DOSSIER SEMENCES: Protestations contre une banque de gènes

7 mai 2010, publié à Archipel 148

Au Conservatoire de Gatersleben (Saxe-Anhalt) sont conservées 147.544 plantes sous forme de semences, soit 2.500 espèces. Ce conservatoire, l’un des plus grands du monde, procède à des échanges intensifs d’échantillons de semences avec des conservatoires et des sélectionneurs du monde entier

Le savoir c’est le pouvoir et chaque graine contient un «savoir» qui a grandi au fil des siècles et de manière différente suivant les régions. Ainsi un grain d’une variété de blé cultivé depuis cinquante ans en Italie, contiendra-t-il d’autres informations qu’un grain de Poméranie cultivé pendant le même laps de temps. Ni l’un ni l’autre ne sont plus aujourd’hui cultivés, mais leur «savoir» doit être conservé ainsi que leur pouvoir germinatif afin d’être en mesure de le confronter à l’environnement d’aujourd’hui. Seule une dizaine de variétés de blé est actuellement commercialisée au niveau mondial. Ce sont des variétés hyper sélectionnées, souvent des hybrides performantes dont les descendants, ne pouvant plus croître sans engrais chimiques ni insecticides, dégénèrent. Chacune de ces variétés est vouée à disparaître, l’agent pathogène s’adaptant au traitement chimique, livrant ainsi la plante à la maladie. Toutes les variétés nouvellement sélectionnées le sont à partir d’anciennes, en réserve dans les conservatoires. C’est pourquoi, la tâche fondamentale de maintenir les anciennes espèces revient aux conservatoires, il en va de notre sécurité alimentaire. L’Institut d’Etat «pour la génétique des plantes et la recherche sur les plantes cultivées», responsable du conservatoire, a, à ce sujet, la mission de rendre les semences accessibles au public et de mettre les échantillons de semences à disposition lorsqu’il y a demande.

Un peu d'histoire

Dans l’histoire de la collecte des plantes, l’intérêt botanique a eu pendant longtemps, mises à part quelques exceptions, la priorité sur l’intérêt culturo-commercial. Le passage du XIXème siècle au XXème siècle a vu se développer la recherche sur la sélection, basée sur la génétique de Mendel, ainsi que l’intérêt économique pour les semences. La naissance du Conservatoire de Gatersleben renvoie au travail de l’«Institut Kaiser Wilhem», entre 1930 et 1945, pour la biologie et la recherche sur les plantes cultivées, et aux nombreuses expéditions dans tous les coins du monde. Les chercheurs de la fameuse expédition Hindukusch, en 1931, ont collecté systématiquement toutes les variétés de céréales qu’ils ont pu trouver en Iran et en Afghanistan. Durant l’été 1941, à peine deux mois après l’invasion de la Yougoslavie et la conquête de la Grèce par la Wehrmacht, un groupe de botanistes allemands entreprit une expédition dans les massifs montagneux des Balkans. Elle fut menée par Hans Stubbe, chargé après la guerre par le gouvernement de la RDA de mettre sur pied le Conservatoire de Gatersleben. Et dès l’entrée de l’armée allemande en Union Soviétique, l’intérêt allemand se porta tout particulièrement sur les collections de plantes du célèbre botaniste et généticien Nicolaï Wawilov. Il fonda la théorie des foyers génétiques de plantes cultivées géographiques, selon laquelle la variation génétique des plantes s’est concentrée dans quelques centres de culture seulement. Il a, au cours de ses travaux de recherche, commencé une vaste collection de plantes sauvages et cultivées d’une très grande importance pour la sélection. Le Conservatoire génétique de St Pétersbourg, aujourd’hui russe, qui porte encore le nom de Wawilov, héberge la plus grande réserve de ressources génétiques de plantes cultivées mondiale. Le croisement avec le spécimen sauvage d’une plante est encore aujourd’hui un procédé de sélection utilisé pour retrouver certains caractères de résistance. L’historique de la mise en place du Conservatoire de Gatersleben montre clairement que le contrôle sur le «savoir végétal» est d’une importance économique, scientifique et politico-stratégique considérable.

Suite à la réunification allemande, le Conservatoire de Braunschweig (ex-RFA), plus petit, fut rattaché à celui de Gatersleben. A Gatersleben même sont stockées les semences de légumes et de céréales. Tandis que Grosslüsevitz, près de Rostock, abrite les collections de pommes de terre et Malchow celles d’oléagineux.

Comme bien d’autres établissements de la RDA, les conservatoires de plantes se sont vu imposer de la part de leurs nouvelles directions des restrictions drastiques, y compris des compressions de personnel. Parallèlement s’est opérée une nouvelle orientation vers l’établissement d’un inventaire et d’un classement numériques d’après les propriétés génétiques des plantes. De sorte qu’aujourd’hui on peut consulter par Internet, de partout dans le monde, les propriétés des plantes inscrites au répertoire de la banque génétique et en commander des échantillons.

