DOSSIER FORÊT: Ca brûle pour la forêt!

de Nicholas Bell EBF, 19 nov. 2013, publié à Archipel 220

Lors de la 9ème rencontre du Réseau pour les Alternatives Forestières (RAF)1 qui a eu lieu à Bibracte dans le Morvan (Bourgogne) les 4 et 5 octobre 2013, l’une des thématiques prioritaires a été la menace croissante de destruction des forêts en France et partout en Europe à cause du nouvel engouement pour le bois-énergie à une échelle industrielle.

Suite au fiasco des agrocarburants censés représenter une alternative écologique au pétrole, voici la nouvelle trouvaille des promoteurs industriels du développement durable et de leurs complices au sein des autorités françaises: la mise en place d’une «filière biomasse-énergie» présentée comme une des sources les plus prometteuses d’énergie renouvelable (estimée à plus du tiers du potentiel en France à l’horizon 2020).
En octobre 2011, la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, et le ministre de l’Industrie, Eric Besson, ont approuvé 15 projets de méga-centrales qui brûleront de la biomasse. Même si ces centrales brûlaient des déchets agricoles, des résidus d’élagage et du «bois B2» (très polluant, issu de la récupération de portes et fenêtres peintes souvent au plomb, de poutres xylophrénés, de cagettes…), le principal combustible serait du bois coupé dans les forêts des zones d’approvisionnement de chaque centrale. Il s’agit de quantités immenses.
La plus grande en France est prévue à Gardanne, près de Marseille. Cette centrale à biomasse, qui remplacerait la tranche 4 de l’actuelle centrale à charbon, aurait besoin d’environ 900.000 tonnes de bois par an. L’entreprise allemande E.On (troisième producteur mondial d’électricité) prévoit dans un premier temps d’en importer la moitié, semble-t-il du Canada, et de chercher l’autre moitié dans un rayon de 400 km autour de Gardanne.
De tels méga-projets sont contestables pour de nombreuses raisons. Les dangers qu’ils représentent ont été surtout analysés et dénoncés par l’association Adret-Morvan qui se bat contre le projet d’immense scierie et d’incinérateur de l’entreprise belge Erscia à Sardy-les-Epiry dans la Nièvre en Bourgogne2. Elle pointe la très grave pollution de l’air et de l’eau. Ensuite, elle démontre très clairement que les promesses de créations d’emplois sont totalement fallacieuses, car de tels projets détruiraient plus d’emplois qu’ils n’en créeraient dans la filière bois existante, mise à mal par la concurrence, mais aussi dans le secteur du tourisme qui aura du mal à rester attractif dans une région ravagée par les coupes rases. Voilà sans doute le principal danger de ces projets délirants: l’impact sur les forêts qui deviendront de simples gisements de production industrielle.
L’un des participants à la rencontre du RAF a calculé qu’il faudrait 30 hectares de coupes rases par jour pour fournir la centrale de Gardanne. Dans la plupart des cas, aucune étude sérieuse n’a été menée afin de calculer la ressource potentielle. La FRAPNA Drôme3 a, par exemple, dénoncé le manque de plan d’approvisionnement réaliste pour la centrale à cogénération biomasse à Tricastin. En plus, vu l’étendue immense du rayon prévu pour l’approvisionnement de chaque projet, il est évident que ces zones se chevaucheront et que certains massifs forestiers pourraient être visés par plusieurs centrales.
Les destructions auront lieu également dans les pays qui exportent du bois pour de telles centrales. Un exemple effrayant nous a été donné lors de la rencontre du RAF par un invité roumain, Orlando Balas (voir ci-après Protégeons «la muette»).
Revenons au projet de centrale de Gardanne. Un «Collectif Vigilance Citoyen sur le projet biomasse centrale de Provence» a été créé, réunissant 15 associations, notamment l’Association de Lutte contre toute forme de Nuisances et de Pollutions et le collectif contre le gaz de schiste. Mais leur lutte ne sera pas facile, vu que la mairie et la CGT soutiennent fortement le projet. L’ambiance est tendue. Récemment le délégué régional de la CGT Forêt a tenté d’intervenir auprès de ses collègues CGT à la centrale de Gardanne, afin d’expliquer pourquoi ce projet aurait des conséquences catastrophiques. Il s’est fait éjecter d’une manière fort peu amicale par ses «camarades».
Le talon d’Achille d’E.On sera probablement la contestation dans les régions d’où devrait venir la biomasse. En mars 2013, l’entreprise a organisé une «Réunion de lancement de la Zone d’Approvisionnement Prioritaire Cévennes» à St-Hippolyte-du-Fort dans le Gard où elle a présenté ses visées sur la châtaigneraie cévenole, en expliquant que c’est une chance inespérée pour la filière bois locale. Ce n’est pas l’avis de certains Cévenols qui viennent de créer, le 10 octobre, un collectif décidé à contrer les ambitions d’E.On et à sauvegarder leurs forêts.
Dans le document présenté par E.On à St-Hippolyte-du-Fort4, il est clairement indiqué sur la carte qu’il y a en fait deux zones d’approvisionnement prioritaire: la ZAP Cévennes… et une autre ZAP qui s’étend à peu près de Forcalquier jusqu’au nord de Gap, couvrant ainsi une grande partie des départements Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes. Une menace grave pèse donc sur les forêts de cette région. Il est probable qu’elle se mette en place dans des rencontres discrètes et opaques avec des professionnels de la filière bois et éventuellement avec des élus.
Il est temps donc de tout mettre en œuvre afin de bloquer les projets funestes d’E.On et consorts. Nous pouvons nous permettre un certain optimisme, car l’association Adret-Morvan vient d’obtenir une magnifique victoire. Le 9 octobre, un arrêt du Conseil d’Etat a porté un coup probablement fatal au projet de méga-scierie d’Erscia. Selon le Monde, «l’arrêt est tombé comme un couperet: le projet ne verra pas le jour dans la Nièvre». Le motif: la destruction de la faune et la flore sur le site de 110 ha de forêt où Erscia voulait installer son projet.
Il ne s’agit donc pas encore d’une mise en cause fondamentale de ce type de projet, de l’impact sur les forêts, sur l’emploi, sur l’environnement… Tout cela reste à démontrer.

  1. Voir la page Forêt sur le site <www.relier.info>.
  2. Voir Archipel No 214, avril 2013 «Les forêts du Morvan en danger», <www.adretmorvan.org>.
  3. Fédération régionale d’associations pour la protection de la nature. <www.frapna.org/drome>.
  4. Téléchargeable sur le site <www.eon.fr>.