ou de services.

Peliti veut renouer avec la tradition de l’entraide en zone rurale, et quand on lui demande pourquoi l’association ne vend pas de semences, il répond: «La semence est un cadeau de la création, elle m’a été donnée et je la transmets gratuitement».

L’association Peliti

De 1995 à 2000 Panagiotis a parcouru la Grèce entière, souvent à pied ou en auto-stop, afin de recueillir dans les villages les variétés locales de plantes cultivées. Beaucoup de petits paysans les cultivaient encore et en retiraient les graines. Au bout de dix ans sa collection se montait à plus de 1.200 variétés, et juste au moment où un grand nombre de ces variétés disparaissait s’est posée la question de leur conservation. Répondant aux appels et articles de journaux de Panagiotis, un petit groupe de paysans et de jardiniers s’est constitué, prêts à conserver des semences et à les distribuer. Dès le début, dans un souci de transmission du savoir-faire, un petit livre a été publié en 1997 sur la production des semences, et des cours de formation sur la culture, l’extraction et le stockage ont été organisés. Chaque année en septembre paraît le catalogue qui recense les conservateurs et leurs variétés par région.
Actuellement, une nouvelle édition du livre est en cours d’élaboration pour satisfaire une demande croissante en conseils de base: par exemple comment extraire et semer les graines, comment cultiver des légumes sans produits chimiques? La deuxième partie contient des informations sur le réseau appelé «de la main à la main et du cœur au cœur» qui propose des échanges de produits et de services. Des listes, élaborées par région et par ville, comportent les offres et les demandes les plus variées des membres: de l’huile d’olive contre des cours de yoga, des cours de langues contre un travail aux champs. Si des membres de l’association se contentent d’offrir, ils n’attendent rien en retour, et il n’est jamais question de rétribution financière. Ce réseau a été créé par Panagiotis et sa femme Sophia en 2002, quand beaucoup d’argent circulait encore en Grèce.
Depuis sa création en 2000, l’association Peliti a grandi et compte aujourd’hui 11 groupes régionaux dans toute la Grèce, avec 220 conservateurs de variétés et 15 éleveurs engagés de différentes manières, comme par exemple Nikos Bazis, l’instituteur de Komontini qui a commencé en 2002 à semer des variétés locales à l’école. Chaque mois de janvier, les instituteurs se rencontrent pour recevoir les semences et discuter des actions à venir. Dans les «festivals de plantes » les élèves distribuent gratuitement leurs plants et on projette des films sur l’extraction des semences. Chaque élève emporte aussi des plants à la maison, où les parents sont ainsi sensibilisés. Cette initiative a remporté un très grand succès et aujourd’hui 19 écoles cultivent et distribuent plusieurs milliers de plants. Le groupe local de Peliti à Komontini a même trouvé des terrains en friche dans la ville et aux alentours, mis à disposition pour quelques années par leurs propriétaires. Des jardins collectifs ont vu le jour, subdivisés en parcelles de 50m2, et on y propose aussi des semences et des formations à la confection du levain, la cuisson du pain, la fabrication du fromage ou du savon. Il estime très important que les gens apprennent à produire eux-mêmes une partie de leur nourriture, car il ne croit pas que la misère et la faim seront enrayées par le développement industriel.
L’association veut entreprendre le classement de la collection de plantes qui se monte aujourd’hui à 2.000 variétés. Depuis l’an dernier, Peliti bâtit une maison qui abritera des bureaux et la banque de semences. Jusqu’à présent, l’association a répondu chaque année entre octobre et décembre à environ 900 demandes de semences. L’éclatement de la crise économique en Grèce multiplie les demandes, et depuis ce printemps il en arrive cent par jour. C’est un grand défi pour Peliti dont les moyens financiers sont très restreints.

