FORET: Alerte forestière du Sud des Etats-Unis*

de Scot Quaranda, Dogwood Alliance, 17 juil. 2015, publié à Archipel 237

Sous couvert d’«énergie verte», nous assistons à une véritable industrialisation de la forêt entre destructions de territoires forestiers et gestion de la repousse rapide avec utilisation de transgéniques. Nicholas Bell, membre du FCE et de SOS Forêt du Sud (réseau de contestation de la centrale biomasse de Gardanne dans le sud de la France) a rencontré des membres de Dogwood Alliance (Etats-Unis) au Biofuelwatch en Angleterre, le 5 février 2015. Cliquez ici pour l'interview complet. Suivent ci-dessous des extraits de l’interview qu’il a réalisée pour Radio Zinzine*.

L’Alliance Dogwood a été fondée en 1996 afin de protéger les forêts du sud des Etats-Unis qui sont parmi les forêts tempérées les plus remarquables et les plus diversifiées au niveau mondial. Nous avons un réseau de plus de 75 groupes qui se sont affiliés à notre campagne. Notre territoire s’étend de la Virginie, en suivant la côte atlantique, et puis vers l’Ouest le long de la côte du Golfe vers l’Arkansas et inclut tout: des forêts de feuillus dans les zones humides ou inondables, dans les marais majestueux, jusqu’à l’une des régions avec la plus grande biodiversité au monde, le sud des Appalaches.
Nous voulions réagir à une augmentation énorme de la production de papier dans notre région qui est la plus importante du monde pour ce secteur. Nous voulions obtenir des changements des pratiques forestières et empêcher la transformation de forêts naturelles en plantations de résineux.
Aujourd’hui, nous observons l’extension massive d’une nouvelle industrie, celle de la production de granulés de bois destinés à satisfaire les besoins des centrales électriques en Europe1. Et cela au nom de la sauvegarde du climat, mais en fait avec un impact néfaste sur notre climat, sur nos forêts et nos communautés.
Ces derniers cinq ans, une vingtaine d’usines ont commencé à produire des granulés et une trentaine d’autres sont en projet. En 2016 on estime que leur capacité annuelle sera de 6 millions de tonnes.
A cause de l’industrie du papier et maintenant de celle de biomasse, une grande partie de nos forêts naturelles de feuillus ont été transformées en plantations de résineux qui ressemblent à des champs de maïs géant. On détruit une forêt ancienne et on plante des arbres en ligne, en utilisant des fertilisants chimiques et des herbicides. Environ 60% de nos forêts en zones humides ont subi des coupes rases et ensuite, les zones sont drainées et plantées avec des résineux. On perd donc tout ce que ces forêts humides apportent à la société, comme une protection contre les inondations, l’approvisionnement en eau potable, ainsi que des habitats pour des espèces de faune et de flore particuliers.
Malheureusement, 90% des forêts dans le sud des Etats-Unis sont privées et elles n’ont quasiment aucune protection légale2. Un seul Etat a une réglementation selon laquelle on doit simplement informer les pouvoirs publics de toute coupe. On peut donc faire ce qu’on veut avec les forêts privées.
Contestation
Nous nous sommes laissé surprendre par l’arrivée de l’industrie des granulés, mais la contestation s’étend. En novembre dernier, par exemple, 50.000 personnes ont envoyé des messages au ministère britannique de l’Energie et du Changement climatique pour lui demander de changer sa politique et de protéger nos forêts3, ainsi qu’au Commissaire Européen chargé de l’Environnement et du Climat. Il y a aussi une forte contestation là où ces usines de granulés sont installées: des communautés dont la qualité de vie est sévèrement affectée par le bruit, la pollution aux poussières de bois, le risque d’incendies et l’augmentation du trafic de camions.
