DOSSIER TUNISIE: Underground Tunisien

de Cédric Bertaud Radio Zinzine, 10 mai 2013, publié à Archipel 215

En Tunisie comme ailleurs, on trouve les dynamiques apparentes, visibles et médiatisées et les dynamiques underground.A l’occasion du Forum Social Mondial, un appel au boycott de ce forum avait été lancé par un groupe dénommé «les désobéissants». Clairement anarchiste, ce groupe a squatté une place lors du FSM en organisant une cuisine autogérée et en improvisant un camping sur le campus même. Ces désobéissants dénonçaient le «Forum Social, [comme] Forum du Capital», et il est vrai que vu l’importante présence de Tunisie Télécom, par exemple, ou en regardant de près les financeurs, la critique peut apparaître comme sensée. Un autre point de divergence peut être la question de l’Etat. Les participants au FSM, et en particulier les organisations parties prenantes des ateliers et autres conférences ou débats, sont majoritairement pour un renforcement de l’Etat (ou des Etats) face au marché, faisant mine d’ignorer que ce sont les deux faces d’une même pièce.

Le stand-squat des désobéissants a commencé assez petit et s’est étoffé tout au long du Forum. Le dernier jour, une assemblée s’est tenue et j’ai été surpris du nombre de personnes qu’elle a réuni, à vue de nez je dirais plus de 200.
En discutant avec les personnes de ce groupe, les principes de base de l’anarchisme étaient très clairs et on aurait pu être n’importe où en Europe. Ce qui pouvait paraître comme plus surprenant voire exotique était la relation au stade et au foot. Le stade, et ce déjà sous Ben Ali, est un espace de liberté et de politisation. Ainsi tout un travail politique de terrain se fait par le biais des clubs de supporters, où un des apprentissages, et non des moindres, réside dans le savoir-faire vis-à-vis de la police. Criminalisés médiatiquement comme hooligans et s’affrontant régulièrement avec les forces de l’ordre, les clubs de supporters répondent au travers de graffitis en ville, demandant la liberté pour certains, agrémentant leurs signatures, telles Zapatista 2008, Torcida curva sud, du fameux ACAB1 ou de A cerclés ou le V cerclé venant de V pour Vendetta2 et dont le masque de Guy Fawkes a été repris, au départ par les anonymous. Quand on pense aux supporters nazillons de chez nous, cela laisse forcément songeur. Suite aux derniers affrontements lors des derbys tunisois, les matchs de foot se font pour l’instant à huis clos...
L’underground ne se trouve pas uniquement dans les stades, loin de là. La musique a souvent été un moyen de contester et de lutter, et la Tunisie n’échappe pas à cette règle. Rap, Reggae, Drum’n’Bass sont pour ce que j’ai pu appréhender les principaux courants regroupant des dynamiques anti-système. Mais attention, ne collons pas automatiquement nos schémas sur cette culture. Il existe du rap salafiste! Hé oui, le rap étant un outil pour contester ce système, il n’est donc pas nécessairement étonnant que les salafistes le fassent aussi à leur manière.
Les rappeurs subissent aussi une certaine répression. Récemment, c’était Weld 15 qui défrayait la chronique avec un clip aux paroles très virulemment anti-flics3. Deux arrestations ont eu lieu, avec quelques jours de préventive avant un procès, mais l’auteur s’est planqué et n’a pas été arrêté. La justice s’est acharnée sur le réalisateur du clip et sur une fille passant par là par hasard le jour du tournage: six mois avec sursis. Weld 15 a été condamné par contumace à 2 ans de prison, ainsi que d’autres rappeurs dont le nom apparaissait... dans les remerciements. Weld 15 a déclaré par la suite que dans son prochain clip il remercierait le président, le chef du parti Ennahda, etc. pour qu’ils se prennent 2 ans aussi.
La scène rap est très vivante dans les quartiers populaires et pour ceux que j’ai pu rencontrés, en particulier Z five, (Zone 5, du nom de leur arrêt de tram anglicisé) très remonté contre l’Etat et les flics. Ils se définissent comme anti-système. Certains l’étaient déjà sous Ben Ali, et ils continuent sous la Troïka. L’élaboration d’un discours et d’une définition d’«anti-système» semble être un peu légère, à moins que ce sentiment n’ait été généré par un problème de langue (mon arabe étant inexistant) et donc de communication... Cela mériterait une immersion dans cette scène pour mieux comprendre, et en particulier voir les différentes tendances du rap tunisien car j’ai du mal à imaginer un barbu avec un bon flow...

  1. «All Cops Are Bastards», tous les flics sont des salauds. C’est un slogan fréquent qui, bien qu’en anglais, tend à se répandre partout dans le monde...
  2. Bande dessinée et film: dans un monde dystopique, un anarchiste qui se fait appeler «V» et porte le masque de Guy Fawkes, qui avait tenté de faire sauter le parlement anglais, entame des actions pour ébranler tous les symboles du pouvoir.
  3. «Les flics sont des chiens», «J’égorgerai un flic à la place du mouton», etc.