Changements

Cette modernisation, dans l’air du temps, n’est pas la seule modification qui ait touché l’Institut pour la génétique des plantes et la recherche végétale. En automne dernier, on apprenait qu’il était prévu de semer du blé génétiquement modifié, à l’essai sur un terrain de cet institut. Ce dernier est depuis l’objet de critiques et de protestations véhémentes. En réalité, cet endroit a déjà été le lieu de nombreuses expérimentations avec des OGM, à la différence que cela n’était pas parvenu à la connaissance du public. C’est uniquement à cause de la toute nouvelle loi (2006) sur les biotechnologies que l’Institut a été obligé d’officialiser ses essais en plein champ. La même année, on apprenait qu’avaient été réalisés plusieurs essais de pommes de terre OGM sur le lieu du Conservatoire de Grosslüsevitz, de même pour des semences d’oléagineux modifiées sur le terrain de la banque génétique de Malchow. Il est tout à fait clair que la direction de cet Institut a cédé à l’intérêt économique et qu’elle a libéré l’accès à ses stocks pour la recherche génétique. Le Land de Sachs-Anhalt, où se trouve Gatersleben, a dégagé une somme de plusieurs millions pour subventionner l’établissement d’entreprises biotechnologiques à Gatersleben et dans les environs de Halle, ville universitaire.

L’Institut pour l’environnement de Münich a réuni 30.000 lettres de protestation contre la réalisation d’expérimentations sur le blé. Parmi les signataires, il y a de nombreux boulangers, meuniers et paysans. Aucun d’entre eux ne veut d’OGM dans le pain. Ces lettres mettent en avant que toutes les réserves de blés stockées dans la banque devant être régulièrement semées pour leur conservation, sont ainsi menacées de contamination par ces essais. L’introduction de gènes de fève et d’orge a provoqué l’augmentation, en laboratoire, de la teneur en protéines de trois lignées de blés. Le blé est, en même temps, résistant contre un herbicide à large spectre du groupe chimique BASF et contient deux antibiotiques, l’ampicilline et la streptomycine, comme marqueurs pour la manipulation génétique. Le sens de cette expérimentation reste, pour l’instant, une énigme. Ce qui est sûr, c’est que même la Commission pour la biosécurité de Bruxelles, qui prend souvent position pour l’industrie biotechnologique, demande qu’aucun antibiotique ne soit employé pour les OGM. A cause de ces essais, le conservatoire ne peut plus garantir que son stock d’anciennes variétés n’est pas contaminé par des manipulations génétiques.

Réactions

Les responsables ont réagi aux nombreuses protestations à la légère et de manière confuse. Le ministère fédéral compétent pour la délivrance des autorisations a rejeté l’objection des citoyens en argumentant qu’une contamination d’anciennes variétés ne pouvait pas être exclue, mais que dans la mesure où elles étaient propriété de l’Institut, il pouvait en faire ce qu’il voulait. Une réponse choquante quand on pense au long processus d’apparition de ces espèces avant qu’elles n’atterrissent dans cette «prison» de variétés dont elles sont maintenant décrétées la propriété. Dans l’intervalle, l’association pour la conservation et la remise en culture de plantes utiles, la VERN, a porté plainte contre l’Institut car elle se fournit régulièrement en vieilles variétés qu’elle multiplie, mais sans plus pouvoir garantir qu’elles ne soient contaminées.

Rien que cette année, dix-huit essais génétiques ont été réalisés sur le terrain du Conservatoire de Gatersleben: l’un avec le tabac, treize avec les pommes de terre, un avec le blé et trois avec le pois.

L’année dernière, quatre firmes se sont établies sur le domaine du Conservatoire de Gatersleben: sunGene, Novoplant de la BASF, Innoplanta et BIO-Mitteldeutschland. La réponse suivante à la plainte de la VERN montre bien quelle influence ces entreprises ont à présent sur l’Institut: On pourrait transférer la banque de gènes dans un autre lieu de manière à ce que les semences ne soient pas menacées par les essais génétiques.

Cette remarque n’est pas fortuite: l’industrie biotechnologique est parfaitement consciente du fait que le matériel végétal d’origine, dont elle est dépendante, disparaîtra tôt ou tard. C’est pourquoi, mandatée par la communauté internationale, elle bricole, selon ses propres termes, à la méga banque de gènes mondiale, dans la glace éternelle sur l’île norvégienne de Svalbard. Le Global Crop diversity Trust prévoit de stocker là trois millions de semences diverses, se drapant de l’habit du sauveur de la faim et de la pauvreté sur cette terre. La construction du projet devrait être achevée fin 2007. Il cherche encore des sponsors. Y participent, jusqu’à présent, les USA, l’Allemagne, la Suède., la Suisse, le Canada, l’Australie pour les pays riches, et pour les multinationales de la semence, Syngenta et Dupont/Pioneer.

Au vu de ce grand projet, il n’est pas étonnant que les conservatoires obtiennent de moins en moins de moyens de l’Etat. Dans certains pays, le rythme des compressions s’accélère. En Hongrie, cette année, on s'est débarrassé de mille variétés de poires; le conservatoire russe ne reçoit plus de subsides publics, et on peut dire qu’à quelques exceptions près, la situation est identique dans la plupart des pays.

Avoir le contrôle sur la biodiversité est devenu une question stratégique et quelques multinationales y travaillent.

Le 21 mai 2007, aura lieu une manifestation de protestation à Gatersleben, près de Halle (voir Archipel n°147). Nous invitons chaleureusement nos lectrices et nos lecteurs à y participer.