Au début, l’industrie de granulés a prétendu qu’elle allait uniquement utiliser des produits résiduels de scieries, ou alors les branches et houppiers d’arbres, mais puisque l’industrie a grandi si dramatiquement, elle a commencé à utiliser des arbres entiers. Nos forêts subissent des coupes rases afin de produire ces granulés. Les grumes sont réduites en petits copeaux ou sciure puis comprimées, un processus évidemment très énergivore. Ensuite, les granulés sont transportés par train au port où ils sont mis dans de grands bateaux pour traverser l’océan jusqu’à l’Europe, où il faut encore les transporter jusqu’aux centrales où ils sont brulés pour produire de l’électricité.
Dans le sud des Etats-Unis nos forêts capturent chaque année 15% des émissions de carbone du pays. Donc on est train de détruire notre banque de carbone afin d’émettre du carbone à partir des cheminées des centrales en Europe4.
Il y a deux mois, nous avons découvert des documents qui montrent que le ministère de l’Agriculture américain a autorisé des pins à encens modifiés génétiquement pour qu’ils poussent encore plus rapidement qu’aujourd’hui. Ces variétés pourraient permettre une rotation de 5 à 7 ans. De plus, il y a tous les dangers que représentent des arbres génétiquement modifiés. Ils pourraient provoquer la contamination de nos forêts naturelles par le pollen des arbres modifiés.
La plus grande entreprise de granulés aux Etats-Unis s’appelle Enviva. Elle est en train de fabriquer des granulés issus de forêts de feuillus dans les régions côtières, dont beaucoup sont dans des zones humides. Son opération phare est dans le nord-est de Caroline du Nord et dans le sud-est de la Virginie où existe trois unités qui utilisent quasi exclusivement du bois de feuillus.
Enviva a construit une usine dans le comté de Northampton en Caroline du Nord au milieu d’une vieille communauté afro-américaine. Cette communauté s’est plainte à plusieurs reprises, sans obtenir de réaction, du bruit, du trafic de camions, des dangers provoqués sur les routes, et de tout l’argent que les autorités locales ont investi pour soutenir Enviva, au lieu de se soucier de la santé de cette communauté.
Les recherches scientifiques confirment que ce n’est pas une bonne solution de brûler des arbres entiers afin de produire de l’électricité. Les scientifiques du sud des Etats-Unis, experts dans ce domaine, ont constaté que la politique européenne favorise l’extension de cette industrie. Ils ont donc lancé un appel à l’Union Européenne (UE) et au gouvernement britannique, en expliquant que c’est une mauvaise idée pour notre climat. Nous avons des partenaires au Royaume-Uni et dans l’UE qui se battent contre les décisions politiques et les subventions qui favorisent cette industrie. Malheureusement nous avons vu des méga-conversions par des entreprises telles que Drax qui a déjà transformé deux de ses centrales de 300 MW de charbon en biomasse et qui veut convertir encore deux centrales à charbon. Nous voulons absolument obtenir que ses subventions soient réduites car, sans ce soutien public, il sera beaucoup moins viable pour Drax de continuer à développer cette industrie.
Nous voulons démontrer que nos forêts ont beaucoup plus de valeur en tant que stock de carbone, de ressource d’eau potable propre, comme habitat de différentes espèces, pour la prévention d’inondations, etc. Nous devons valoriser nos forêts davantage comme arbres debouts que comme arbres coupés et transformés en marchandise.
Nos forêts ne sont pas des combustibles et nous espérons que l’Europe changera sa politique et nous aimerions aider les gens en France à imaginer comment combattre ce problème. Cette industrie de biomasse ne laissera que désolation dans son sillon.
Scot Quaranda
Dogwood Alliance