Le festival des semences

Depuis quelques années Peliti possède un terrain dans le village de Mesochori commune de Paranesti au nord-est de la Grèce, au bord du fleuve Nestos qui prend sa source dans les monts Rhodope. Fin avril ou début mai, un samedi est consacré à une grande journée d’échanges: des dizaines de conservateurs de semences membres de Peliti envoient leurs graines ou les apportent quelques jours plus tôt. On prépare le terrain, on installe les stands et des foyers pour les gigantesques marmites de soupe. Cette année, le festival international des semences a été envahi des milliers de visiteurs venus s’informer sur les stands d’expositions, discuter et chercher des graines, des boutures et des plants. Grâce à la présence des nombreux volontaires de l’association et aux 1.500 kilos de nourriture offerte par les paysans, les 5.000 participants ont pu déguster un bon repas. L’antenne belge de l’association Kokopelli, les coopératives françaises et allemande de Longo maï ont proposé leurs semences. Elles ont eu l’occasion de se présenter, ainsi que Via Campesina Autriche, pendant le programme du podium. Une forte averse n’a pas réussi à perturber la bonne humeur générale, et pour finir un groupe de musiciens locaux a fait danser tout le monde au son de la cornemuse et des percussions.
Le dimanche matin, après une plantation d’arbres, la partie conférence a commencé: d’abord les groupes régionaux de Peliti et d’autres comme Sporos et Nea Guinea ont parlé de leur travail, ensuite les groupes étrangers comme ceux venus de Turquie et de Bulgarie. L’après-midi la campagne «Semer l’avenir – récolter la diversité» a été présentée, ainsi que d’autres organisations européennes comme le Réseau Semences Paysannes de France et Rete Semi Rurali d’Italie. On a projeté le film «Graines de résistances» (sous-titré en grec) sur les journées internationales d’action de Bruxelles en 2011 contre les directives européennes sur les semences.
Le lundi fut consacré au futur: le matin, la cinquantaine de participants de Grèce et d’autres pays européens ont présenté leurs activités extrêmement diversifiées. L’après-midi a débuté avec la visite de la collection de Peliti. Ensuite un groupe de travail s’est constitué avec des participants de Grèce, de France, du Portugal, d’Autriche et d’Allemagne afin de préparer la campagne pour la souveraineté des semences, avec des journées d’action décentralisées pendant la journée mondiale de l’alimentation, prévues le 16 octobre 2012.

Extraits de l’interview réalisée par Radio Zinzine*

Radio Zinzine: Nous avons été frappés par l’esprit de don chez Peliti. On n’entend jamais parler d’argent. Cet esprit de don et de partage, est-il nouveau ou est-ce plutôt une tradition ancienne en Grèce?
Nikos Dompazis (Peliti, Komitini): Ça existait il y a très longtemps. Mon père vivait sans argent. A son époque, quand les gens voulaient acheter du sucre, ils prenaient du blé et ils allaient l’échanger contre du sucre chez l’épicier du coin.
L’idée d’échanger des produits sans argent est pour moi magnifique, vraiment très belle! Une belle vision des choses qui m’encourage à continuer ce que je fais actuellement.
Chara Saiti (Peliti, Lefkada): C’est une tradition ici. Ou plutôt c’était une tradition en Grèce que nous avions un peu oubliée avec l’américanisation de notre pays. Et maintenant, nous essayons de la retrouver.
Panagiotis Sainatoudis (Peliti, Paranesti): Quand j’étais petit, dans mon village, je me souviens que nous échangions des choses entre nous. Par exemple, à Pâques, nous donnions des œufs et en échange nous recevions des gâteaux. Si moi je t’aidais en travaillant dans ton champ, toi tu m’aidais le lendemain en travaillant dans le mien. C’est un vieux système, mais c’est également quelque chose que j’ai moi-même expérimenté à Dasoto, quand je vivais sans argent et que je donnais de mon temps aux gens en travaillant pour eux, et qu’en échange ces personnes me donnaient à manger.
Aris Pavlos (Peliti, Egine): Au départ, les gens qui viennent à nos fêtes pensent que c’est plus simple d’échanger contre de l’argent, que c’est plus compliqué quand il n’y pas d’argent. Le don permet de réfléchir sur l’essence de nos activités. C’est plus difficile pour quelqu’un de comprendre pourquoi c’est gratuit, et pourquoi il doit y participer. Ça l’oblige à réfléchir. Quand on te fait un don, tu te sens reconnaissant mais aussi responsable car tu dois faire quelque chose de ce cadeau.
Pour la première fois cette année à Egine, beaucoup de jeunes ont rejoint notre équipe. Des trentenaires qui ont décidé de vivre sur l’île, de s’impliquer dans les activités de Peliti et de s’occuper des semences. Je ne pense pas que cela soit dû uniquement à la crise. A l’étranger, on parle beaucoup de la crise en Grèce et les gens pensent que notre mode de vie est très dur. Il est possible que nous ayons moins de biens matériels maintenant, mais ça nous permet de mieux réfléchir à notre façon de vivre et de rendre notre vie plus belle, sans compter sur l’argent.

Radio Zinzine: Panagiotis, comment as-tu découvert les semences, comment cette histoire qui a mené à la création de Peliti a-t-elle commencé?
Cela a commencé plus ou moins par hasard, quand un ami m’a donné un paquet de graines venant du monde entier. Ça s’est passé en 1991. Ce qui m’a ému c’est que dans ce paquet il y avait des graines provenant de tribus indiennes qui avaient disparu mais dont les semences de maïs existaient toujours. En 1991, j’étais étudiant mais je donnais aussi des cours d’agriculture écologique.
En 1992, alors que je distribuais les invitations au mariage de mon frère dans mon village, j’ai trouvé, dans une cour, une espèce locale de petit maïs noir. Cet événement m’a donné l’idée, chaque fois que j’allais chez quelqu’un remettre une invitation, de demander aux gens de me donner quelques graines. J’ai donc parcouru tout le village. J’ai recueilli différentes graines et cela m’a permis de voir mon village d’une manière totalement différente. (…)