  1. Il y a une toute petite industrie de biomasse aux Etats-Unis, avec des centrales modestes de 20 ou 50 MW maximum. La véritable demande vient d’Europe.
  2. La législation varie selon les Etats, et le niveau de réglementation est plus élevé dans des Etats du nord et de l’ouest des Etats-Unis.
  3. Le Royaume-Uni est le pays qui a le plus développé les méga centrales à biomasse. La seule centrale électrique de Drax aura besoin de 16 millions de granulés par an et les besoins totaux de toutes les centrales autorisées s’élèvent à 60 millions de tonnes, dont la quasi-totalité sera importée (voir Archipel No227, juin 2014).
  4. La question du carbone et de l’impact de l’industrie de la biomasse sur le climat est complexe. Scot Quaranda en parle plus en détail dans l’entretien disponible sur le site du FCE.

Contact: <scot(at)dogwoodalliance.org>; http://www.dogwoodalliance.org/

La contestation des collectivités locales de la région Haute-Provence/Hautes-Alpes en France contre la méga centrale à biomasse de l’entreprise E.On à Gardanne a marqué une nouvelle étape importante le 25 mars 2015, avec le recours juridique déposé conjointement par deux Parcs Naturels Régionaux (Luberon et Verdon) et deux Communautés de Communes (Forcalquier/Montagne de Lure et Pays de Banon).
Ces collectivités contestent notamment la manière dont l’enquête publique a été menée, car celle-ci n’a prévu aucune consultation des populations et des élus des régions désignées par E.On comme «zones d’approvisionnement prioritaire» (les Cévennes et les Alpes du Sud).
Il faut cependant ajouter que la forte opposition des collectivités a eu une conséquence particulièrement perverse. Selon l’accord entre l’entreprise E.On et l’Etat, la moitié du bois brûlé devrait être importée pendant les dix premières années, et l’autre moitié proviendrait des forêts françaises. Après ces dix années, l’approvisionnement devrait être 100% local. Mais du fait que 400 collectivités locales ont adopté ou soutenu des motions contre ce projet, le gouvernement a décidé d’imposer à E.On une augmentation des importations, afin d’apaiser les tensions dans la région. Le résultat en sera une augmentation de la destruction des forêts dans des pays lointains. En France l’approche ressemble de plus en plus à celle qui domine au Royaume-Uni, c’est-à-dire une situation où le gouvernement et les entreprises savent que cette industrie sera basée sur des importations, car il n’existe pas en Grande-Bretagne de forêts suffisantes pour satisfaire la demande.
Pour plus d’information: <www.sosforetdusud.org>.

Emissions sur les questions forestières à Radio Zinzine
Depuis plusieurs années, Radio Zinzine diffuse de nombreuses émissions sur des questions liées aux forêts et à leur gestion. Vous trouverez la série Entre cimes et racines (17 émissions à l’heure actuelle) sur le site du Réseau pour les Alternatives Forestières ou sur celui de Radio Zinzine1 ainsi que d'autres émissions plus récentes.
E.On - F.Off2: Rebecca Rosen est une jeune Canadienne qui a vécu une année à St-Etienne-les-Orgues dans les Alpes de Haute-Provence où elle a aimé se promener dans les forêts de la Montagne de Lure. Ayant appris que le bois d’une récente coupe dans cette forêt a été vendu à l’entreprise E.On pour sa méga centrale à biomasse à Gardanne, elle a décidé de réagir. Dessinatrice, elle a d’abord réalisé une BD, ensuite elle a fait une manifestation à elle toute seule devant le siège d’E.On à Dusseldorf avec une pancarte ‘E.On, F.Off’. Prochaine étape: un RV de plus de trois heures avec quatre responsables de la centrale à Gardanne, y compris un tour de l’usine. Ce n’est que le début de ce qui risque de devenir une longue lutte contre la déforestation en Provence... et au Canada.
Les forêts du monde – un tour d’horizon: Jean-Pierre Sorg est un ingénieur forestier suisse à la retraite active. Il a surtout travaillé dans les forêts tropicales, mais il connaît aussi très bien les forêts de son pays et leur gestion. Dans cette émission en deux parties il présente un véritable état des lieux des forêts à l’échelle planétaire. Dans la première partie, il évoque plusieurs questions: comment définir une forêt? Dans quels continents peut-on observer une forte déforestation, tandis que dans d’autres la forêt s’étend? Qui sont les acteurs et quelles sont les causes de la déforestation? Dans la deuxième partie il parle de la question complexe du rôle et de l’impact des forêts par rapport aux émissions de gaz à effet de serre, du nouvel engouement pour le bois-énergie industriel, de la situation en Suisse...

  1. <www.alternativesforestieres.org> ou <www.radiozinzine.org>.
  2. Jeu de mot difficile à traduire: E.On est le nom de l’entreprise, et F.off, raccourci poli d’une expression signifiant «allez vous faire f…», on signifiant «marche» et off «arrêt».